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Sujet: UNE HISTOIRE DE CHANSON .... Dim 20 Juil - 18:04
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OSEZ JOSEPHINE ALAIN BASHUNG
En 1991, ce tube relance l'artiste, qui sait, peut-être mieux que tout autre, chanter le rock en français. Histoire d'une longue gestation.
La France l'a sans doute oublié, mais, en mars 1992, Michel Charasse, ministre délégué au Budget, ouvre les réunions électorales du PS avec Osez Joséphine!
C'est dire si cette cavalcade musicale absconse, au riff si retors, est déjà devenue un classique, matraqué sur la FM et par la toute-puissante M6. Au début de cette décennie-là, Bashung sort une fois encore de l'underground après le raz de marée Gaby oh Gaby (1980). Et de longues errances.
Demi-échecs à la sauce yéyé
On a beaucoup glosé sur ce perdant magnifique. Sur son allure fantomatique et ses choix suicidaires. Déjà, adolescent, quand la France en pince pour Dario Moreno et la bande de Salut les copains, lui biberonne à Eddie Cochran et Roy Orbison, dans sa chambre de Wingersheim (Bas-Rhin), grâce aux radios des bases américaines.
Une façon pour le fils adoptif de Roger Baschung, qui lui donne son nom (avec un "c"), d'échapper à son mal-être, à sa bâtardise - on lui tait l'identité de son véritable père (algérien). Parisien en Alsace, alsacien à Paris, Alain prend vite la tangente, et les contre-allées.
Si la légende d'une rock star s'écrit entre 20 et 30 ans, Bashung, désormais sans "c", éclot, lui, une première fois à l'âge du Christ avec Gaby (1,5 million d'exemplaires), vieux débutant, qui a enchaîné les demi-échecs à la sauce yéyé et joué Fouquier-Tinville dans l'opéra rock La Révolution française, en 1973.
Interprète ballotté de producteurs exaltés en directeurs artistiques, cyniques aussi. "On te disait: ferme-là, mets-toi devant le micro et chante", se plaint-il après coup.
Bashung renaît donc une seconde fois, à 44 ans, avec Osez Joséphine. Entre ces deux pics, l'artiste sombre dans l'alcool, la dépression et, un peu, l'oubli. Sans avoir démérité. "Alain a alors une énorme crédibilité, mais il ne vend pas de disques", rappelle Pascal Nègre, qui dirige à l'époque Barclay, le label de Bashung.
Grâce à sa deuxième épouse, Chantal, et à la naissance de leur fils, Arthur, Bashung remonte la pente. "Ces années-là sont sans doute sa plus belle période, témoigne Jean Fauque dit "Janot". En 1987, Alain a fait une cure pour cesser de boire, il s'est sorti de ses démons." Auparavant, Janot menait son compagnon d'infortune - Bashung n'a pas le permis - d'estrade en estrade, de rades improbables en bringues mémorables jusqu'aux jours sombres: au début de 1982, Fauque surprend le chanteur un couteau à la main, prêt à en finir.
Alain et Jean, qu'il a sollicité pour finir Novice, entament une collaboration qui va donner une série de disques époustouflants. Un soir de novembre 1989, alors que Jean Fauque et le guitariste Olivier Guindon traînent chez Bashung, à La Celle-Saint-Cloud, un flash spécial à la télé annonce que le mur de Berlin est tombé. L'idée vient à Fauque d'écrire un hommage aux femmes de l'Est. "Osez causer du Caucase/ osez poser vos oukases." Au commencement est le verbe "oser".
"Osez les nuances, la patience, la difficulté. Il faut prospecter vers d'autres horizons, réinventer des mélanges, se mettre en danger", déclare Bashung à L'Express, en 1998, pour éclairer le sens de sa chanson quelque peu hermétique. Le malaxeur de mots - il chante d'ailleurs plus tard Comme un Lego, de Gérard Manset - puise dans les textes de ses paroliers des bouts de phrases, les colle là; ça tient du cadavre exquis des surréalistes et du "cut-up" à la William Burroughs. Pareil pour les sons.
"Alain est un architecte à qui l'on fournit des briques; à la fin, je n'ai plus rien reconnu", précise son ami Miossec, chanteur et coauteur admiratif de Faisons envie (2002). Et cette "Joséphine"? Une trouvaille de Bashung - l'allitération sonne joliment. L'intéressé confie plus tard à Rock & Folk qu'il bricolait des "petits machins instrumentaux presque techno: l'un s'appelait Not Tonight, Joséphine".
Comme le musicien travesti dans Certains l'aiment chaud? Peut-être... Ou bien a-t-il aussi songé à sa tante Joséphine, femme (trop) libre pour son époque et les villages alsaciens ?
Osez les nuances, la patience, la difficulté. Il faut se mettre en danger.
"Alouette passe à l'ouest/ fait le mur à toute berzingue", écrit Jean dans la première mouture du texte.
Explication: l'alouette, c'était l'hélicoptère, et berzingue, la contraction de Berlin et de zinc, sur lequel, souvent, les deux complices s'épanchaient. Du texte et de l'intention originels ne restent que les sonorités et l'ode à l'émancipation féminine. Surgit aussi une métaphore sexuelle: des ébats à l'arrière des berlines et des dauphines (celles des sixties!) et ces fameux hennissements des "chevaux du plaisir".
Musicalement, Bashung se dit hanté par les figures de Kurt Weill - "mon premier rockeur dissonant", dira-t-il -, découvert, gamin, à la radio allemande. Mais aussi de Buddy Holly - dont il adopte, ado, les lunettes - et de Gainsbourg - son père putatif, avec qui il a coécrit Play blessures.
Pour l'album Osez Joséphine, il ne veut plus de synthés, dont il s'est enivré ad nauseam avec son disque Novice (1989), mais d'un retour aux sources, rock et country, à la simplicité mélodique.
Et Alain apprécie la petite rythmique que Jean, féru d'informatique, a bidouillée sur son Atari: ce son de cheval au galop conviendrait bien aux paroles de Zoé (nom de code d'Osez...). En 1991, après avoir écouté les maquettes, le label Barclay accepte d'envoyer le chanteur et le parolier enregistrer pendant dix jours à Memphis. Pour eux, Noël tombe en juillet: c'est leur rêve américain... même s'ils n'ont pas le temps de jouer les touristes. Les studios Ardent, cet écrin lambrissé de bois, d'une hauteur sous plafond de 4 mètres, offrent des conditions d'enregistrement live et, cerise sur le gâteau, un micro, ou plutôt le micro Neumann U 47 sur lequel Elvis a postillonné Mystery Train, en 1959. Emotion.
