Il sera ici question d’un magicien
qui donne vie à de belles Anglaises Vous savez de ceux qui ont des foulards de soie plein les poches
et sortent des colombes et des lapins blancs de leur chapeau.
Il s’appelle David non pas Copperfield, bien qu’il ait de grandes espérances,
David Austin.Comme tous les magiciens, il vit dans un endroit très loin d’ici,
au nom difficile à prononcer —Wolverhampton, dans une maison au milieu des bois.
Et véritablement comme par magie,
chaque matin des centaines de fleurs apparaissent sous ses pas.
On dit de lui qu’il a les pouces verts mais moi je sais bien qu’en vérité
il a des doigts de rose, comme l’aurore.
Voici son histoire telle qu’elle m’a été rapportée.Il était une fois le fils d’un laboureur …
Monsieur Austin Père était cultivateur en Angleterre
et possédait de belles et bonnes terres à blé.
Son fils, notre David, en bon Anglais, aimait les roses dans le secret de son cœur.
Las, point de fleurs dans les champs de blé…
Un beau matin, David s’essaya à planter quelques pieds de roses
dans un des champs paternels.
Puis par un autre jour d‘été, il prit un pinceau et tenta de marier ses roses
avec d’opulentes, froufroutantes et somptueuses créatures.
Elles portaient des noms délicieux, de courtisanes ou de sultanes,
La Rubanée, Belle de Crécy, La plus Belle des Ponctuées ou Perle des Panachées …
La magie opéra, de leurs amours naquit une rose merveilleuse,
ronde et divinement tournée dans ses atours satinés.
Il venait de découvrir les roses anglaises.
Le lendemain, il se reposa car Dieu ne fit pas la Terre en un jour …
David avait un but avoué,
retrouver l’alchimie qui faisait les roses si parfumées et si pleines de grâce.
Dans ces temps-là, la mode était aux fleurs raides et étroites,
perchées sur de longues tiges maigres, les roses de fleuristes,
dénuées de toute senteur, aux couleurs «métalliques et criardes» (je cite David).
La grande époque des roses françaises était bien passée et on ne trouvait
plus leurs corolles chiffonnées qu’au hasard des vieux jardins de curé,
antiques rosiers aux façades des maisons de pierre
et dont l’odeur de juin fait tourner la tête.
Remontons un peu le temps. Au 19e siècle, la France s’enorgueillissait de produire les plus belles roses.
Dans une époque de cocottes et de demi-mondaines,
leurs corolles imitaient la lingerie fine, ondulées et volantées,
délacées et rougissantes.
Leur teint d’opale, leurs parfums capiteux faisaient faire des folies
à des hommes engoncés dans leurs faux-cols et leurs fracs de drap noir.
Des hommes d’église, perdant toute retenue, délaissaient leur ministère
pour s’adonner à cette coupable passion,
créer des roses scandaleusement parfumées et désirables,
aux lourds pétales d’une douceur de peau, portant des noms de femmes évocateurs
(comme la célèbre Cuisse de nymphe émue).
La maison Guillot, créée en 1829, fut un des fleurons de cette folie douce,
créant des roses à perdre haleine.
Leur catalogue fait penser à l’annuaire d’un pensionnat de jeunes filles
ou à quelque bal des débutantes.
Elisa Boëlle, Emmanuella de Mouchy, Cecile Brunner, Laure Davoust,
Ghislaine de Féligonde et autres Zéphirine Drouhin
vivent pour l’éternité dans ces fleurs exceptionnelles à qui on donna un jour leur nom.
Puis la folie s’éteignit, les «rosomanes»
comme on appelait les fous de roses sombrèrent dans l’oubli.
David voulait juste retrouver cette débauche des sens,
ces roses si belles et si parfumées, d’une beauté si fatale.
Que peut-il se passer dans la tête d’un respectable Anglais ?
On les sait légèrement excentriques.
Ils peuvent faire la guerre pour une rose.
Lui voulait rendre la vie plus belle avec ses fleurs.
Sa première création fut donc un rosier du nom de Constance Spry,
une splendeur au parfum de myrrhe, croisement entre Dainty Maid,
rosa multiflora moderne et Belle Isis, rosa gallica.
Ce fut la première rose anglaise de l’histoire.
Bien d’autres devaient suivre.
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L’histoire est belle mais si vous voyiez les roses…
Une débauche de pétales en satin de soie,
mollement disposés en coupe avec des bords chiffonnés
et ourlés comme un jupon de marquise
(sachez qu’une rose dite moderne compte 20 à 30 pétales
quand les roses anglaises en ont au moins cent).
