liliane Admin
Nombre de messages : 19569 Age : 50 Localisation : dans la galaxie Date d'inscription : 02/05/2008
| Sujet: Le Musée Pouchkine. Cinq cents ans de dessins de maîtres Ven 1 Mar - 16:35 | |
| Le musée Pouchkine expose pour la première fois ses dessins à Paris Connue pour la richesse d’un fonds jamais montré en Europe, l’institution moscovite investit les cimaises de la Fondation Custodia.
La Fondation Custodia aime les expositions inédites, mais cette fois-ci la surprise est de taille, rien de moins que 200 dessins venus en droite ligne du Département des Arts Graphiques du Musée Pouchkine de Moscou. Échanges de bons procédés entre institutions muséales, direz-vous, pas seulement, puisque lesdits dessins voyagent pour la première fois. Et là, pas d’abus de vocabulaire, pas question de convoquer encore une fois un superlatif marketing pour estomaquer le chaland. Il faut prendre le terme à la lettre : à part des prêts individuels, il n’y a jamais eu en Europe une présentation de cette ampleur ni d’ailleurs sur place parce que le visiteur a l’obligation de consulter les œuvres une à une.
Vision partielle donc alors que la sélection montrée à Paris englobe sur 500 ans, de la fin du XVe siècle au XXe siècle, les écoles allemande, autrichienne, italienne, flamande, hollandaise, française et russe. De quoi donner le tournis face à la richesse et à la renommée urbi et orbi de la collection moscovite. Ce que l’on voit n’étant qu’une toute petite partie des 27 000 feuilles du fonds, l’occasion est trop belle pour l’ignorer.
D’autant qu’il y a deux histoires qui s’entremêlent. D’une part, la constitution du département des Arts Graphiques qui, depuis sa création, en 1912, ressemble à un roman où se succèdent les legs, les acquisitions, la redistribution des feuilles entre les musées sans oublier les nationalisations à la hussarde des collections privées dans le sillage révolutionnaire. Heurs et malheurs de ce corpus qui nécessiterait à lui seul un chapitre à part, impossible de s’y attacher dans le cadre du présent article mais aspect que l’on se doit de signaler. Et d’autre part, en ce qui concerne l’histoire de l’art, notons la qualité impressionnante des œuvres. En effet si la présentation parisienne, soit moins de 1% de l’ensemble moscovite, est un reflet fidèle du fonds, alors il y a de quoi mettre en appétit les amateurs pour voir le reste.
La malice de l’accrochage
Mais restons à Paris, l’éblouissement est bien au rendez-vous grâce au maître des lieux Ger Luijten qui, de concert avec ses homologues russes, a préparé un parcours à la hauteur de l’événement. Cependant, comme la maison n’aime guère plastronner, elle ne s’est pas contentée d’accumuler les chefs-d’œuvre au mètre carré. L’uniformité étant l’adversaire absolu de la curiosité rétinienne, certaines feuilles au lieu d’être encadrées de manière standard comme c’est le lot de la plupart d’entre elles, bénéficient d’un cadre d’époque fourni par les bons soins de la Fondation Custodia. C’est le cas, par exemple, de trois dessins du XVIe siècle dotés d’un encadrement renaissant, ce qui ponctue le trajet, aménage une pause dans la visite et concentre l’attention du regardeur.
De même, à trois siècles de distance, deux lavis de Caspar David Friedrich (1774-1840), peintre romantique par excellence, jouissent eux d’un cadre en pur style Biedermeier, apportant un contrepoint plastique permettant de focaliser le regard et de favoriser la comparaison avec les aquarelles colorées du peintre sobrement présentées, qui entourent de chaque côté les deux scènes crépusculaires du dessinateur.
On chemine donc au gré des surprises et des malices de l’accrochage. En témoigne, le superbe Centaure vaincu par l’amour (1606-1608), de Peter Paul Rubens dûment encadré. Comme chacun sait que ce thème dépeint les supplices que l’amour inflige aux vieillards, on appréciera qu’il tienne compagnie à l’image d’une vierge du même auteur entourée de ses chérubins et d’un portrait d’une Diane très chaste exécuté par un contemporain tardif de l’Anversois. Toutefois, relevons qu’à proximité du Centaure siège aussi une tête de Silène de la même main, personnage connu pour sa lubricité et son ivresse, et apparaissant régulièrement dans le cortège de Dionysos, un dieu guère enclin à la continence. Libres associations, sûrement, un brin concoctées, on ose le penser.