Après qu'Alain a conquis les musiciens de studio en s'attaquant à Buddy Holly, Willie Nelson et Dylan vient la session d' Osez Joséphine, le samedi 13 juillet.
Des quatre riffs de Sonny Landreth, as de la guitare slide, deux, décisifs, sont conservés au montage. "Sur le papier, cette boîte à rythmes qui galope, cette guitare qui hennit, ça pourrait être le ridicule absolu, rigole Miossec, qui a fait une version de la chanson. Mais ce riff... le public reconnaît tout de suite le titre, les visages s'ouvrent."
"On ramène un tube"
Le lendemain, Jean ne s'y trompe pas et, à Chantal, que le standardiste de l'hôtel lui a passée par erreur, il assure : "On te ramène un tube", promesse d'années plus légères... "Ils reviennent de Memphis après avoir explosé le budget, avec seulement cinq ou six titres, dont des reprises, et en anglais! râle Pascal Nègre. Mais il y a Osez Joséphine."
En septembre, il faut finir le disque à Bruxelles, aux studios ICP. C'est là qu'est conçu le fascinant Madame rêve - une variation sur la masturbation féminine -, pour lequel on fait jouer de vrais (et de faux) violons; l'ingénieur du son en profite pour ajouter une brassée de cordes à Osez Joséphine.
L'album, une première pour Bashung, est achevé avec un jour d'avance. Il va s'en vendre plus de 500000 exemplaires (et l'artiste décroche, en 1993, une victoire de la musique).
" Le clip est le déclencheur. Les gens demandent le "disque du clip dans lequel il y a un cheval qui tourne"
Au mixage, rassuré, Pascal Nègre ne mégote pas et confie, comme le souhaite Bashung, le clip à Jean-Baptiste Mondino, même si la douloureuse est sévère, "surtout pour un type qui vendait jusque-là 20000 albums!".
La chanson, comme les images vont marquer les esprits: "Le clip est le déclencheur. Les gens demandent le "disque du clip dans lequel il y a un cheval qui tourne"", s'amuse Pascal Nègre. Mondino choisit pour cadre le cirque Gruss... qui brûle quatre jours avant le tournage. "Nous avons dû recréer la piste en studio: un travail de titan pour construire un sol de terre assez épais pour faire courir le cheval Caïus", se souvient le photographe. Enfin Caïus galope, et parfois dérape, au rythme de la mélodie. Au centre, Bashung, dos à dos avec Nora, un top-modèle, redevient ce roi des scélérats à qui sourit la vie.
A l'arrière des berlines On devine Des monarques et leurs figurines Juste une paire de demi-dieux Livrés à eux Ils font des p'tits Il font des envieux
A l'arrière des dauphines Je suis le roi des scélérats A qui sourit la vie
Marcher sur l'eau Eviter les péages Jamais souffrir Juste faire hennir Les chevaux du plaisir
Osez osez Joséphine Osez osez Joséphine Plus rien n's'oppose à la nuit Rien ne justifie
Usez vos souliers Usez l'usurier Soyez ma muse Et que ne durent que les moments doux Durent que les moments doux Et que ne doux
Osez osez Joséphine Osez osez Joséphine Plus rien n's'oppose à la nuit Rien ne justifie
Osez osez Osez osez Osez osez Joséphine Osez osez Joséphine Plus rien n's'oppose à la nuit Rien ne justifie
A l'arrière des berlines
On devine Des monarques et leurs figurines Juste une paire de demi-dieux Livrés à eux
Ils font des p'tits Il font des envieux
A l'arrière des dauphines Je suis le roi des scélérats A qui sourit la vie
Marcher sur l'eau Eviter les péages Jamais souffrir Juste faire hennir Les chevaux du plaisir
Osez osez Joséphine Osez osez Joséphine
Plus rien n's'oppose à la nuit Rien ne justifie
Usez vos souliers Usez l'usurier Soyez ma muse
Et que ne durent que les moments doux Durent que les moments doux Et que ne doux
Dessous de song, par Jean-Daniel Beauvallet, Marc Besse et Jean Fauque. Ring.
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Bridget
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Sujet: Re: UNE HISTOIRE DE CHANSON .... Lun 21 Juil - 14:01
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The House Of The Rising Sun The Animals
The House of the Rising peut prétendre au titre de chanson « reprise par tout le monde et n’importe qui dans un grand n’importe quoi général ».
A en croire un site russe qui ne fonctionne plus ( !), il existerait deux-cents-cinquante enregistrements différents, étalés sur plus de soixante ans. Il est hors de question de dresser un tel inventaire dans ces lignes, rassurez-vous, il s’agit juste d’éclairer le sens de cette chanson légendaire en zoomant sur quelques versions et utilisations de la chanson qui se démarquent du lot.
D’ailleurs, pourquoi cette chanson est-elle si reprise ? Pourquoi cette chanson suscite t-elle tant d’attention ? Une question d’autant plus légitime lorsque l’on regarde rapidement la liste des groupes qui l’ont joué ; quel lien entre les aliens fluorescents eunuques de Muse et le grand maître Bob Dylan ? Entre Nina Simone et Toto ? On serait tenter de répondre le fric.
En effet, The House of the Rising Sun est une chanson dite « traditionnelle », cela signifie que n’importe qui peut la jouer sans payer de droits d’auteur, celui-ci étant inconnu. Nombre de groupes se sont jetés sur la chanson pour meubler un concert ou un disque, trop heureux d’avoir un (excellent) texte tout fait. Et puis reprendre une chanson « traditionnelle » ça fait bien, ça pose un musicien, ça fait érudit au nez creux, on se place dans le camp des « gens qui savent », et cela à peu de frais.
On regarde de haut la plèbe qui reprend Where Is My Mind ? en se disant « ah les pauvres fous, s’ils savaient ce que nous possédons ». Mais ce serait passer outre toute la force et la beauté d’une chanson qui a su traverser un siècle et sûrement davantage, et dont la portée dépasse toute considération financière.
Une origine incertaine donc, The House of the Rising Sun fait partie de ces véritables chansons populaires et remonte à une époque où la propriété artistique était le dernier des soucis.
Les paroles mêmes diffèrent selon les interprètes, mais quelques constantes restent. Ainsi, certaines versions mettent en scène une jeune fille qui suit son mari à la Nouvelle Orléans et devient une prostituée au bordel prénommé « The Rising Sun », alors que d’autres adoptent le point de vue d’un jeune homme, qui passe son temps dans le dit lupanar.
