Bridget
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| Sujet: Les 50 ans du ministère de la Culture Mar 13 Jan - 13:21 | |
| . Créé le 3 février 1959 sous l’impulsion d’André Malraux, le ministère de la Culture célèbre cette année son 50e anniversaire. Son histoire est intimement liée à un demi-siècle de politique culturelle en France, depuis les ambitions affichées par l’auteur de la Condition humaine jusqu’à la réforme actuelle du ministère lancée par Christine Albanel dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.
Quel doit être le rôle du ministère à l’aube du XXIe siècle ? Les anciens locataires de la Rue de Valois, de sensibilité de droite comme de gauche, témoignent, de Jean-Philippe Lecat, Jack Lang, François Léotard, Jacques Toubon et Philippe Douste-Blazy à Catherine Trautmann, Catherine Tasca, Jean-Jacques Aillagon, Renaud Donnedieu de Vabres et Christine Albanel. Tous défendent cette exception française que les acteurs culturels européens et américains regardent parfois avec un certain étonnement. Cinquante ans Rue de Valois
Le Journal des Arts - n° 294 - 9 janvier 2009
De 1959 à nos jours, la politique du ministère de la Culture aura oscillé entre engagement de l’État et libéralisme. Retour sur ses moments forts.
« Le ministère chargé des Affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. »
Créé le 3 février 1959 par la volonté du général de Gaulle et taillé sur mesure pour André Malraux, le ministère des Affaires culturelles voit ses attributions précisées par ce décret du 24 juillet 1959, écrit de la main du ministre.
L’ambition du général, outre celle de garder Malraux dans son gouvernement – qui aurait alors convoité l’Intérieur –, est aussi perçue comme une volonté de contrer les communistes déjà très engagés sur le terrain culturel. Pragmatique, Malraux choisit de s’appuyer sur les plans quinquennaux de modernisation économique et sociale (1960 et 1965) pour lancer sa politique culturelle. « C’est dans le plan de modernisation nationale, et dans ce plan seulement, qu’on peut concevoir un développement véritable et durable des Affaires culturelles », déclare-t-il à l’Assemblée nationale en 1959.
Pendant dix ans, l’auteur de La Condition humaine (1933) va incarner un ministère dans lequel tout est alors à construire. Et devra batailler contre le ministère des Finances qui refuse de suivre budgétairement sa politique.
Une structure administrative est aussi à créer. Mis sur pied à partir des services du ministère de l’Éducation nationale (direction générale des Arts et des Lettres, direction de l’Architecture et direction des Archives de France) et grossi par des fonctionnaires venus de l’Outre-Mer, le ministère hérite aussi des services en charge des activités culturelles du haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports et du Centre national de la cinématographie du ministère de l’Industrie et du Commerce. Il lui faudra deux ans pour bâtir une direction de l’Administration générale (DAG) destinée à gérer les agents de l’administration centrale et des services extérieurs. Huit ans plus tard, la structure administrative est en place : elle comprend dix directions et une inspection générale. Malraux peut ainsi compter sur un embryon d’administration pour mettre sur pied la première politique culturelle de l’État.
Mais quelle politique ? Son objectif est de soutenir la création contemporaine et surtout d’élargir l’accès à la culture. Pour le ministre, l’action culturelle doit s’appuyer sur le « choc esthétique » produit par les œuvres d’art. Il refuse donc d’emblée les dispositifs pédagogiques de l’éducation artistique, promus notamment par les associations d’éducation populaire, au profit du soutien à la création et à la professionnalisation des artistes et artisans.
Il crée ainsi le réseau des maisons de la culture, lieux pluridisciplinaires destinés à « transformer en un bien commun un privilège », selon les termes de Gaëtan Picon, son directeur général des Arts et des Lettres (1959-1966), financés à parts égales par l’État et les municipalités.
La première est inaugurée en 1961 au Havre Suivent Caen, Bourges, Amiens, Thonon, Firminy, Grenoble…
L’action en régions est également amorcée, en 1963, avec le lancement des comités régionaux des Affaires culturelles, qui préfigurent les directions régionales des Affaires culturelles (DRAC) et la création, en 1964, de l’Inventaire général des richesses artistiques de la France. Dès 1965, Malraux, malade, est moins impliqué dans les affaires du ministère et les événements de mai 1968 cristallisent une ligne de clivage : la gauche reproche à Malraux son élitisme, alors que la droite l’accuse de négliger le patrimoine, voire de soutenir des formes de création subversives. « L’entretien du passé reste encore trop négligé, et la France, qui a toujours réussi jusqu’ici la synthèse de ses créations antérieures, traite trop souvent son passé comme s’il était mort, et son avenir comme s’il naissait de rien », déplore ainsi Valéry Giscard d’Estaing, en octobre 1968, devant l’Assemblée nationale. Une autre distorsion était déjà apparue lorsque Malraux avait déclaré en 1967 devant cette même assemblée – où chacune de ses interventions faisait salle comble : « il faut bien admettre qu’un jour on aura fait pour la culture ce que Jules Ferry a fait pour l’éducation : la culture sera gratuite ». Force est de constater que la mystique Malraux n’y aura pas suffi.
