.TRUPHEMUS , PEINTRE DE L'INTIME
1922 - 2017La Porte de l'atelier 1991
Grand amoureux de la nature et de la lumière, coloriste hors pair, Jacques Truphémus, s’est éteint le 8 septembre à 94 ans.
Un peintre de l’intimité et de la vie silencieuse, auquel le musée Hébert de Grenoble (Isère) consacre une belle rétrospective, « Truphémus à contre lumière », jusqu’au 5 novembre 2017.
Balthus a reconnu en lui un
« grand peintre », tout comme les écrivains Louis Calaferte, Charles Juliet ou le poète Yves Bonnefoy (1). Pourtant Jacques Truphémus est resté peu connu du grand public.
Né à Grenoble, installé depuis 1949 à Lyon dont les cafés et les ponts hantent ses toiles, il a sans doute souffert d’une fausse réputation de
« peintre régional ». Surtout, son art se situe hors du temps, de ses emballements et de ses modes. Il y a dans ses toiles, tout un parcours depuis les débuts après-guerre, au sortir de l’École des beaux-arts de Lyon, jusqu’au dernier atelier des Cévennes, un chemin si singulier, si profond…
Nature morte sur fond bleu 2007
Pas de sujet d’actualité chez lui, pas d’objets, d’indices du monde contemporain. Truphémus peint des intérieurs et des jardins chatoyants qui pourraient être ceux de Bonnard. Ses bars aux servantes pensives ont un parfum de Manet. Et ses vues d’Osaka peuplées de parapluies-ombrelles évoquent les estampes japonaises du XIX
e siècle. Une douce lumière ouatée semble nimber ses silhouettes dans les brumes du souvenir. La grosse horloge au mur du café Bellecour semble s’être arrêtée.
Osaka 1971
Est-ce la fracture de la guerre, durant laquelle le jeune homme tomba très gravement malade dans un camp de travail en Allemagne, qui l’a conduit à prendre ainsi ces distances, à refuser d’acquiescer aveuglément au progrès.
Sa Passante en noir traversant un pont aux lignes fuyantes trahit une angoisse à la Munch, un Cri étouffé…
La Passante de la Passerelle
À la course à la nouveauté, Jacques Truphémus a opposé, le temps lent des choses qui durent et qui se transmettent. C’est ainsi qu’il a installé depuis 1955 son atelier lyonnais, dans un lieu habité avant lui par les peintres Étienne Morillon, Florentin Servan.
La lumière est le vrai sujet de Jacques TruphémusÀ la dispersion dans l’anecdote, il a préféré le resserrement sur l’essentiel, quelques lieux de prédilection où il s’est enraciné. Contre l’agitation du monde, il a peint de calmes figures, des portraits de sa femme Aimée lisant un livre, puis un autre, imperturbable et tranquille. Et par la splendeur de ses tons, ses pâtes épaisses, duveteuses comme du pastel, lui, l’artiste constamment tenaillé par le doute, a pansé nos plaies.
La lumière est le vrai sujet de Jacques Truphémus. Dans les Intérieurs du Café Bellecour, elle irradie depuis les vastes baies et dévore l’essentiel de la composition, comme dans les vues de l’atelier d’Ainay baigné par une haute verrière au Nord.
Sur les dernières toiles cévenoles, elle pénètre à flot par les fenêtres ouvertes, découpe des portes en enfilade, des écrins enchâssés, précieux. Et dans cette articulation du dedans et du dehors, le peintre montre que loin de refuser le monde extérieur, il a simplement choisi d’y porter son regard au plus haut, vers ce qui élève, ce qui éclaire, et non ce qui détruit.
« Cet homme est d’une qualité exceptionnelle », confie son galeriste Claude Bernard.
Nous consoler avec la beauté du monde
Il y a chez Truphémus une
« lumière de l’affection » selon Yves Bonnefoy, qui restitue aux êtres leur part d’humanité fragile, et aux choses leur présence muette. Parfois, elle parvient même à transcender la gravité du monde, pour tout enlever en apesanteur, à l’image de cette somptueuse Nappe blanche lévitant, aérienne épiphanie, dans la nuit bleue.
Que la beauté du monde puisse nous consoler ainsi, de la douleur et de la perte, tel est son credo. En 2000, à la mort d’Aimée après cinquante ans de vie commune, Jacques Truphémus aurait pu se replier sur son chagrin. Il a choisi, dans un mouvement inverse, d’installer son atelier d’été dans les Cévennes, sur les terres d’Aimée, dans la maison qu’avait bâtie son père.
Fenêtre en Cévennes 2003
Et il l’a ouverte au soleil, laissant rentrer dans ses tableaux une végétation exubérante, une force de vie contre la mort et ses spectres. Sa peinture n’a jamais été aussi libre. La matière y est devenue très fluide, riche de transparences, de coulures, de zones de blancs inachevées. Le peintre s’est allégé, avec une énergie de touches, des accords de vert et d’indigo, proches de l’art d’une Joan Mitchell, et avant elle, des effusions avec la nature du vieux Monet.
Aimée lisant, 2009
Jacques Truphémus a continué aussi de peindre Aimée, gardant à ses côtés sa présence vive. La voici, par exemple, en 2007, dans
La Sieste sous la tonnelle, vêtue de blanc, dans une pose mélancolique. Tout autour, la verdure dégouline en cascade, des traînées de couleurs qui évoquent la chaleur d’une pluie d’été, la douceur des larmes. Alors l’on songe à ces mots de l’écrivain Louis Calaferte goûtant chez Truphémus :
« Cette tristesse, qui est de l’exquis ». Sabine Gignoux
http://www.la-croix.com/Culture/Expositions/Dans-le-temps-suspendu-de-Jacques-Truphemus-_NG_-2012-05-10-804708