Cependant l’idée reste la même, celle de jeunes gens nés dans la misère, qui se lancent sur la route et qui sombrent dans l’alcool, la débauche et dans tous les pièges tendus sur leur parcours.
Dans les versions féminisantes, la jeune femme pleure d’avoir suivi à la Nouvelle Orléans son imbécile de mari ivrogne, ce qui la ruine et la force à se prostituer pour survivre dans un monde impitoyable.
Go tell my baby sister Never do like I have done To shun that house in New Orleans They call the Rising Sun.
My mother she’s a tailor ; She sold those new blue jeans. My sweetheart, he’s a drunkard, Lord, Lord, Drinks down in New Orleans.
Celles du point de vue masculin évoquent la vie sans but ni direction d’un jeune homme errant, qui gaspille son argent et son temps en fréquentant les bordels tout en se saoulant continuellement.
Oh Mother, tell your children Not to do what I have done Spend your life in sin and misery In the House of the Rising Sun
Le point commun entre ces deux protagonistes étant qu’ils se sont laissés aveugler et ont cédé à la facilité, puis ont regretté ces choix. Ils vont prévenir leur frères et sœurs de ne jamais, ô grand jamais, agir comme ils l’ont fait et retournent porter leur croix dans une souffrance assumée.
Well, I got one foot on the platform The other foot on the train. I’m going back to New Orleans To wear that ball and chain.
Il est intéressant de noter que cette strophe reste la même dans pratiquement toutes les versions. Il s’agit donc d’une chanson à forte résonance sociale.
The House of Rising Sun nous entraîne dans les méandres de la misère, dans les bas fonds d’une Amérique glauque, nation de rats, de crapules, d’alcooliques, de prostituées et de mères en pleurs.
Une terre où, derrière la cadillac et les grandes avenues de carte postale, il y a une majorité de perdants, de vagabonds, de personnes nées au mauvais endroit et que le capitalisme ne permet pas de faire vivre les hommes en harmonie .
Ainsi il n’est pas étonnant que l’une des grandes figures du folk contestataire, Woody Guthrie, ait repris la chanson en 1941. Son interprétation popularise The House of the Rising Sun au-delà du sud des USA ; la scène folk est alors en train de s’implanter à Greenwich Village à New York.
Sans être une « protest song » à proprement parler, son caractère à la fois personnel et social retient l’attention ; elle devient ainsi un standard qui s’impose largement dans le répertoire des folkeux.
De fait, le morceau figure sur le premier album de Joan Baez sorti en 1960 et Bob Dylan s’en empare pour son disque éponyme daté de 1962.
Relatons une anecdote connue mais significative à propos de cette version. Dylan pique l’arrangement et la mélodie à son ami Dave Van Ronk sans lui demander son accord, mais cependant il ne retouche pas les paroles. Vous me direz que c’est bien le principe de la reprise, mais à l’époque il n’est pas rare de remanier certains mots ou certains vers. Ainsi au-delà des accords, arrangements et des interprètes, c’est bien le texte de The House of the Rising Sun qui fait son intérêt. C’est aussi à cette époque que la chanson gagne en popularité. Nina Simone la reprend sur son album Nina at The Village Gate.
Comme les folkeux américains de tout poils la reprennent, leurs ambassadeurs français suivent naturellement le mouvement. Marie Laforêt chante à son tour la maison du soleil levant en 1963, contribuant à la diffusion du titre sur le vieux continent.
Mais c’est en Angleterre que se produit le déclic. En 1964, un jeune groupe emmené par Eric Burdon et Alan Price, The Animals, enregistre une version définitive du titre, la meilleure selon toute vraisemblance.
Habités par leur sujet (les années soixante sont dures pour la jeunesse anglaise, le pays est à reconstruire, ils rêvent d’émancipation et de liberté dans une société qui manque de tout et d’argent pour commencer) les Animals interprètent la chanson avec une virtuosité et une justesse exceptionnelle.
Les légendaires arpèges d’introduction, l’orgue magnifique de Price et le chant surpuissant de Burdon, tout file des frissons dans ce titre. D’autant plus que cette version est très novatrice, elle possède un son unique, comme du folk rock avec une touche bluesy, ce qui fait d’elle un hit immédiat.
The House of the Rising Sun jouée par les Animals devient n°1 dans les charts américains, un exploit pour un groupe anglais que seuls les Beatles avaient réussi auparavant ! C’est avec cette réussite que la chanson s’impose comme le véritable classique que l’on connaît. Comme tout hit anglais de l’époque, The House of the Rising Sun est adapté en français. Et c’est un certain Johnny Halliday qui chante donc Le Pénitencier. Sans être honteux, c’est complètement anecdotique. En revanche la version heavy psychée de Frijid Pink (1969) s’avère très bonne. A l’instar de Blue Cheer qui avait pulvérisé le Summertime Blues d’Eddie Cochran, Frijid Pink sort les pédales fuzz et wha wha pour une interprétation hallucinée (qui atteindra le top dix des ventes dans plusieurs pays d’Europe) qui vaut franchement le détour.
Le titre sera ensuite repris par quantité de groupes mais c’est bien la version des Animals qui reste une légende.
En 1995, le grand, l’unique, le génial, le réalisateur Martin Scorsese utilise la chanson pour l’épilogue de l’un de ses chefs d’œuvre, l’excellent Casino. Un film qui met en scène le parcours de deux mafieux (incarnés par la paire d’as Robert De Niro / Joe Pesci) dans le monde des casinos de Las Vegas. Ascension, succès, argent à plus savoir qu’en faire, ennemis, paranoïa, conflits et finalement trahison. Scorsese utilise The House of the Rising Sun pour sa séquence finale (l’une des meilleures qu’il m’ait été donné de voir), celle du règlement de compte ultime, où les anciens caïds se font finalement éliminer, implacablement, comme tous ceux qu’ils avaient auparavant dégagés de leur route, perdant tout ce qu’ils avaient tenté en vain de construire sur des fondations en sable.
C’est ici que la métaphore du « soleil levant » apparaît pleinement. Le « rising sun » est tout ce qui brille au point de nous aveugler et de nous faire perdre la tête. Le « rising sun », c’est le bordel infâme qui fait fantasmer les jeunes paumés de la Nouvelle Orléans, qui pensent trouver le bonheur dans une nuit de sexe achetée et alcoolisée.
