Disparition et tristesse Le critique de cinéma Claude-Jean Philippe est mort.Une présence discrète, et néanmoins particulièrement chère au cœur de quelques générations de spectateurs de la télévision française, s’est éteinte dimanche 11 septembre.
Claude-Jean Philippe, 83 ans, vient donc d’inscrire le mot « fin » sur une vie consacrée à la transmission du cinéma au plus grand nombre, à une époque où la petite lucarne se faisait du téléspectateur une idée plus grande que celle qui y prévaut aujourd’hui.
Passeur passionné, vulgarisateur hors pair, son « Ciné-club » sur la deuxième chaîne de l’ORTF (créé avec Patrick Brion), puis sur Antenne 2, enfin, sur France 2 a imprimé durant plus de deux décennies (1971-1994) une marque profonde dans les esprits tant des cinéphiles maniaques que des gens honnêtes, marque d’autant plus précieuse qu’engrangée avant l’accessibilité permanente aux œuvres fournie par Internet.
Une histoire éclectique et éclairée des grands classiques du cinéma mondial (Claude-Jean Philipppe goûtait plus modérément la radicalité d’un certain cinéma moderne) y défilait à un rythme hebdomadaire.
Chaque dimanche soir, puis chaque vendredi soir, résonnaient ainsi dans beaucoup de chaumières nationales ce générique qui faisait défiler un choix de photographies suggestives en noir et blanc au son de l’orgue limonaire d’Amour et printemps, d’Emile Waldteufel, que suivait la présentation concise et mystérieuse du film par Claude-Jean Philippe.
Du Mabuse, de Fritz Lang, aux Quarante tueurs, de Samuel Fuller, en passant par les cycles Sternberg, Buñuel, Avery, Lubitsch, Renoir, Welles, Hitchcock, Rossellini…
Un timide à la voix érailléeAllons plus loin, et rendons à l’absent l’hommage qui lui est dû : ce n’était pas seulement les films que « nous » (si l’on peut se permettre cette note personnelle) attendions chaque dimanche ou vendredi soir. C’était aussi Claude-Jean Philippe lui-même, ce personnage qui semblait sorti, comme tout cinéphile digne de ce nom, des sous-sols de la Cinémathèque française, le costume froissé mais les poches pleines de trésors inconnus, de visas à foison pour des mondes insoupçonnés et merveilleux.
Oui, c’était ce timide à la voix éraillée, aux yeux pochés, à la toux inextinguible, au phrasé doux et susurré, à la malice gourmande que nous attendions aussi, dans le vague cousinage que Philippe suggérait avec l’inquiétant et génial acteur Peter Lorre.
Attente au demeurant avivée lorsque l’émission fut présentée à la fin du magazine littéraire « Apostrophes ». Bernard Pivot, pape flegmatique du débat littéraire, y cédait en fin de partie pour quelques minutes la parole à l’histrion du septième art en donnant régulièrement l’impression, depuis le ciel des lettres françaises, de se moquer gentiment de lui. Le critique Serge Daney le remarqua et s’en irrita. Il avait tort. Philippe s’en sortait grâce à une maladresse qui surpassait en ferveur amoureuse pour son art les débatteurs qui l’avaient précédé.
La transmission, plus que la création, est sa vocation profondeDevenu par cette apparition télévisuelle une sorte de mythe à quoi on l’a réduit, Claude-Jean Philippe souffrit sans doute un peu d’être moins reconnu pour les nombreux documentaires sur le cinéma qu’il tourna. Quelque chercheur de perles rares nous signale que sa participation comme scénariste à la série télévisée policière « La Brigade des maléfices » (réalisée par Claude Guillemot en 1970) mérite une très honorable mention.
L’homme reste assez mystérieux. Né Claude Nahon le 20 avril 1933 à Tanger, au Maroc, dans une famille juive, sa jeunesse se déroule à Casablanca. Perdant la nationalité française en 1940 en raison des décrets anti-juifs du gouvernement de Vichy, il accueille avec transport les Américains qui débarquent en 1942. Il a 10 ans. Il découvre le Coca-Cola, le chewing-gum, le cinéma. Il fonde, à 18 ans, son premier ciné-club au cinéma Le Lynx. A 21 ans, en 1954, il découvre la métropole, s’inscrit à l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) pour devenir non pas réalisateur mais professeur de cinéma.
La transmission, plus que la création, est sa vocation profonde. Il l’assumera encore à France Culture de 1976 à 1984, dans « Le Cinéma des cinéastes », puis au ciné-club du cinéma L’Arlequin, à Paris, où il célébrera, pendant plus de vingt ans, chaque dimanche matin à onze heures, une messe cinéphilique particulièrement suivie.
Claude-Jean Philippe en quatre dates20 avril 1933
Naissance à Tanger (Maroc).
1971
Crée le « Ciné-club » avec Patrick Brion sur l’ORTF.
1976
« Le Cinéma des cinéastes » sur France Culture.
11 septembre 2016
Mort à Paris.
Jacques Mandelbaum ,Journaliste au Monde .
http://abonnes.lemonde.fr/disparitions/article/2016/09/11/le-critique-cinema-claude-jean-philippe-ex-presentateur-de-cine-club-est-mort_4995915_3382.htm