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 Manuel Carcassonne

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liliane
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liliane


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Manuel Carcassonne Empty
MessageSujet: Manuel Carcassonne   Manuel Carcassonne EmptyDim 16 Jan - 9:23

Manuel Carcassonne « Je suis un hébraïque lacrymal »



Le patron des éditions Stock sort son premier roman. Un livre aussi passionnément « foutraque » que lui

PROPOS RECUEILLIS PAR ÉLISE LÉPINE

Quand Manuel Carcassonne vous promet qu’il n’est pas aussi « foutraque » que son livre, il ne faut surtout pas le croire. D’ailleurs il insiste trop : « J’ai un cerveau très organisé », plaide-t-il en décochant une mimique torturée. Ô intranquil-lité. Telle est la signature du très respecté directeur des éditions Stock. Sa déraison ; sa force. Grâce à ce premier roman qu’il publie à 56 ans, on comprend (presque) tout. Conséquence : la promotion de ce livre le rend plus intranquille que jamais. On avait rendez-vous dans son bureau à 15 heures. En milieu de matinée, il se ravise, propose un déjeuner à la place. Il pioche dans nos frites, roule des yeux terrorisés quand nos voisins se mettent à tousser. « Nous sommes cernés ! » On ne peut pas s’empêcher de rire. On rira souvent pendant ce déjeuner. L’homme a la jovialité de ceux qui savent que le monde est tragique. Son roman, lui, n’est pas drôle. « J’avais vraiment envie d’écrire un livre amusant, mais je n’y suis pas arrivé. »

Manuel Carcassonne Image_28

LE RETOURNEMENT

Ce à quoi notre éditeur chevronné est arrivé : donner une forme très réussie à un livre « foutraque » – c’est lui qui n’en finit pas de remettre ce mot sur la table, il s’en repaît. Dans Le Retournement, il parle de son histoire d’amour avec sa troisième épouse, la romancière libanaise Diane Mazloum, alias Nour dans le roman, mère de son quatrième enfant, mais aussi du judaïsme, et plus particulièrement de la communauté des « Juifs du pape », dont descend son père. Arrivés en Provence au XIVe siècle, (relativement) protégés par le Saint-Siège installé à Avignon, ils ont une histoire chaotique et méconnue. Si Manuel Carcassonne l’a fouillée pendant trois ans, il ne se laisse pas prendre dans les filets de cette érudition ; jamais il n’écrase le lecteur sous les dates. Il leur offre au contraire la bouleversante vitalité de son questionnement identitaire. Ashkénaze par sa mère, il a préféré s’intéresser à son « moi » provençal et oriental, révélé par l’amour dans la lumière du Liban, pays dont les blessures l’obsèdent – c’est l’une des branches de ce roman « construit comme une arborescence folle ». L’un de ses chapitres les plus émouvants est une minutieuse enquête sur le massacre de Sabra et Chatila, qui le hante : « Quand on est juif, quand on a subi tant d’hécatombes, de pogroms, la Shoah, comment peut-on participer à ça, ne serait-ce qu’en étant là ? » En disant cela, il a les larmes aux yeux. Quelques instants plus tard, il rit. Jusqu’à ce que le chagrin le rattrape encore. Puis de nouveau le rire.

« J’ai écrit ce livre pour la vie. Pour dire qu’il faut vivre malgré tout »

Quel a été le point de départ de ce roman ?

L’amour. Mon histoire avec ma femme est incroyable. Imaginez deux personnes qui ne se connaissent pas, viennent de deux endroits très différents du monde et n’ont aucune raison de se rencontrer. Nous sommes en 2013, je viens de reprendre les éditions Stock, je suis seul aux manettes, je vais mal. Elle vit à Beyrouth, moi à Paris. Elle m’envoie un manuscrit par la poste, qui me plaît. Le temps s’étire, nous correspondons, elle finit par venir à Paris. Et je découvre qu’elle est née dans la même clinique que moi, qu’elle est fille et petite-fille de diamantaires comme moi, qu’en tant que chrétienne d’Orient elle est issue d’un culte minoritaire comme moi. Elle m’a délivré de l’ethnocentrisme dont nous sommes prisonniers à Paris, de notre obsession pour les étiquettes et le paraître. Un dimanche, nous dînions chez des amis auteurs. Ma femme était assise à côté d’Édouard Philippe, qui était alors Premier ministre. Ils ont parlé toute la soirée de littérature, de cinéma. Ils se sont très bien entendus. À la fin de la soirée, elle lui a demandé : « Et sinon, vous faites quoi dans la vie ? » Sans elle, je serais encore au fond d’un pavillon psychiatrique à Cochin, où j’avais été interné peu de temps avant de la rencontrer après un geste absurde et désespéré.