C’est le faux Eldorado impitoyable de Las Vegas où l’on finit toujours par perdre. C’est le rêve américain que des millions de personnes ont cherché là où il n’était pas. C’est la course vaine à la célébrité. Ce sont tous ces moments où nous nous sommes laissés prendre par l’appât du gain, du pouvoir, de la notoriété, de la facilité, de la médiocrité. Tous ces moments où nous avons fuit le combat contre nous-mêmes, pour finalement pleurer sur le temps gâché.
The House of the Rising Sun nous rappelle que les regrets peuvent être plus lourds et plus difficiles à porter que toutes les chaînes du monde, et qu’on ne peut trouver le sens de son existence que par une lutte permanente, et tout d’abord par une lutte intérieure.
There is a house in New Orleans They call the Rising Sun And it's been the ruin of many a poor boy And God I know I'm one
My mother was a tailor She sewed my new bluejeans My father was a gamblin' man Down in New Orleans
Now the only thing a gambler needs Is a suitcase and trunk And the only time he's satisfied Is when he's on a drunk
Oh mother tell your children Not to do what I have done Spend your lives in sin and misery In the House of the Rising Sun
Well, I got one foot on the platform The other foot on the train I'm goin' back to New Orleans To wear that ball and chain
Well, there is a house in New Orleans They call the Rising Sun And it's been the ruin of many a poor boy And God I know I'm one
Dernière édition par Bridget le Sam 9 Aoû - 13:33, édité 1 fois
Bridget
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Sujet: Re: UNE HISTOIRE DE CHANSON .... Mer 6 Aoû - 14:13
Paint It Black The Rolling Stones
Paint It Black sort en 1966 en single et obtient tout de suite un grand succès, atteignant les sommets des charts des deux côtés de l’Atlantique. Pourtant, un malaise se crée au début en raison d’une virgule placée entre le « it » et le « black » sur l’édition originale du single. Beaucoup y voient alors une allusion raciste de la part des Stones.
Sur la version américaine d’Aftermath [1], où ce titre débute de façon brillante le LP, la virgule a heureusement disparu.
Les interprétations concernant ce morceau sont diverses. Il s’agit en tout cas de l’expression par un narrateur d’un état dépressif (qui voit justement tout en « black »). Plusieurs écoles s’affrontent alors sur les causes de cette dépression. L’interprétation la plus probable est celle du deséspoir amoureux à la suite de la mort de l’amante (“ With flowers and my love both never to come back ” ; “ If I look hard enough into the setting sun, / My love will laugh with me before the morning comes ”).
Mais plus tard, notamment grâce à l’utilisation de la chanson à la fin du générique du film de Stanley Kubrick, Full Metal Jacket, la chanson est devenue un des emblèmes du malheur créé par la guerre du Vietnam pour les soldats américains en revenant.
La « red door » du vers introductif (“ I see a red door and I want it painted black ”) peut, avec la mention du rouge, être alors vu comme une allusion au communisme combattu par les États-Unis et source de cette guerre. La porte rouge peut également représenter la Chine, le Vietnam se trouvant à ses pieds en Asie du Sud Est. Certains voient même la preuve de la référence guerrière de ce titre dans le fait que Jagger portait des vêtements militaires lorsque le groupe joua ce titre au Ed Sullivan Show en 1966.
Musicalement, l’histoire du morceau est tout aussi intéressante. Au départ, la chanson devait être beaucoup plus lente et soul. L’idée de départ vient d’une improvisation à l’orgue de Bill Wyman, imitant la musique jouée lors des fêtes de mariages juives. Là-dessus, Watts, accompagné du co-manager du groupe qui traînait par là, Eric Easton, a pondu une rythmique à tendance orientale pour un résultat finalement plus très rock.
Le coup de génie du morceau, qui le fera rester dans la mémoire collective, cette ligne de sitar électrique obsédante, est trouvée par Brian Jones pour couronner le tout. Richards affirma ensuite que cet usage de la sitar vient du fait que le groupe avait séjourné pendant quelques jours, peu de temps avant leur entrée en studio, aux Îles Fidji où les musiciens locaux fabriquent ce type d’instruments avec des peaux de melons. Ces instruments, très difficiles à jouer, car très fragiles, avaient alors fasciné les Stones. La sitar collait parfaitement pour la mélodie de Paint It Black. Le groupe avait essayé de la jouer à la guitare électrique mais le résultat n’était pas aussi satisfaisant.
Sur ce melting pot musical cosmopolite (comme quoi la grande qualité du rock est de savoir se nourrir de tout et de très bien le digérer), il ne restait plus à Jagger qu’à coller des paroles sombres sur cette mélodie euphorisante pour créer un effet de contre-point saisissant et très efficace.
Enfin, pour l’anecdote, notons que le vers “ I turn my head until my darkness goes ” est emprunté à l’œuvre de l’écrivain irlandais James Joyce : son fameux Ulysse. Qui a dit que les rockers ne lisaient pas romans ? Et les plus novateurs en plus !
1] Sur la version anglaise, on trouve à la place le titre Mother’s Little Helper
http://www.inside-rock.fr/Paint-It-Black
Paint it black
I see a red door and I want it painted black No colors anymore I want them to turn black I see the girls walk by dressed in their summer clothes I have to turn my head until my darkness goes
I see a line of cars and they're all painted black With flowers and my love, both never to come back I see people turn their heads and quickly look away Like a newborn baby it just happens ev'ryday
No more will my green sea go turn a deeper blue I could not forsee this thing happening to you If I look hard enough into the setting sun My love will laugh with me before the morning comes
I look inside myself and see my heart is black I see my red door and it has been painted black Maybe then I'll fade away and not have to face the facts It's not easy facing up when your whole world is black
I see a red door and I want it painted black No colors anymore I want them to turn black I see the girls walk by dressed in their summer clothes I have to turn my head until my darkness goes
I wanna see it painted black, painted black Black as night, black as coal I wanna see the sun, blotted out from the sky I wanna see it painted, painted, painted, painted black Yeah
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Dernière édition par Bridget le Sam 9 Aoû - 13:35, édité 1 fois
Bridget
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Sujet: Re: UNE HISTOIRE DE CHANSON .... Ven 8 Aoû - 19:56
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Nantes Barbara
Interprète d'exception à la voix troublante et savamment articulée, tour à tour fragile et mordante, mutine et acide, théâtrale et sensuelle, Barbara est entrée dans l'histoire de la chanson française comme l'un des plus grands auteurs compositeurs du XXe siècle. Comme nulle autre avant elle, elle a su exprimer à travers la grâce énigmatique de ses ritournelles atypiques toute la délicatesse et l'ambiguïté de sa sensibilité de femme.