L’écho des correspondances
Avant de prendre la direction du sous-sol consacré à la partie moderne, dernier coup de chapeau à une Sainte Famille (1760) de Tiepolo sertie dans un écrin vénitien accentuant par contraste la légèreté d’un thème traité à la plume, où la lumière se déploie dans l’opposition du lavis brun et des espaces laissés en réserve. Descendons, le XXe siècle, ne jouissant d’aucun encadrement particulier, a été pensé par famille de peintres, non par respect chronologique mais plutôt en privilégiant des correspondances plus labiles, moins ordonnées par une stricte obéissance temporelle.
Giovanni Battista, Tiepolo, La sainte famille avec Saint Jean-Baptiste enfant, vers 1760 Plume et encre brune, lavis brun. 265 x 201 mm.
C’est ainsi que deux mouvements de l’expressionnisme allemand se répondent d’un mur à l’autre : l’aquarelle des Animaux (1913) de Franz Marc entre en vibration avec celle des Trois têtes de femmes (avant 1930) de Nolde. Peu importe que le premier soit un des représentants du groupe du « Cavalier bleu » et que le second appartienne à la mouvance « Die Brücke » (Le pont). Chez Marc les couleurs courent sur des lignes géométriques alors que chez Nolde, elles imprègnent la surface, les noirs, les rouges et les jaunes ne suivent pas la même route ni le même destin. Elles rayonnent où elles se terrent dans la matière du papier.
Franz Marc, Animaux, 1913, aquarelle. 398 x 456 mm.
Emil Hansen dit Nolde, Trois têtes de femmes, avant 1930, aquarelle. 337 x 437 mm.
Il faudrait citer le chant des Kandinsky mais toute proche la salle des Picasso capte l’œil. Là, dans un recoin, une réunion d’études, gouache et aquarelle, des années 1907 et 1908 acquises par Serguei Chtchoukine, éminent collectionneur toujours aussi épatant dans ses achats, débordent dans un festin de tonalités éclatantes et sourdes. Un peu plus loin, des Matisse face à une série de Léger. Et encore une fois, il ne s’agit pas d‘aligner des célébrités, tout au contraire, juste de proposer des lectures différentes. D’envisager le Portrait de Lydia Delectorskaya, (1945) par Matisse et le Portrait de Nadia réalisé par Léger, la même année, sous l’angle des lignes et volumes. S’apercevoir que peut-être une des façons d’appréhender le travail des deux artistes se noue autour du rythme des contours et de la différence de densité.
Fernand Léger, Portrait de Nadia (avec une fleur), vers 1948, pinceau et encre noire sur un tracé au graphite. 475 x 624 mm.
Pour clore la promenade, un arrêt s’impose auprès du pastel, Paysage d’automne (1903) de Natalia Gontcharova, entièrement baigné dans une brume de poussière colorée et qui jouxte un autre pastel la Maison blanche (1904) de Mikkaïl Larionov, le compagnon de Natalia dans la vie et tous deux exilés à Paris.
On aimerait croire que les cimaises qui, ici, les réunissent parlent moins d’hommage que de la manière finalement dont a été conçu l’itinéraire. En effet tout commence par une Tête de Sibylle du XVe d’un artiste anonyme du Haut-Rhin et s’achève par une Tête de Clown nimbée de noir (1904) de Georges Rouault. On va donc de l’anonymat à la bouffonnerie du cirque. Autrement dit, la prophétesse parle aussi du rôle de l’artiste dont la fonction ne sert pas uniquement à valoriser nos ambitions culturelles. La distance est de mise et la collection Pouchkine en est un des échos les plus stimulants.
Natalia Gontcharova, Paysage d’automne, vers 1903, pastel. 375 x 467 mm.
Mikkaïl Larionov, La Maison blanche, 1903-1904, pastel. 355 x 287 mm.
Le Musée Pouchkine. Cinq cents ans de dessins de maîtres Fondation Custodia, 121 rue de Lille 75007 jusqu’au 12 mai 2019 (Photo : Pablo Picasso, Etude pour les Trois femmes, 1907-1908, gouache et aquarelle. 540 x 477 mm.)
https://www.revuedesdeuxmondes.fr/le-musee-pouchkine-expose-pour-la-premiere-fois-ses-dessins-a-paris/
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