Des couleurs aux délicatesses de porcelaine de Chine et qui privilégient
toutes les déclinaisons autour du rose parce que
« le rose est la vraie couleur des roses » (je cite) …
Leur palette est celle d’un peintre fou d’amour : du rose le plus pâle, imperceptible frisson d’incarnat posé sur un nuage de crème,
au rose carminé le plus vif en passant par des nuances de coquillage,
de dragée, d’aube, de lait à la fraise.
Des rouges ponceau, sombres et veloutés comme un rideau de théâtre.
Des cramoisis somptueusement lumineux.
Les blancs les plus purs, les plus laiteux, parfois à peine ombrés d’une touche de fard.
Des senteurs à faire pâlir Sheherazade et tous les jardins du prophète.
Leur fond est toujours ce merveilleux parfum de rose ancienne
mais chacune a sa particularité.
Ma préférée Abraham Darby,
au coeur abricoté qui se noie doucement dans un rose de chair,
sent véritablement l’abricot mûr, une senteur fruitée qui embaume les soirs d’été.
Ses fleurs sont immenses et les abeilles aiment à se perdre
dans l’étourdissante pénombre de ses corolles diaprées.
Heritage, parfait coquillage d’un rose de nacre, libère des arômes citronnés,
le citron frais et doux de ces eaux de cologne espagnoles qu’on trouve en Andalousie.
Evelyn, grande fleur d’un rose chaud infusé d’or,
a un parfum si fort et si délicat de rose et de mangue
qu’elle a été utilisée par un parfumeur.
Othello, aux sombres pétales de velours presque noirs,
comme empourprés de sang et qui fanent d’un mauve si délicat,
a ce parfum puissant, poivré, presque suffocant qu’on ne respire
qu’au cœur des roses les plus rouges.
Parfum de passion qui vous emporte.
Sweet Juliet, Othello, Golden Celebration,
Abraham Darby, Heritage, Sharifa Asma…
j’ai depuis longtemps des roses anglaises dans mon jardin
et j’attends chaque année avec impatience l’époque des premiers boutons
comme un cadeau à chaque fois renouvelé.
Comment imaginer que ces tristes morceaux de bois noir
vont donner vie à ces Merveilleuses aux robes couleur du temps ?
S’il ne s’agit pas là de magie, je ne crois plus en rien…
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Notice technique(il le faut bien !)
La création des roses se fait avec un pinceau, comme un tableau de maître.
Le créateur, nommé hybrideur, prend quelques grammes de pollen d’une rose A et les dépose
avec délicatesse sur le pistil de la rose B.
Il met le tout sous cloche et sème ensuite les graines de cynorhodon (fruit du rosier)
issues de cette union pour créer de nouvelles roses.
Les bébés se développent diversement et seules quelques roses retiendront l’attention.
Voici résumé très brièvement le travail de créateurs comme David Austin.
Sachez toutefois que cela prend jusqu’à sept longues années
avant de voir apparaître la merveille, la rose parfaite.
Les roses anglaises allient les qualités des roses historiques
(parfum, beauté, nombre de pétales) aux avantages des roses modernes
(vigueur, résistance aux maladies et aux parasites).
Elles offrent de plus un très gros avantage, elles « remontent »,
c’est-à-dire qu’après leur première floraison,
elles refleurissent encore plusieurs fois, parfois jusqu’à Noël.
Là où les roses anciennes ne fleurissent la plupart du temps qu’une seule et fabuleuse fois.
Il suffit de couper les fleurs fanées et les tiges refont des boutons.
David Austin continue de produire et de créer des roses en Angleterre.
On les trouve dans beaucoup de jardineries (Truffaut, Delbard, Jardiland).
Il vend également sur catalogue, une pure merveille sur papier glacé,
envoyé gracieusement sur demande.
Les vendeurs parlent français.
Son site web :
http://www.davidaustinroses.com/french/Advanced.asp
seul EMILE ZOLA peut conclure en beauté :« Autour d’eux les rosiers fleurissaient.
C’était une floraison folle, amoureuse, pleine de rires rouges, de rires roses,
de rires blancs. Les fleurs vivantes s‘ouvraient comme des nudités,
comme des corsages, laissant voir les trésors des poitrines.
Il y avait là des roses jaunes effeuillant des peaux dorées de filles barbares,
des roses paille, des roses citron, des roses couleur de soleil,
toutes les nuances des nuques ambrées par les cieux ardents.
Puis les chairs s’attendrissaient,
les roses Thé prenaient des moiteurs adorables,
étalaient des pudeurs cachées… » (La faute de l’abbé Mouret).superbe livre qui se passe au Paradou, quelque par en Provence,
terre chère à mon coeur.
Merci à Monsieur de Furetière (1619-1688)
dont le Dictionnaire recèle tant de joyaux versicolores.