Une écriture elliptique et précise, très imagée, abordant avec une élégance exquise des thèmes difficiles et personnels : l'amour interdit, l'enfance et la mort, la jeunesse enfuie, la solitude...
Un ton inimitable surtout - mélange de nostalgie embuée, de réalisme poétique, de fragilité impudique et d'humour tout à la fois tendre, noir, douloureux et féroce. Tout est là, offert d'emblée, d'un univers poétique d'une cohérence esthétique totale, que la chanteuse va s'appliquer dés lors à décliner en mille et une variations.
Le 5 novembre 1963, Barbara montait sur la scène des Capucins à Paris et entonnait une nouvelle chanson qu'elle venait de terminer seulement quelques heures auparavant : "Nantes". "Il pleut sur nantes/Donne moi la main/Le Ciel de Nantes/Rend mon coeur chagrin...".
Une chanson en souvenir de son père, disparu le 20 décembre 1959 à Nantes sans qu'elle n'ait pu le revoir. Il est vrai que la chanteuse, de son vrai nom Monique Serf, entrenait une relation complèxe avec ce dernier qui avait abusé d'elle quand elle était enfant et qui avait fini par quitter le domicile familial parisien en 1948 sans plus jamais donner de nouvelles.
Admis à l'hôpital Saint-Jacques où il devait décéder d'une tumeur cérébro-spinale, Jacques Serf avait demandé à voir sa fille dont il suivait la carrière alors débutante. Barbara arriva malheureusement deux jours trop tard. Mais au lendemain de l'enterrement, dans la fosse commune du cimetière Miséricorde (faute de moyens) elle commença à rédiger une chanson qu'elle ne devait terminer que 4 ans plus tard
Chanson époustouflante d'émotion, Nantes se présente à bien des égards à la fois comme la matrice et la pierre de touche de l'ensemble de l'œuvre de Barbara. Confession autobiographique à la fois très intime et d'une grande pudeur dans l'expression des sentiments, elle raconte avec un sens narratif imparable les retrouvailles manquées de la chanteuse avec son père, après des années de séparation. Créée en 1963 elle figure sur le mythique "album à la rose", Barbara chante Barbara, disque essentiel dans l'éclosion artistique de la chanteuse.
Enregistrée le 17 janvier 1964 dans l'émission "Chanson pour une caméra", présentée par Jacqueline Joubert, cette version somnambulique résume toute la magie de l'univers de Barbara. Ce qui frappe ici c'est, pour reprendre le titre de l'émission, à quel point la caméra se met au service de la chanson, la réalisation extrêmement précise dans son ascétisme volontaire, cherchant en évitant soigneusement tout effet de style ostentatoire, à donner à voir et entendre l'interprète dans toute sa vérité.
La mise en scène est minimale : un plan large de Barbara au piano, de profil, le regard dans le vague, avec en arrière-plan son contrebassiste pris dans un réseau d'ombres stylisé jouant sur toute la gamme des gris, se resserre imperceptiblement en un très lent travelling pour ne plus cadrer que son visage où se concentrent grâce à ses extraordinaires talents d'interprète toutes les nuances d'humeur de la chanson. Tout est dit.
Il pleut sur Nantes Donne-moi la main Le ciel de Nantes Rend mon cœur chagrin
Un matin comme celui-là Il y a juste un an déjà La ville avait ce teint blafard Lorsque je sortis de la gare Nantes m´était encore inconnue Je n´y étais jamais venue Il avait fallu ce message Pour que je fasse le voyage:
"Madame soyez au rendez-vous Vingt-cinq rue de la Grange-au-Loup Faites vite, il y a peu d´espoir Il a demandé à vous voir."
A l´heure de sa dernière heure Après bien des années d´errance Il me revenait en plein cœur Son cri déchirait le silence Depuis qu´il s´en était allé Longtemps je l´avais espéré Ce vagabond, ce disparu Voilà qu´il m´était revenu
Vingt-cinq rue de la Grange-au-Loup Je m´en souviens du rendez-vous Et j´ai gravé dans ma mémoire Cette chambre au fond d´un couloir
Assis près d´une cheminée J´ai vu quatre hommes se lever La lumière était froide et blanche Ils portaient l´habit du dimanche Je n´ai pas posé de questions A ces étranges compagnons J´ai rien dit, mais à leurs regards J´ai compris qu´il était trop tard
Pourtant j´étais au rendez-vous Vingt-cinq rue de la Grange-au-Loup Mais il ne m´a jamais revue Il avait déjà disparu
Voilà, tu la connais l´histoire Il était revenu un soir Et ce fut son dernier voyage Et ce fut son dernier rivage Il voulait avant de mourir Se réchauffer à mon sourire Mais il mourut à la nuit même Sans un adieu, sans un "je t´aime"
Au chemin qui longe la mer Couché dans le jardin des pierres Je veux que tranquille il repose Je l´ai couché dessous les roses Mon père, mon père
Il pleut sur Nantes Et je me souviens Le ciel de Nantes Rend mon cœur chagrin
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Bridget
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Sujet: Re: UNE HISTOIRE DE CHANSON .... Sam 9 Aoû - 13:26
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Heroes David Bowie
La chanson-titre du douzième album studio du plus célèbre dandy anglais est considérée comme l’une des meilleures de Bowie. Comme le raconte Tony Visconti, bassiste et producteur de Bowie mais également ami de longue date, ce classique du rock a été produit à partir d’une folle improvisation et d’une brillante technique de studio :
« David était toujours prêt à essayer de nouvelles techniques d’enregistrement. Dans un studio où il y avait une telle résonance, il est courant d’enfermer le chanteur entre quatre cloisons amovibles. Au contraire, j’ai voulu utiliser l’écho. Alors j’ai installé trois micros avec des « portes » électroniques dessus. Elles ne s’ouvraient que si David chantait au-dessus d’un certain volume. Il a fallu à peu près une demi-heure d’essais pendant lesquels David passait du murmure au cri, mais tout a marché super bien quand j’ai trouvé le bon niveau.
La réverb qu’on entend sur « Heroes » est naturelle mais filtrée par les « portes ». On a fait les paroles en même temps que la voix. Il a écrit ou modifié un couplet précédemment écrit en le chantant, me demandant d’arrêter la machine le temps qu’il change une phrase ou deux. Au bout de deux heures, on avait des paroles et un enregistrement vocal définitifs, qui s’étaient faits presque simultanément.