Valse ministérielle
Après son départ de la Rue de Valois, le ministère va connaître une véritable valse des titulaires, dix au total en onze années. Ancien déporté, le gaulliste Edmond Michelet prend brièvement la relève jusqu’en 1970. Il bénéficie alors, tout comme ses successeurs, du soutien de Georges Pompidou, lequel lance notamment le projet du Centre éponyme, qui n’ouvrira qu’en 1977.
Jacques Duhamel (1971-1973), chargé d’insuffler cette politique de modernité, obtient rapidement un accroissement du budget de son ministère. Il développe les relations avec les collectivités locales puis avec les autres ministères en créant le Fonds d’intervention culturelle (FIC), destiné à soutenir des actions transversales, et insiste sur le rôle de l’éducation à la culture, marquant une première rupture avec la politique malrucienne.
Son successeur, le gaulliste Maurice Druon (1973-1974), replace rapidement la barre à droite, s’illustrant au contraire par son conservatisme, notamment lorsqu’il déclare en visant le milieu théâtral : « Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l’autre devront choisir. »
Dès 1974, les ambitions sont revues à la baisse avec l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing à l’Élysée. La culture est reléguée au rang de secrétariat d’État, le poste récompense la fidélité politique. La logique libérale est privilégiée, sous l’égide de Michel Guy (1974-1976), qui parvient pourtant à se rallier les milieux culturels grâce à son volontarisme, puis de Françoise Giroud.
À partir de 1977, culture et environnement doivent cohabiter. Michel d’Ornano (1977-1978 puis mars-mai 1981) puis Jean-Philippe Lecat (1978-1981) poursuivent une politique plus orientée sur le patrimoine. En 1980, le poète Pierre Emmanuel, délégué à la culture du RPR, dresse un sombre bilan : « un ministère qui atteint péniblement l’âge de la majorité et qui a perdu toute confiance en sa signification ».
Balancier des cohabitations
Dans ce contexte, les années 1980 ne peuvent être que celles d’un véritable renouveau. Dès son élection en mai 1981, François Mitterrand choisit Jack Lang, le secrétaire national du PS à la Culture, pour piloter sa politique culturelle (1981-1986 puis 1988-1993). En 1982, le budget du ministère est doublé ; ses effectifs augmentent de 10 % entre 1981 et 1991. La France vit à l’heure des grands travaux culturels, à commencer par le Grand Louvre, la Villette, la Cité des sciences et de l’industrie, la Cité de la musique, le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, la Bibliothèque nationale de France ou encore le Musée de la civilisation celtique du Mont-Beuvray (Bourgogne).
Déconcentration et décentralisation sont poursuivies. La création est soutenue, quitte à verser dans la controverse avec le patrimoine. Une révolution est engagée avec le soutien des industries culturelles et la promotion de l’économie de la culture, considérée comme un « facteur économique ». Les aides se multiplient
En contre-pied de la doctrine malrucienne, Jack Lang prône l’éducation artistique à l’école, politique dont les résultats s’avéreront décevants. Les missions du ministère sont réécrites en 1982 dans un décret qui promeut désormais la démocratisation culturelle et reconnaît l’existence de pratiques culturelles autrefois jugées mineures.
Ce « tout-culturel », qui consiste à voir de la culture partout, sera le principal grief des contempteurs du ministre.
Après le départ de Jack Lang, le ministère connaît une nouvelle période d’instabilité, liée notamment aux coups de balancier des cohabitations.
François Léotard (1986-1988), entre deux ministères Lang, mise sur le patrimoine et fait adopter la première loi mécénat du 23 juillet 1987. Jacques Toubon (1993-1995) revient à la doctrine malrucienne et défend l’exception culturelle et la francophonie. Philippe Douste-Blazy (1995-1997), chargé de participer à la réduction de la « fracture sociale » par la culture, tente d’initier une refondation du ministère, réaffirmant la force du service public de la culture, qui restera lettre morte malgré la volonté de Catherine Trautmann (1997-2000) de défendre le rôle de l’État. Catherine Tasca (2000-2002) s’attache ensuite à relancer la décentralisation culturelle et l’éducation artistique.
Avec la réélection de Jacques Chirac en 2002, le libéralisme est à nouveau érigé en modèle. Si Jean-Jacques Aillagon (2002-2004) arrive avec les faveurs des milieux artistiques, il incite au développement du mécénat et accélère la création des établissements publics. Ses successeurs, Renaud Donnedieu de Vabres (2004-2007), ardent promoteur d’une diplomatie culturelle décomplexée qui a abouti à la cession de la marque Louvre à l’émirat d’Abou Dhabi pour un milliard d’euros, et Christine Albanel, poursuivent une logique de désengagement de l’État qui ne dit pas son nom.
« Au final, le sens des politiques culturelles est, à l’aube du XXIe siècle, de moins en moins relié au modèle républicain. C’est probablement un signe supplémentaire du délitement de ce modèle, analyse Philippe Poirrier, professeur d’histoire contemporaine . À l’heure où le ministère est réformé dans le cadre de la RGPP, le hiatus ne risque-t-il pas encore de s’accentuer ?
Bétard Daphné & Flouquet Sophie
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