liliane Admin
Nombre de messages : 19569 Age : 50 Localisation : dans la galaxie Date d'inscription : 02/05/2008
| Sujet: LE NOUVEAU VOCABULAIRE Mer 8 Avr - 8:26 | |
| « Je suis frappé par le choix d’un vocabulaire un peu rare » PROPOS RECUEILLIS PAR GUILLAUME RATHELOT Confinement , distanciation sociale… Le linguiste Louis-Jean Calvet, originaire de Nice, décrypte le langage devenu courant depuis le début de l’épidémie et analyse le discours des gouvernantsIl est docteur. En linguistique. Sans prendre de gants, Louis-Jean Calvet s’attaque aux mots plus qu’aux maux. Ancien étudiant au lycée Masséna, à Nice (« J’écrivais pour Le Patriote, un journal communiste »), puis professeur d’université à la Sorbonne et à Aix-Marseille, il se confie sur ce fameux confinement depuis sa maison, aux confins d’Aix-en-Provence. La crise liée au coronavirus ne pouvait qu’inspirer ce spécialiste de la ‘‘fracture linguistique’’ avec les banlieues mais surtout de l’analyse des discours politiques.
Peut-on déjà s’arrêter sur le terme « coronavirus », identique dans toutes les langues occidentales ?
Comme vous savez, ce terme désigne la forme du virus, une couronne. Or, ce mot latin se retrouve dans les langues romanes, mais aussi en allemand (krone), en anglais (crown) et même en russe (korona). Il est donc facile à retenir. Et peut-être, rappelle-t-il à certains le nom d’une bière (rires).
Quel regard portez-vous sur la sémantique utilisée ces dernières semaines ?
Je suis d’abord frappé par le choix d’un vocabulaire un peu rare, ou du moins peu utilisé. « confinement », tout d’abord, qui vient d’un vieux verbe français signifiant « enfermer ». Mais aussi des expressions étranges comme les « gestes barrière » (se laver les mains, ne pas serrer celles des autres, tousser dans son coude…) ou la « distanciation sociale » (se tenir à au moins un mètre de l’autre), qui a quelques connotations sociales et pourrait ressembler à un lapsus. L’adjectif « sociale » me fait marrer parce qu’au début du quinquennat de Macron, beaucoup de gens lui reprochaient de ne pas s’intéresser au social. On aurait pu dire « éloignement minimum ».Louis-Jean Calvet, linguiste et professeur d’université. (DR)
De nouvelles expressions peuvent-elles apparaître ?
C’est possible. Et peut-être que certaines peuvent avoir une nouvelle carrière, avec un sens élargi ou modifié. On peut imaginer des parents menaçant des enfants turbulents de les confiner, ou quelqu’un se plaignant du bruit d’un coq ou d’un chien chez son voisin et réclamant qu’il le confine. J’ai entendu dans la bouche de responsables politiques ou médicaux, pour désigner les quatorze jours de confinement, le mot « quatorzaine », qui rappelait en même temps l’étymologie de « quarantaine », quarante jours. La créativité populaire est infinie.
En termes de créativité, une nouvelle langue se développe grâce aux réseaux sociaux, comme le terme « coronapéro ». Qu’est-ce que ça vous inspire ?
Je n’avais pas entendu « coronapéro », c’est pas mal (rires). C’est chouette, comme on disait quand j’étais gamin. Mais ça peut disparaître du jour au lendemain ! Le problème de la créativité, c’est de savoir si ses produits durent. Les langues sont un peu comme des éponges. Elles filtrent. Il peut y avoir une floraison de créations, mais peut-être qu’on n’en parlera plus dans six mois et encore moins dans dix ans. Si on veut savoir à quoi ressemblera notre langue dans dix, vingt ans, il ne faut pas écouter les grands-parents, mais les gosses. Une partie de ce qu’ils créent restera.