Après, David et moi on a chanté les chœurs, en améliorant certains vers et en y répondant. On peut entendre mon charmant accent de Brooklyn dans des passages comme ’I remember’ et ’By The Wall’. Il a été écrit par erreur que Brian Eno et David avaient chanté l’accompagnement de « Heroes », mais il est clairement dit sur l’album qu’ils ont été faits par David, moi-même, et quelquefois Antonia Maas, une chanteuse qu’on avait rencontrée dans un club à Berlin.
Antonia et moi on se plaisait, et cet après-midi-là, on a laissé David seul, afin qu’il soit tranquille pour écrire les paroles. On s’est arrêtés près du Mur et on s’est embrassés. David nous a vus depuis la fenêtre de la salle de mixage et ça lui a inspiré un couplet. »
Une autre version bien différente circule quant à l’origine du titre. Durant son séjour à Berlin, Bowie avait eu l’occasion de visiter le Brücke-Museum à plusieurs reprises et une pièce de la collection retint alors particulièrement son attention.
Otto Mueller, l’un des peintres préférés de l’Anglais à l’époque se trouvait exposé et son oeuvre de 1916 baptisée Lovers Between Garden Walls, où deux amoureux s’embrassent aux abords du Mur, fut la source d’inspiration pour les couplets.
« Heroes » est le River Deep - Mountain High de Bowie. C’est un énorme mur du son ; un bloc de son monotone, répétitif, menaçant, mécanique, invincible. On imagine Bowie debout dans la décadence froide des studios Hansa, faisant voler en éclats les « portes » des micros de Visconti pour produire l’un de ses meilleurs moments. Les bribes de répétition dramatique - « I, I will be King » - s’inscrivent non pas dans la tradition pop mais de celle des grandes ballades de variétés (rappelant le « I, I who have nothing » de Shirley Bassey).
L’histoire d’amour impossible entre un couple et l’isolation qu’évoque le Mur sont bien sûr évidents car l’imagerie du Mur du Berlin domine « Heroes ». Pour Bowie, le Mur n’était pas seulement un symbole d’isolation, ni même de tyrannie ou de division politique. Il représentait aussi sa vie passée en tant qu’idole du rock. De l’autre côté se trouvait un mode de vie nouveau, moins affecté par la dépendance, moins obsessionnel.
Quand il chantait « We can be heroes, just for one day », il reconnaissait que l’avenir ne lui appartenait plus. Il appartenait à tous. Exactement comme Warhol avait prédit un quart d’heure de gloire à tous dans les années 60, Bowie, comme le punk rock lui-même, annonçait un avenir d’héroïsme pour tous, pas seulement pour une élite.
En octobre 1977, Bowie chantait « Heroes » à Top Of The Pops (pour sa deuxième apparition live à l’émission, bizarrement), et le groupe The Stranglers nous rappelait qu’il n’y avait plus de héros avec la parution de son deuxième album No More Heroes.
A ce titre, « Heroes » (dans sa version raccourcie pour les radios) demeure l’un des titres les plus importants de ses prestations scéniques, tellement puissant que certains groupes s’en rappelleront au moment de rentrer en studio.
Que ce soit Alfie Davison et son Love Is Serious Business, The Jesus And Mary Chain pour Darklands, Suede avec Trash ou, comble de l’ironie, Bowie lui-même pour les titres Boys Keep Swinging et Teenage Wildlife, tous doivent une dette à ce morceau déchirant de simplicité et gorgé d’émotion.
I, I will be king And you, you will be queen Though nothing will drive them away We can beat them, just for one day We can be Heroes, just for one day
And you, you can be mean And I, I'll drink all the time 'Cause we're lovers, and that is a fact Yes we're lovers, and that is that
Though nothing, will keep us together We could steal time, just for one day We can be Heroes, for ever and ever What d'you say?
I, I wish you could swim Like the dolphins, like dolphins can swim Though nothing, nothing will keep us together We can beat them, for ever and ever Oh we can be Heroes, just for one day
I, I will be king And you, you will be queen Though nothing will drive them away We can be Heroes, just for one day We can be us, just for one day
I, I can remember (I remember) Standing, by the wall (by the wall) And the guns shot above our heads (over our heads) And we kissed, as though nothing could fall (nothing could fall) And the shame was on the other side Oh we can beat them, for ever and ever Then we could be Heroes, just for one day
We can be Heroes We can be Heroes We can be Heroes Just for one day We can be Heroes
We're nothing, and nothing will help us Maybe we're lying, then you better not stay But we could be safer, just for one day
Oh-oh-oh-ohh, oh-oh-oh-ohh, just for one day
Songwriters ENO, BRIAN / BOWIE, DAVID
Published by Lyrics Universal Music Publishing Group, TINTORETTO MUSIC, EMI Music Publishing
Version live sublime .....
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liliane Admin
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Sujet: Re: UNE HISTOIRE DE CHANSON .... Ven 22 Aoû - 11:20
RENAUD RACONTE : DÈS QUE LE VENT SOUFFLERA
Les Francofolies ont 30 ans. L'occasion d'une balade estivale à travers des succès cultes. Dernière escale: Dès que le vent soufflera, inspiré à Renaud en 1983, lors d'une traversée de l'Atlantique. En exclusivité pour L'Express, il commente sa chanson.
"La mer représentait la liberté, le voyage, l'aventure, les galères", raconte Renaud. AFP
Perfecto, cheveux jaunes, regard de bitume, Renaud est une silhouette familière du Marais. Il a fait la manche dans la cour du Café de la Gare, "Comédie-Française post-soixante-huitarde", selon Romain Bouteille, son fondateur. Vécu sur place la "fête au pinard" avec les bandes de Hara-Kiri et du Grand Magic Circus. Chanté son premier album à la Pizza du Marais (aujourd'hui, les Blancs-Manteaux). Et fait l'acteur dans La Revanche de Louis XI à La Veuve Pichard, l'actuel Point-Virgule.
Service de presse
Renaud (Séchan) a finalement posé sa guitare et sa collection de bédés à deux pas, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, dans le studio mezzanine de Dominique, rencontrée sur scène. C'est le temps des cafés-théâtres et des troupes inséparables. Coluche a même acheté des mob' à ses potes pour qu'ils se rendent d'un lieu à l'autre.
Depuis le phénomène Laisse béton (1977), Renaud a enchaîné trois 33-tours. Il a épousé Dominique, divorcée de Gérard Lanvin - le Gérard Lambert de la chanson. Lolita est née l'été 1980. Mitterrand a été élu président en mai 1981.