À travers elle, vous avez eu un coup de foudre pour le Liban.

Ce pays est un portique identitaire. Plus j’y vais, plus je sais qui je suis. Il vous renvoie à votre identité profonde, vous oblige à vous y arrimer. Je suis un Juif qui ne sait pas se comporter dans une synagogue. Ma femme est une chrétienne libanaise qui connaît mal sa langue. Mais pour rien au monde nous ne changerions de religion. À partir de cet ancrage puissant, nous sommes libres de jouer avec nos identités. C’est tellement important, tellement vital, et nous le faisons si peu ! Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’Abdallah Carcassonne ou de Joachim Lépine ? Parce que nous n’osons pas sortir de nos carcans identitaires ! [Depuis plusieurs minutes, il consulte compulsivement son téléphone. Il émet un « ah » de satisfaction : il vient de trouver une photographie qu’il tenait absolument à nous montrer.] Vous voyez, cela, c’est l’ancienne synagogue de Sidon, au Liban. Regardez ce pigment bleu, qui est la couleur probable des murs d’origine. La famille palestinienne qui vit ici depuis les années 1980, quand les derniers Juifs ont quitté le Liban, a mis là son canapé, là sa table basse. Et le plus beau : quand on lève les yeux, on voit une constellation d’étoiles de David. Les Juifs sont partis, elles sont restées. Ces gens ont été très accueillants avec moi. [Il continue de faire défiler ses photos : cimetières abandonnés, chemins de pierres, voitures éventrées, immeubles effondrés…]

« Je ne sais pas pourquoi je n’arrive pas à terminer un entretien sans pleurer »

Votre téléphone est rempli de photos de ruines. Comme un écho au sentiment de fin du monde qui hante dans votre roman…

Je suis un grand angoissé, toujours persuadé que les choses vont mal tourner. Depuis trente ans que je suis éditeur, je ne réponds jamais à un coup de fil de mon actionnaire sans penser que c’est pour me licencier, même quand on vient de remporter deux prix littéraires, comme en 2021. J’imagine les cruautés terribles qui en découleraient. C’est quelque chose qui me lie aussi aux populations orientales. Les Libanais ont ce signe commun avec les Juifs : ce sens de la précarité, de l’existence qui ne cesse de rebondir, de s’effondrer, de remonter.

Votre peur de l’effondrement est devenue concrète le 4 août 2020, quand le port de Beyrouth explose alors que votre femme et votre petit garçon sont à proximité.

Ç’a été un moment très dur, terrible, mais ma famille a survécu. La vie a triomphé, comme elle le fait souvent, comme elle l’a fait pour mes ancêtres, puisque je suis là. Voilà : j’ai écrit ce livre pour la vie. Pour dire qu’il faut vivre malgré tout. Parce que la vie triomphe de tout. [L’eau lui monte aux yeux.]

Pourquoi êtes-vous si ému en disant cela ?

Je ne sais pas pourquoi je n’arrive pas à terminer un entretien sans pleurer. Si ma femme était là, elle dirait, comme toujours, que je suis un hébraïque lacrymal. Ce livre est un roman psychanalytique qui dit tout de moi. La mort précoce de mon père, que j’ai trop peu connu. Ma rédemption en tant qu’homme qui n’a pas toujours été exemplaire dans sa vie privée. Mon attachement à l’Histoire, à travers ce couple moderne qui remonte le temps sur deux mille ans. Et c’est une réponse à ceux qui m’ont regardé de haut parce que je suis Juif, alors que mes ancêtres sont en France depuis bien plus longtemps que les leurs.

Faut-il lire ce Retournement comme une réconciliation avec vous-même ?

C’est une réconciliation du passé avec le présent, dans l’espoir d’apprivoiser le futur. C’est le livre de milieu de vie d’un homme qui veut être heureux avec sa femme, avoir une existence apaisée, être proche de ses quatre enfants, leur dire qui il est.

Et qui êtes-vous ?

Allez savoir ! Au moment de notre rencontre, ma femme et moi avons beaucoup parlé de pierres précieuses. Elle me disait que j’étais à multiples facettes. J’espère que c’est vrai. Nos ancêtres diamantaires le savaient bien : plus vous avez de facettes, mieux c’est !

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