BENJAMIN BIOLAY DISCOGRAPHIE

Acteur honorable - chez Honoré, Chambre 212, l’an dernier, par exemple - autant que serial lover exposé aux téléobjectifs fouineurs, c’est encore en auteur-compositeur-interprète-arrangeur-producteur qu’on préfère la trombine du tromboniste jadis primé, devenu grand pourvoyeur de la chanson française. Très prolifique, si l’on ajoute ses innombrables collaborations - du tremplin Chambre avec vue, qui relancera sur le tard la carrière d’Henri Salvador, aux récents tandems avec Melvil Poupaud, Isabelle Boulay ou Sophie Calle, Benjamin Biolay tourne à une moyenne perso d’un album tous les deux ans.




Joué en quartet, plus cordes additionnelles et featurings «intimes» (Chiara M., Keren Ann…) Grand Prix porte ainsi le dossard numéro 9 - à lire aussi, ici, au sens «inédit» du terme - et force est d’admettre que, relevant le défi d’un titre un chouïa flambeur, l’affaire tient la route. Succédant au diptyque Palermo Hollywood /Volver, qui consacrait l’Argentine, les treize pistes du moment vont cette fois bon train, en direction des grandes heures calcinées de Madchester, déroulant en circuit fermé un spleen impérieux, introduit par le premier single, Comment est ta peine ?, confirmation obsessive d’un songwriting leste appelant d’autres lendemains qui (dé) chantent.

Que signifie la pochette très construite de Grand Prix, au centre de laquelle vous figurez, en combinaison blanche, sur un circuit ?

Je souhaitais rendre hommage à la course automobile, confrérie sportive unie par la joie et les drames, dont la dimension glamour renvoie d’un certain sens à l’univers du rock. On y voit la monoplace bleue de Jean-Pierre Beltoise [pilote vedette dans les années 60 et 70, ndlr], un mécano, qui n’est autre que son fils, une jolie fille, un homme en flammes, clin d’œil à certaines pochettes illustres, telles le Wish You Were Here de Pink Floyd, ou le premier album de Rage Against the Machine.

La voiture servant ici de fil conducteur, Grand Prix brigue-t-il le statut de concept album ?

Oui. (Il sourit) C’est un peu ma Mort d’Orion [allusion à l’album de Manset]. Je pense qu’avoir un cadre prédéfini, avec un cahier des charges, me permet d’écrire des textes plus sincères, là où une simple addition de chansons pourrait prêter le flanc à une certaine «autocensure».

Quel type de conducteur êtes-vous ?

Banal. Pourtant, au risque de tutoyer le cliché d’une vie courte mais intense, j’aurais bien aimé être pilote. Cela dit, j’ai eu l’occasion de monter comme passager à bord d’une Formule 1 à deux places et, plus que la vitesse pure, c’est le freinage qui m’a fasciné. Car pousser une pointe à 320 km/h, n’importe qui peut le faire, mais ralentir à seulement quarante mètres d’un virage en épingle, ça, c’est une autre histoire.

La quasi-totalité des treize titres de l’album manient le passé composé ou l’imparfait…

Car je m’y sens plus à l’aise, d’un point de vue esthétique notamment. De même que le futur ou le conditionnel ne me semblent pas très compliqués. Contrairement à l’usage du présent, qu’un Gainsbourg par exemple employait volontiers. Moi, j’aurais plutôt chanté «J’ai eu la chance d’aller et venir entre tes reins…» En général, je démarre sur une forme d’écriture automatique, avant de structurer le cheminement du récit, en premier lieu inspiré par ce que j’ai ressenti. D’où ce temps de décalage nécessaire entre la prise d’information et le moment où je vais la transformer en chanson.

D’une tonalité très saturnienne…

Qui m’est propre, sans préméditation. D’autant qu’à titre personnel, je ne viens pas de traverser les deux plus belles années de ma vie, dans un contexte social lui-même particulièrement dur. Je suis ainsi très tracassé par la situation de l’Argentine, pays devenu ma deuxième patrie qui, après avoir surmonté tant bien que mal la terrible crise économique d’il y a vingt ans, est à nouveau en train de s’écrouler.