Larguer les amarres
C'est un homme heureux, un jeune papa (30 ans), célèbre et courtisé. Trop? Renaud songe à larguer les amarres, il se fait construire un bateau. Lors d'un dîner chez lui, il confie à l'amie Dominique Lavanant son projet de prendre la mer. Réaction de la comédienne, citant Kessel : "C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme." A raison : son père s'est noyé à Morlaix quand elle avait 2 ans - lui, 27. "Dès que le vent soufflera est parti de cette phrase", se souvient aujourd'hui Renaud, de son refuge de L'Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse). "Et, renchérit Dominique Lavanant, comme je venais de lire la biographie de W.C. Fields, j'ai ajouté : "Tu sais qu'il ne boit jamais d'eau, à cause de toutes ces choses que font les poissons dedans."" Traduit en langage Renaud : "La mer, c'est dégueulasse, les poissons baisent dedans."
Automne 1982. Patrick Dewaere s'est suicidé, un attentat antisémite a ensanglanté la rue des Rosiers, à Paris, et le terme "aids" fait son apparition aux Etats-Unis. Les Séchan embarquent sur une goélette de 14 mètres, Makhnovtchina, du nom de l'action révolutionnaire ukrainienne de 1917.
"Pour moi, la mer représentait la liberté, le voyage, l'aventure, les galères", raconte Renaud. Et, bien sûr, les chants de marins. A Los Cristianos, sur la côte sud de Tenerife, la plus grande des îles Canaries, il sympathise avec les matelots d'un cargo français. "J'ai pris l'apéro dans leur carré, et ils se sont mis à entonner Fanny de Recouvrance. Je l'ai chantée ensuite de port en port."
Nausée au couplet, entrain au refrain
Dès que le vent soufflera a jailli sur Makhnovtchina, de retour des Antilles vers la France métropolitaine. "Exactement le 23 juin 1983, précise Renaud. Lolita était sur mes genoux. La musique m'est venue en même temps que le texte : je relate ma vie à bord de façon humoristique, pleine d'autodérision." C'est un peu le Lucien en santiags de Margerin qui "vomit son quatre-heures" sur le trois-mâts d'Hugues Aufray. Nausée au couplet, entrain au refrain : "Dès que le vent soufflera, je repartira / Dès que les vents tourneront nous nous en allerons (de requins)." Tout Renaud est dans cette parodie débraillée. La nostalgie d'écolier (le rituel du goûter, la référence à Santiano), les mots d'enfant (de Lolita), les images insolites d'un loubard sur le pont, l'accent lyrique et les calembours. La parole à Hugues Aufray, qui fut son modèle : "C'est un bel hommage. Nos deux chansons se sont croisées, comme nos destinées."
Un choeur de vannes et de mouettes
Studios Rumbo Recorders, Los Angeles. Renaud enregistre son sixième album avec des musiciens américains. Les arrangeurs Jean-Philippe Goude, Gérard Prévost et Alain Ranval l'accompagnent. Le vagabond redevenu citadin égrène des chroniques sociales énervées (Deuxième Génération ; Déserteur), des pages de son carnet de voyage (Dès que le vent soufflera) et de son journal intime (En cloque; Morgane de toi), puis il clôt sa galerie de zonards - Loulou en dresse un ultime portrait, vieillissant.
"Cela ressemble à un adieu à cette famille de substitution", note Alain Wodrascka, auteur de Renaud, et s'il n'en reste qu'un (Hugo & Cie). Morgane de toi, dédié à Lolita, paraît en septembre et s'ouvre par Dès que le vent soufflera, chant de loup de mer avec son choeur de foudres, de vannes et de mouettes. "Les musiciens, des pointures, des requins de studio, devaient être un peu déroutés, mais ils n'en ont rien montré", sourit Renaud. Trois singles ont fait le succès de Morgane de toi, écoulé à 1 million d'exemplaires, mais Dès que le vent soufflera n'a jamais été édité en 45-tours.
C'est pourtant aujourd'hui l'air le plus diffusé de tout le répertoire de Renaud, avec Mistral gagnant. Et l'un des plus connus. Y compris des navigateurs. Dans le morceau, Renaud la provoc' n'hésite pas à dire "lapin" à leur adresse : mot maudit, il est interdit de le prononcer sur un bateau, par superstition (le lapin ronge le bois et les cordages). "Les marins ont adoré la chanson et certains navigateurs aussi, comme Eugène Riguidel, mon ami, et Marc Pajot... rappelle Renaud. Sauf Florence Arthaud, qui a mis du vernis à ongles sur la bande de la cassette, pile au moment du mot "lapin"...
Grâce à Dès que le vent soufflera, j'ai même croisé Eric Tabarly lors d'une émission de télévision... Pour une fois que j'ai de l'admiration pour un militaire." L'année suivante, Renaud parraine et sponsorise un trimaran de course, le Gérard Lambert.
Marins d'opérette
"L'équipée maritime de Renaud aurait pu faire sourire dans le milieu, ou être prise avec condescendance, note Titouan Lamazou, qui illustrera plus tard la pochette de Boucan d'enfer. La chanson a fait rire, on était flattés qu'il évoque notre métier. Et puis, il avait un peu pris de court les critiques à propos de son voyage de plaisancier, notamment en parlant dans le texte de Riguidel, réputé pour avoir du bien." Alors, Dès que le vent soufflera, chant de marin ? Chant de mer ? "Le style décalé, caustique, sur les marins d'opérette ou d'occasion reste très urbain, argumente Pierre Morvan, président du Festival du chant de marin de Paimpol. Ce n'est pas une chanson de marins-pêcheurs, plutôt une invitation à larguer les amarres."
Reprise par le groupe Les Marins d'Iroise, qui la placent en concert juste avant Santiano, et, récemment, sur l'album La Bande à Renaud (Renan Luce, Nolwenn Leroy, Bénabar, Carla Bruni, etc.) en hommage au chanteur, ce tube atypique est entré dans l'imaginaire collectif, dans les chorales, les écoles, les clubs de voile, les colos, les bordées. "Renaud s'est emparé du lexique de la marine, des images d'Epinal et des clichés, et il en a fait un air emblématique, commente Alain Lanty, pianiste du chanteur, à l'origine du CD La Bande à Renaud. Toutes les tournées en Bretagne ont été de grandes réussites." Dès que le vent soufflera a toujours figuré dans les tracklistings pour enflammer le public en fin de concert.
