Nombre de messages : 12721 Date d'inscription : 03/05/2008
Sujet: ALBERT COHEN Ven 23 Jan - 9:40
Un auteur que j'aime :
Voilà un extrait d'un livre beau et particulièrement touchant qu'il a dedié à sa mère.
Albert Cohen a publié :
Solal en 1930, Mangeclous en 1938 et Le livre de ma mère en 1954.
En 1968, le Grand Prix du roman de l'Académie française lui est décerné pour Belle du Seigneur.
En 1969, il publie Les Valeureux, en 1972, O vous, frères humains, et en 1979, Carnets 1978.
Il est mort à Genève le 17 octobre 1981.
Albert Cohen, né en 1895 à Corfou, Grèce, a fait ses études secondaires à Marseille et ses études universitaires à Genève. Il a été attaché à la Division diplomatique du Bureau International du Travail, à Genève. Pendant la guerre, il a été à Londres le Conseiller juridique du Comité intergouvernemental pour les réfugiés dont faisaient notamment partie la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. En cette qualité, il a été chargé de l'élaboration de l'Accord international du 15 octobre 1946, relatif à la protection des réfugiés. Après la guerre, il a été directeur dans l'une des institutions spécialisées des Nations Unies. Il fut officier de la Légion d'honneur et commandeur de l'Ordre de Léopold de Belgique.
Albert Cohen, Le livre de ma Mère (1954)
Albert Cohen naît à Corfou mais ses parents, petits commerçants juifs, quittent la Grèce en 1900 pour s’installer à Marseille. -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
"Je me souviens aussi de nos promenades du dimanche, en été, elle et moi, tout jeune garçon. On n’était pas riches et le tour de la Corniche ne coûtait que trois sous. Ce tour, que le tramway faisait en une heure, c’était, en été, nos villégiatures, nos mondanités, nos chasses à courre. Elle et moi, deux faibles et bien vêtus, et aimants à en remontrer à Dieu.
Je revois un de ces dimanches. Ce devait être à l’époque du président Fallières, gros rouge ordinaire, qui m’avait fait frissonner de respect lorsqu’il était venu visiter notre lycée. « Le chef de la France », m’étais-je répété, avec une chair de poule d’admiration.
En ce dimanche, ma mère et moi nous étions ridiculement bien habillés et je considère avec pitié ces deux naïfs d’antan, si inutilement bien habillés, car personne n’était avec eux, personne ne se préoccupait d’eux. Ils s’habillaient très bien pour personne ? Moi, en inopportun costume de petit prince et avec un visage de fille, angélique et ravi à me faire lapider. Elle, reine de Saba déguisée en bourgeoise, corsetée, émue et un peu égarée d’être luxueuse.
Je revois ses longs gants de dentelle noire, son corsage à ruches avec des plissés, des bouillons et des fronces, sa voilette, son boa de plumes, son éventail, sa longue jupe à taille de guêpe et à volants qu’elle soutenait de la main et qui découvrait des bottines à boutons de nacre avec un petit rond de métal au milieu. Bref, pour cette promenade dominicale, on s’habillait comme des chanteurs d’après-midi mondaine et il ne nous manquait que le rouleau de musique à la main.
Arrivés à l’arrêt de La Plage, en face d’un casino rongé d’humidité, on prenait place solennellement, émotifs et peu dégourdis, sur des chaises de fer et devant une table verte. Au garçon de la petite baraque, qui s’appelait « Au Kass’Kroutt’s3, on demandait timidement une bouteille de bière, des assiettes, des fourchettes et, pour se le concilier, des olives vertes. Le garçon parti, c’est-à-dire le danger passé, on se souriait ave satisfaction, ma mère et moi, un peu empotés. Elle sortait alors les provisions emballées et elle me servait, avec quelques gêne si d’autres consommateurs nous regardaient, toutes sortes de splendeurs orientales, boulettes aux épinards, feuilletés au fromage, boutargue, rissoles aux raisins de Corinthe et autres merveilles. Elle me tendait une serviette un peu raide, amoureusement repassée la veille par ma mère si heureuse de penser, tandis qu’ele repassait en fredonnant un air de Lucie de Lammermoor, qu’elle irait demain avec son fils au bord de la mer. "
En 1935-1936, à Genève, le séduisant Solal, qui officie à la SDN (Société des Nations), tente d'obtenir les avances de la belle Ariane, aristocrate protestante et épouse de son subalterne Adrien. Celle-ci ne tarde pas à succomber au charme du jeune homme, mais cette relation passionnelle entraînera les deux amants vers une destinée tragique.