Cependant, Grand Prix s’inspire plutôt d’une mélancolie dansante héritée de la mythologie pop mancunienne des années 80-90. Laquelle fait écho, dans mon cas, à l’éveil d’une conscience sociale et politique, en plein essor des radios libres. Souvenirs jouissifs de H2 Ondes, diffusant Big Audio Dynamite ou The Cars, que j’écoutais à Villefranche-sur-Saône ; des fausses pochettes de disques que je dessinais, ado, crédits inclus ; de la première boîte à rythmes qui arrive chez un pote ; du punk de service qui renonce à jouer de la guitare comme un pied pour se mettre aux claviers ; des lignes de basse d’une simplicité biblique mais si efficaces de New Order ; d’un cousin apportant à la maison des vinyles qu’on copiait sur cassettes. Je savais à l’époque ce que j’aimais, mais n’étais plus trop sûr de ce que je n’aimais pas.

Une généalogie qui, au présent, déboucherait sur…

Julian Casablancas, dont je suis un fan hardcore, ainsi que de plusieurs signatures de son label, Cult Records, tel The Voidz. Il sait tout faire : compositions, mélodies, harmonies, dans cette tradition post-Jim Morrison des crooners chantant du rock. Il possède une tessiture assez folle et peut employer l’Auto-Tune comme personne. Sans nier le fait que le dernier album des Strokes n’est pas leur meilleur, il reste celui que j’ai écouté avec le plus de plaisir au cours des semaines écoulées. Ensuite, si on veut ajouter d’autres noms, je citerai la soul d’un type aussi merveilleux que Frank Ocean, Damon Albarn, Alex Turner, The Black Keys…

Auriez-vous conçu le même album six mois plus tard ?

Je suis sûr que non. Il y avait une très bonne ambiance pendant l’enregistrement, avec une forme d’insouciance qui, jusqu’à nouvel ordre, n’est plus d’actualité. Si je devais rentrer demain en studio, je craindrais que le caractère exceptionnel de la situation ne crée une nouvelle distance. De même, je n’aurais pas aimé avoir encore des textes en chantier, de peur de les souiller en y injectant trop de quotidien.

Quelles incidences a eues la pandémie sur Grand Prix ?

Une pochette finalisée à distance, une partie de la promo aussi. Mais c’est surtout la suite qui s’annonce vertigineuse. J’ai eu le nez creux en ne voulant pas tourner juste après la sortie du disque - pas envie de me retrouver dans les festivals, à astiquer quelques titres façon miss France entre Massive Attack et Bruel. En revanche, des dates sont mises en vente pour l’automne, dont un Olympia. Mais, pour des raisons autant économiques qu’artistiques, je suis, en l’état, bien incapable d’envisager une salle limitée au tiers ou à la moitié de sa capacité : comment garantir des salaires décents aux techniciens ? Ou imaginer postillonner dans une embouchure ? Du coup, ma ligne actuelle serait : pas de vaccin, pas de concert.

Quel regard le citoyen et l’artiste portent-ils sur la gestion de la crise sanitaire ?

Globalement, disons que le premier est plus préoccupé que le second. Au-delà de la nature même de la pandémie, qui aura eu pour seul «mérite» de replacer le système de santé au centre des débats, la com gouvernementale m’a paru catastrophique. Déjà, employer le mot «guerre», comme l’a fait Macron : qu’est-ce que c’est que ce pays où les mots n’ont plus de sens ? Puis il y a eu cette série assez dingue de cafouillages, précédée par l’exfiltration de la ministre de la Santé, pour qu’elle aille se prendre une branlée aux municipales et tout ça parce que Machin était allé tremper sa bite comme un con !