Le fameux "tatatsin", "cri de guerre de visage pâle", dixit Renaud, joué sur une guitare désaccordée, annonce le côté tragique, cinématographique de l'histoire, puisque les chansons de marin sont toujours désespérées.
Déclinée en bande dessinée
Dès que le vent soufflera,avec ses rimes pleines de gags, a été logiquement déclinée en bande dessinée : en 1988, dans l'ouvrage collectif Les Belles Histoires d'Onc' Renaud (Delcourt) et, au printemps dernier, dans "Renaud, chansons à la plume et au pinceau(Carpentier). Auteur de la première adaptation, Michel Plessix a inversé les couplets, "pour créer une histoire". Il a ajouté des pirates des mers de Chine chers aux lecteurs de bédés et introduit la menace contemporaine d'une marée noire.
La seconde, signée Jean-Marc Héran, insiste, "à la fois sur le rêve de gosse d'aventurier de Renaud et sur son côté baudelairien". "Renaud l'ami, moitié de marin, petit frère des hommes, cher chansonnier", écrivait jadis Jean Vautrin. Le fameux "Dès que le vent soufflera, je repartira" a traversé les générations et court toujours sur les ondes. Mais Renaud ne couche plus, sur du papier blessé, sa révolte et ses
désillusions. Son dernier album, Molly Malone, une collection de ballades irlandaises, remonte à 2009. Le prochain, c'est quand il voulera.
"C'est pas l'homme qui prend la mer C'est la mer qui prend l'homme." Moi la mer, elle m'a pris Je m'souviens, un mardi. J'ai troqué mes santiag' Et mon cuir un peu zone, Contre une paire de docksides Et un vieux ciré jaune. J'ai déserté les crasses Qui m'disaient : "Sois prudent La mer c'est dégueulasse Les poissons baisent dedans!" [...] Dès que le vent soufflera, je repartira Dès que les vents tourneront, nous nous en allerons... Paroles et musique de Renaud Séchan.
Dernière édition par liliane le Jeu 4 Jan - 10:45, édité 1 fois
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Sujet: Re: UNE HISTOIRE DE CHANSON .... Sam 12 Nov - 6:47
Hallelujah de Leonard Cohen : l'histoire secrète d'un titre mythique
Par Elena Scappaticci
Avant de devenir un hymne universel psalmodié lors de nombreuses cérémonies, le titre Hallelujah, dont la première version paraît en 1984, a longtemps été ignoré du grand public. Retour sur la trajectoire extraordinaire de cette chanson.
Il s'agit sans doute de la prière profane la plus populaire de l'histoire de la musique.Tout commence à l'orée des années 80. Au moment d'entamer son septième album, Leonard Cohen traverse une crise artistique majeure. Le chanteur peine à se reconvertir et craint plus que tout d'apparaître aux yeux des fans comme désuet. Recent Songs, son album le plus classique, qui sort en 1979, ne marche pas. Cohen entre alors dans une période de remise en question qui le pousse à reconfigurer en profondeur son écriture.
C'est dans ce contexte tourmenté que l'artiste accouche dans la douleur de la première version du texte d'Hallelujah, en 1980. «J'ai rempli deux carnets de notes et je me souviens m'être retrouvé au Royalton Hotel de New York, en sous-vêtements sur la moquette, me cognant la tête sur le sol en me lamentant de ne pas pouvoir finir cette chanson», confiait-il aux journalistes l'interrogeant sur la genèse de son chef-d'oeuvre.
Un véritable sacerdoce pour l'auteur, qui avouera à Bob Dylan avoir pris deux ans pour composer cet hymne. Il faut dire qu'avant de retenir les cinq sublimes couplets de la version finale d'Hallelujah, Leonard Cohen en aurait écrit pas moins de... 80.
Un texte érotique devenu chant de Noël
Leur examen détaillé confirme la dimension follement sexuelle d'un texte devenu pourtant l'un de nos chants de noël préféré... Au-delà de l'incantation mystique suggérée par le titre, les références bibliques dont le chanteur parsème son texte composent en réalité une ode érotique à l'amour charnel. Une gentille sournoiserie de la part de l' impénitent Cohen pour qui la sexualité reste liée à l'obsession du péché originel...
Comme le relevait dès 2005 le journaliste du Sunday Times Bryan Appleyard, dont les propos sont rapportés par le magazine Les Inrocks, Hallelujah est avant tout le texte de la faiblesse humaine vis-à-vis de la chair. Une dimension certainement demeurée inaperçue du studio Dreamworks, qui choisira de faire du titre la BO du dessin animé Shrek...
Les nombreux indices disséminés dans le texte confirment pourtant cette interpétation pour le moins sulfureuse. Le choix des références, d'abord. Il y a David, le roi de l'Ancien Testament, amoureux de la belle Bethsabée, et puis la sublime tentatrice Dalila, qui fait son apparition dès le deuxième couplet de la chanson.
Dans la louange au seigneur adressée par Leonard Cohen à Dieu, de nombreux commentateurs perçoivent ainsi une apologie détournée de l'orgasme... «And from your lips she drew the Hallelujah/Et de tes lèvres elle a tiré l'Hallelujah...» Une interprétation jamais démentie par le chanteur canadien et confirmée par la reprise qu'en fera John Cale quelques années plus tard. Reprenant certains des couplets abandonnés par Leonard Cohen, l'ex membre des Velvet Underground livre une version enrichie de l'hymne dont la connotation nettement plus sexuelle ne peut cette fois être contestée...
Un pari gagnant pour Leonard Cohen puisque cette première reprise permet enfin au titre d'accéder à la notoriété. Jeff Buckley renchérit dans l'érotisme avec son interprétation désormais mythique d'Halleluyah, auquel le jeune artiste apporte en 1994 sa sensualité démoniaque et sa mélancolie absolue.
Le début de la gloire pour un titre qui sera désormais décliné à l'infini dans les télé-crochets musicaux tels qu'X-factor, transformé en sonnerie de téléphone ou parachuté dans des séries à succès (The OC, The West Wing). On dénombre entre 180 et 200 reprises du titre, qui aurait été le plus téléchargé en 2004... Depuis Jeff Buckley, la reprise la plus touchante est certainement celle de Rufus Wainwright, beau-fils de Leonard Cohen, qui livre de sa voix rauque et éraflée une interprétation lancinante du titre pour la bande-originale de Shreck. Un beau clin d'oeil familial qui permet, en 2001, d'associer de nouveau l'artiste à une chanson née dans la douleur et dont il aura très tôt été dépossédé.