Entre sa vie d’artiste, ses engagements associatifs et politiques, les fins de semaine d’Yves Duteil n’ont pas toujours été de tout repos
ÉRIC MANDEL
Il a vécu l’année écoulée comme un dimanche sans fin. « Ma tournée a été annulée, alors j’ai rempli le temps comme je pouvais : j’ai jardiné, j’ai bricolé… mais je me suis très vite ennuyé », raconte Yves Duteil. À 71 ans, le chanteur aux éternels airs de doux rêveur n’est pas du genre à contempler les fleurs pousser dans sa propriété de l’Ouest parisien. « Comme tous les grands flem- mards, je suis un hyperactif, j’ai besoin d’être dans l’action. » Il a donc profité de cette pause contrainte pour écrire une autobiographie, Chemins de liberté (L’Archipel), où il revient sur son parcours d’artisan chansonnier, son amitié avec Jacques Chirac et ses engagements. L’artiste s’est également offert une échappée en studio pour enregistrer des versions réorchestrées de ses classiques (Prendre un enfant par la main, Le Mur de la prison d’en face, etc.), salués en son temps par Renaud : « Yves D. m’énerve parce que, avec son air de ne pas y toucher, il chante l’essentiel : l’amour de la liberté et la liberté de l’amour. »
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De son propre aveu, Yves Duteil n’a jamais sacralisé le dimanche : « Je ne m’interdis jamais de composer ou d’écrire un texte ce jour-là, qui est en outre souvent un jour de concert. » Sa première scène, c’était d’ailleurs un dimanche matin, sous l’impulsion de sa mère ; il a alors 6 ans. « Elle me faisait chanter chez les commerçants du marché. Je me revois interpréter chez la crémière Ma p’tite folie de Line Renaud. Elle avait dû sentir que j’étais artiste dans l’âme, même si, à l’époque, il valait mieux avoir un bon diplôme qu’une vocation de saltimbanque… »
Destiné à reprendre la bijouterie familiale, l’adolescent « sage et raisonnable » a opté pour la vie de bohème après s’être amouraché d’une guitare sèche. Il a décroché ses premiers cachets à 15 ans comme musicien de bal dans l’orchestre d’Armand Moulin, le « champion du monde d’endurance à l’accordéon », un titre qu’il a écrit en lettres d’or sur son camion après avoir joué nonstop pendant les 24 Heures du Mans… « On donnait des concerts le samedi soir jusqu’à 4 heures du matin ; le dimanche, on rentrait à Paris épuisés mais heureux. » Le temps ne changera rien à l’affaire pour ce marathonien de la scène qui brûle aujourd’hui de repartir en tournée.
Les dimanches d’Yves Duteil restent aussi souvent consacrés à ses nombreux engagements associatifs : pour l’éducation en Inde, le peuple tibétain, les mines antipersonnel ou les enfants atteints de cancer. « Chanter le dimanche dans un centre de pédiatrie, je l’ai souvent fait. C’est bouleversant d’entendre un gamin dire : “Surtout ne dites pas à mes parents que je vais mourir, ils seraient trop tristes.” » Mettre les mains dans le cambouis, « rêver utile », c’est son mantra, une philosophie citoyenne qui n’a rien de théorique pour ce petit-neveu du capitaine Dreyfus. Un lien familial longtemps tenu secret, révélé en 1997 avec sa chanson Dreyfus. « Cet héritage coule dans mes veines, il nourrit mes combats et ma soif de justice. »
En 1989, pour s’opposer à l’implantation d’une carrière de gravier dans son village de Précy-Sur-Marne (Seineet-Marne), le chanteur n’a pas hésité à se présenter aux élections municipales, sur les conseils de Jacques Chirac… L’aventure s’est terminée en 2014, après quatre mandatures et une Marianne d’or, un prix récompensant les meilleurs maires de France, pour saluer son action novatrice dans le dossier des zones inondables habitées. « Quand on est maire, c’est sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le dimanche ne compte pas : un mariage, un décès, une urgence à régler, sans oublier les dossiers à boucler pour le lundi. » Il y a aussi les souvenirs joyeux de partage lors des fêtes de village dominicales. « On organisait par exemple des baptêmes en montgolfière, un gros boulot pour obtenir les autorisations… »
Il garde aussi en mémoire des moments intimes avec l’une de ses plus illustres administrées : Barbara. « Nous habitions à 50 mètres de chez elle. Un dimanche, elle nous a invités pour prendre le thé, puis elle s’est mise au piano pour interpréter ma chanson Mélancolie… » Un autre beau dimanche de mai, jour du second tour de l’élection présidentielle de 1995, elle a eu cette requête originale : « Elle était immobilisée après une chute nocturne. Elle voulait tellement voter pour Lionel Jospin qu’elle m’avait demandé si je pouvais apporter l’urne chez elle ! »
La page de la politique étant tournée, le chanteur savoure désormais davantage sa quiétude dominicale. Avant le Covid, le rituel était immuable autour de grandes tablées réunissant famille et amis. « Avec mon épouse, Noëlle, on cuisine selon une stricte répartition des tâches : les plats salés pour elle, les pâtisseries pour moi », détaille le bec sucré, qui livre, sourire en coin, le secret de ses chansons intemporelles : « J’écris avec des mots de tous les jours en habits du dimanche. »
SA PLAYLIST
Ma révérence, Véronique Sanson (1979) Malgré nos tempéraments très différents, nous sommes amis. J’aime sa sincérité dans ses chansons, où sa vie transparaît de façon un peu mystérieuse. Ma révérence, c’est à la fois l’espérance et le désespoir mêlés.
Toulouse, Claude Nougaro (1967) Une écriture magistrale, des images d’une poésie fulgurante, un souffle musical grandiose. C’est l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la chanson française.
Little Willow, Paul McCartney (1997) Un titre peu connu, tiré de l’album Flaming Pie, écrit avec pudeur en hommage à Maureen Cox, l’épouse de Ringo Starr décédée en 1994. Fascinant de simplicité et de profondeur.
SON COUP DE CŒUR
Tenir ta main, de Louis Chedid. Il a écrit cette chanson pour le collectif Tenir ta main, créé par la comédienne Stéphanie Bataille dont le père est mort du Covid à l’hôpital sans avoir revu ses proches. Cette chanson nous a émus aux larmes.
SA BD
Dans la combi de Thomas Pesquet, de Marion Montaigne. Elle raconte avec humour et réalisme la sélection puis l’entraînement de Thomas et son premier envol vers l’ISS… Fan de BD et passionné par l’aventure spatiale, je l’ai dévorée.
ÉRIC MANDELLE JDD