Quant à la culture, elle se trouve de facto exclue des grands enjeux, avec un ministre porté disparu, incapable de négocier son budget, alors qu’il ne me semble guère compliqué de démontrer à quel point elle incarne la richesse de la France. Pourtant, parler culture dans le cadre d’une campagne est perçu comme casse-gueule, et dans n’importe quel meeting de province, aborder la question équivaut à se sentir hors-sol ! Je n’oublie pas que j’ai débuté au côté de l’Affaire Louis Trio, groupe lui-même lancé par un concours organisé par le ministère de la Culture, Rock envol, dont le premier prix était un single enregistré chez Barclay, Ce soir, en l’occurrence. Mais c’était sous Jack Lang, une tout autre époque.

Mais quelqu’un pourrait-il reprendre le flambeau, justement, quand on voit l’échec par exemple d’une Françoise Nyssen, pourtant adoubée par le milieu ?

Oui, il reste des compétences. Pourquoi pas un Thierry Frémaux… pour autant qu’il accepte de ne gagner que l’équivalent du salaire de son assistant ? C’est un homme qui possède une très grande force de travail, doublée d’une extraordinaire capacité de synthèse.

Les années passant, comment digérez-vous le versant people du métier ?

Si cet aspect intrusif m’a longtemps mis dans une colère monstre, les blessures durent aujourd’hui moins longtemps. Mais je persiste à le trouver insupportable. Je ne donne pourtant pas le bâton pour me faire battre : je ne pratique pas le selfie à l’hôpital, ni ne traîne dans les soirées mondaines. Bien qu’appartenant à la «grande famille du showbiz», j’entretiens des rapports normaux avec des gens qui le sont tout autant, et suis avant tout un gros bosseur qui n’aspire à être reconnu que pour sa musique.





tristesse de pas mal de mes chansons, permet de ménager une ambiance correcte. Ma plus grande fierté restant d’être encore publié. C’était si dur, autrefois, de choper un contrat - comme ça l’est devenu, aujourd’hui, de le garder.

Les mots sont crus. Quand Benjamin Biolay exprime à Libération ce 26 juin son ressenti de la gestion de la crise sanitaire, il n'épargne pas Benjamin Griveaux. Fidèle à son franc-parler, il ne l'épargne pas.

Quand Benjamin Biolay tacle, il n'y va pas de main morte. Ce 26 juin, c'est Benjamin Griveaux qui en fait les frais dans une interview à Libération. L'ancien candidat à la mairie de Paris a beau vouloir faire oublier la débâcle autour de la fuite de ses vidéos intimes en retrouvant le chemin de l'Assemblée, le scandale lui colle à la peau. Quand le chanteur est interrogé sur le regard qu'il porte à la gestion de la crise sanitaire, une bonne partie du gouvernement en prend pour son grade, avec une petite attention toute particulière pour l'ancien porte-parole.
Il l'avoue sans détour : "la com gouvernementale m'a paru catastrophique." Déplorant d'abord l'utilisation du mot "guerre" par Emmanuel Macron, il poursuit : "Puis il y a eu cette série assez dingue de cafouillage, précédée par l'exfiltration de la ministre de la Santé, pour qu'elle aille se prendre une branlée aux municipales et tout ça parce que Machin était allé tremper sa bite comme un con !" Le ton est donné !

Benjamin Biolay : sans filtre

Depuis le début de la promotion de son dernier album, paru ce 26 juin, Benjamin Biolay s'exprime librement, sans filtre. La semaine dernière, c'est Emmanuel Macron qui en faisait les frais, se retrouvant qualifié d'"inexpérimenté et entouré de félons". Grand défenseur de la culture, secteur qui a particulièrement souffert de la crise des derniers mois, il critique aussi Frank Riester, l'actuel ministre. Son engagement pour son industrie, il s'en défend. A L'Obs, le 18 juin dernier, il expliquait : "J'en ai assez de ne pas pouvoir dire ce que je pense sans me faire incendier sous prétexte que je suis médiatisé. On est toujours considéré comme indécent quand on parle d'argent, mais tout le monde se fiche que notre métier est en train de crever." Pas question de renier à sa liberté de parole.