‘‘Il y a une sorte d’infantilisation des citoyens” Cette épidémie a amené des nouveaux termes dans le langage courant et en a remis d’autres au goût du jour. Est-ce propre à des grands moments de l’Histoire
Oui, souvent. La Révolution française ou la guerre de 14-18 ont apporté d’énormes changements dans la situation linguistique. Paul Lafargue, le gendre de Marx, a publié en 1877 un article sur La Langue française avant et après la Révolution. Il souligne que les pamphlets utilisaient volontiers un parler populaire et rappelle le style du Père Duchesne qui utilisait sans cesse des termes comme « foutre » ou « bordel » (1). Et il donne de longues listes de mots créés pendant la Révolution : républicaniser, pamphlétiser, caméléoner, démocratiser, mobiliser, déprêtriser, agrémenter, futiliser… Aucun ne figurait dans le Dictionnaire de l’Académie de 1835, près de 50 ans après, mais beaucoup sont encore utilisés aujourd’hui.
Et en temps de guerre ?
En 14-18, les régiments étaient à l’origine formés de gens de même origine géographique… Et puis, avec les nombreux morts, on a reformé des régiments en mélangeant les anciens. Les soldats ne pouvaient plus parler entre eux le breton, le provençal ou le catalan. Ils se sont mis au français, qui était d’ailleurs la langue de commandement. Ce fut l’un des moments de l’unification linguistique de la France. Et le début de la fin des langues régionales.
La langue française peut-elle être menacée en période de confinement ?
Il faudrait que le confinement dure longtemps, très longtemps. Les langues ne changent pas si vite… En outre, il m’est difficile de faire ce genre de prévisions. Le linguiste décrit, analyse, explique, mais il ne lit pas dans le marc de café.
Comment analysez-vous la communication des gouvernants ?
Je ne sais pas où les gens qui élaborent leurs « éléments de langage » ont appris leur métier, mais je suis frappé par une forme d’injonction paradoxale : annoncer le 14 mars que restaurants et cafés seront fermés, qu’il ne faut pas de rassemblement et maintenir le premier tour des élections municipales le lendemain. Une autre chose m’interpelle : on a d’abord annoncé quinze jours de confinement, puis quinze autres. Or, on sait très bien que ça durera plus. Cette façon de ne pas dire la vérité dès le début me fait penser à un père qui dit toujours « demain » à son gosse jusqu’à ce qu’il réponde : « Dis, papa, c’est aujourd’hui demain ? ». Il y a une sorte d’infantilisation des citoyens. De la même façon, il y a eu des pataquès sur les masques : « On n’en a pas besoin si on n’est pas malade », alors que la vraie chose c’est qu’on n’en avait pas.
Comprenez-vous Emmanuel Macron quand il n’emploie pas le terme de « confinement » dans son discours aux Français ?
Il semble avoir voulu laisser « confinement » au Premier ministre. Je l’ai dit, le mot est d’usage rare mais « confiner » signifiait à l’origine « mettre en prison ».
Et quand il affirme : « Nous sommes en guerre » ?
Il a endossé les habits de Président. Tout le monde a reconnu qu’il parlait en Président. Mais pour mobiliser ses troupes, il a parlé de guerre. Il a effectivement prononcé six fois ce mot-là, ouvrant la porte à un autre paradigme sémantique.
C’est-à-dire ?
On parle de bataille contre le virus, de le vaincre. J’ai entendu parler des éboueurs comme « les soldats du quotidien », les infirmières et les infirmiers sont des héros, ils sont « en première ligne » contre un « ennemi invisible ». Il nous reste à espérer qu’on ne va pas « battre en retraite » devant le virus. Le plus beau est sans doute l’utilisation du terme « réservistes » pour désigner les membres du corps médical (médecins, infirmiers retraités) qui reviennent pour aider leurs collègues. La réserve désigne, dans l’armée, les militaires que l’on garde disponibles à l’arrière, pour les envoyer au front lorsqu’on en aura besoin. On parle aussi d’officiers de réserve, ceux qui ne sont pas destinés à servir sous les drapeaux, sauf ponctuellement, en cas de besoin. Le corps médical est ainsi militarisé. Or, une guerre, ça implique que quelqu’un la déclare, un ennemi qui est aussi en guerre. Le virus n’est pas un être humain.
1. Le Père Duchesne est le titre de journaux parus pendant la Révolution. Extrait, lors de la reprise de Toulon (1793) : « Victoire, foutre ! Victoire ! Aristocrates, que vous allez manger de fromage ! Sans-culottes,réjouissez-vous (...) Nos ennemis sont à quai.Toulon est repris, foutre ! »NICE MATIN | |
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