La disparition de Jiwa illustre les déboires des sites de musique en ligne gratuite
Le tribunal de commerce de Paris a prononcé, le 29 juillet, la liquidation judiciaire de Jiwa, site d'écoute de musique en "streaming" (sans possibilité de téléchargement). Jiwa.fr devrait progressivement disparaître à partir de mercredi 4 août. C'était un des pionniers du genre dans l'Hexagone, à proposer de la musique gratuitement mais légalement, contre la vente d'espaces publicitaires en ligne.
Jiwa a été créé en 2006 par Jean-Marc Plueger, un entrepreneur, et Thierry Rueda, ancien producteur, et fondateur des labels Omnisonus, Apricot et Inca. "Au début, comme d'autres, leur offre était illégale. Jiwa s'est surtout distingué en proposant, le premier, un lecteur de musique en streaming pour le réseau social Facebook", rappelle Philippe Axel, spécialiste de la musique numérique (et auteur de La Révolution musicale, éd. Pearson Village Mondial, 2007).
La start-up était parvenue à une audience d'un million de visiteurs uniques par mois pour un catalogue de 4,8 millions de titres. Mais "nous faisions face à trois gros problèmes. D'une part, l'écrasante concurrence d'Apple, qui pèse à lui seul plus de 70 % du marché de la musique numérique. D'autre part, le piratage qui continue à représenter 90 % de la consommation réelle de musique sur le Web. Le troisième, ce sont les minima garantis, qui nous ont complètement plombés", explique M.Plueger.
"LICENCE GLOBALE"
Ces "minima", ce sont les sommes que les maisons de disques (Universal Music, Warner Music, EMI, Sony Music) exigent chaque année des acteurs de l'Internet distributeurs de leurs titres numérisés, en plus d'une fraction des revenus publicitaires. Et ce, indépendamment de la consommation réelle de ces titres sur le Web. "En tout, en 2009, pour avoir accès à un catalogue conséquent, nous avons dû verser 1 million d'euros de minima aux maisons de disques, alors que nous n'avons réalisé qu'un chiffre d'affaires de 300 000 euros…, déplore M. Plueger. Nous avons bien essayé de préparer une offre payante pour augmenter nos revenus, mais les majors ont alors exigé une augmentation des minima garantis !", assure l'entrepreneur.
Il fondait aussi beaucoup d'espoirs sur la "Carte musique jeune", une initiative du gouvernement lancée début 2010 pour soutenir la création musicale et les petits distributeurs (chaque jeune se voit accorder un crédit de 50euros par an pour acheter de la musique en ligne). Elle devait être inaugurée à l'occasion de la Fête de la musique, le 21 juin, mais son lancement a été repoussé à l'automne. "Nous avons été extrêmement déçus, nous pensions qu'elle pouvait nous sauver", regrette M. Plueger.
L'échec de Jiwa prouve à quel point l'équation économique de la musique numérique est compliquée. Tous ses concurrents connaissent les mêmes affres, à des degrés divers. Deezer, le plus populaire du genre en France, a récemment dû se résoudre à s'adosser à Orange-France Télécom, qui devrait entrer à son capital. Son offre payante (5 ou 10 euros par mois), lancée fin 2009, n'a été souscrite que par 25 000 clients.
La solution pour que ces petites plates-formes aient des chances de subsister ? M. Axel est un des défenseurs de la "licence globale", une rétribution forfaitaire versée par les distributeurs de musique en ligne aux ayants droit en fonction de la consommation réelle des titres, à laquelle s'opposent toujours les majors.
A la manière de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), pour les diffusions radiophoniques. D'ailleurs, "si c'était à refaire, je me serais plutôt lancé dans une webradio", avoue M.Plueger.
Cécile Ducourtieux
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