Eric Le Lann & Jean-Marie Ecay - Play Jobim1/ Ohla Maria 2/ If You Never Comes To Me 3/ Desafinado 4/ Luiza 5/ Ligia
6/ Aguas de Março 7/ Portrait In Black And White 8/ Once I Loved 9/
Bras dessus (J-M. Ecay) 10/ Arabie (E. Le Lann) 11/ Meditation 12/ Corcvado 13/ Anna-Luiza
On peut le dire sans hésiter : ces deux-là ne manque pas d’air (la production non plus d’ailleurs, bravo) ;
pensez donc, jouer du Jobim
(Antonio Carlos dit Tom), un des plus grands compositeurs du XX° siècle,
l’une des plus incontournables légendes de la bossa nova,
cette dérivation (ou déviation) de la samba,
sans la rythmique qui habituellement la caractérise aux oreilles du grand public.
Ces musiciens rejoignent en cela Jobim lui-même et son piano
mais aussi bien sûr Joao Gilberto et sa guitare, incomparables créateurs.
Pour ce disque, le trompettiste confie que
« c’est à la suite de ma participation à l’enregistrement
de l‘album Chambre avec vue d’Henri Salvador que j’ai décidé de m’engager
dans un projet intimiste autour du Brésil ».
Il explique le choix de Jobim « car il exprime à mon sens mieux que personne l’art de la mélodie ».
En effet, Tom, qui envisageait de devenir architecte, étudia beaucoup la théorie et l’harmonie,
s’inspira des compositeurs classiques mais n’oublia jamais la musique populaire brésilienne :
« cette musique avec ses rythmes m’importait beaucoup plus ».
Donc, le breton trompettiste choisit comme partenaire idéal
un basque guitariste pour interpréter les superbes mélodies, de la plus connue (Desafinado)
aux plus rares (les prénoms féminins Luiza, Ligia, Anna-Luiza),
en utilisant la sourdine pour l’un et la guitare sèche pour l’autre,
sans effets de virtuosité gratuite, d’artifice superflu mais plutôt avec simplicité,
dépouillement, recueillement…
le tout voluptueusement, langoureusement, amoureusement,
de manière non languissante, non émolliente… sans que transparaisse aucune monotonie.
Un parti pris osé… une réussite, totale.
La trompette a une sourdine, la guitare est acoustique et peu bavarde : l’interprétation est absolument dépouillée, sans aucune fioriture inutile ni coquetterie instrumentale
de sorte que les morceaux coulent paisiblement dans une atmosphère de parfaite sobriété.
Le premier réflexe de l’auditeur habitué aux couleurs
qu’inspire généralement la musique de Jobim est de s’étonner
de l’aridité de ces reprises aux murs nus,
comme si une main castratrice avait enlevé les peintures et les meubles attendus
(impression d’autant plus forte que l’enregistrement est presque "brut",
sans réverbération artificielle, au plus prêt du pavillon et des cordes) ;
réticence rapidement vaincue par la splendeur du phrasé clair et limpide de Le Lann
et du jeu tout en arpèges délicats de Ecay,
moins froids qu’il n’y paraît l’un comme l’autre.
Il faut certes tendre l’oreillepour percevoir toute la beauté de la chose,
privé qu’on est des charmes sucrés des arrangements pour orchestre
mais l’effort en vaut la peine :
une fois immergé dans l’ambiance monacale mais chaleureuse de ce Play Jobim tout de simplicité,
on touche pour ainsi dire au coeur de ces mélodies savantes et mélancoliques qui,
ainsi mises à nu, révèlent des charmes qu’on ne leur imaginait pas forcément.
Info sur Antonio Carlos Jobim ici :
http://www.artmony.biz/musique-du-monde-f55/antonio-carlos-jobim-t917.htm?highlight=carlos+jobim
Jacques ChesnelJacques Chesnel est membre de l'Académie du Jazz.
Auteur de "Le Jazz en quarantaine" (Isoète), "Les Grands Créateurs de Jazz"
avec Gérald Arnaud (Bordas) ; auteur et consultant "jazz"
pour l'Encyclopédie Encarta sur CD-Rom. Peintre,
il travaille depuis plus de trente ans sur les rapports entre jazz et peinture.
Eric Le Lann (trompette), Jean-Marie Ecay (guitare) enregistrement en mars 2005