Radicalisation : «On a peut-être sous-estimé l’ampleur du phénomène»
Par Célian Macé et Rachid Laïreche
Patrick Kanner, le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports est triplement concerné par la question de la radicalisation dans les quartiers en difficulté, parmi la jeunesse et aussi au sein du mouvement sportif.
Le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports est à chaque coin de rue. La radicalisation est liée à ses trois portefeuilles. A quelques mois de l’Euro de football en France, «l’un des plus gros événements du quinquennat de François Hollande», Patrick Kanner enchaîne les réunions pour aborder les questions de sécurité. Il cherche les causes et les solutions. Le chantier est lourd. Entretien.
Quel est le rôle de votre ministère face à la radicalisation ?C’est un phénomène nouveau qui nous frappe. Aujourd’hui, notre enjeu, c’est la prévention. C’est pour cette raison que nous soutenons la création de centres de prévention de la radicalisation. L’un des premiers a ouvert ses portes à Bordeaux en lien avec le recteur Tareq Oubrou. Pour la première fois, la théologie devient un instrument de thérapie pour dire aux jeunes qui s’égarent qu’ils se trompent dans leur manière de lire et pratiquer leur religion. C’est l’antidote pour contrer le poison. Vous savez, la radicalisation se base beaucoup sur l’ignorance. Lutter contre l’ignorance, cela passe par l’éducation mais aussi la culture de l’engagement. C’est ce que nous voulons développer à tous les âges de la vie.
En France, on découvre les centres de déradicalisation, mais dans des pays comme le Royaume-Uni ou le Danemark, ça se fait depuis longtemps...On n’est pas en retard, mais on a peut-être sous-estimé l’ampleur du phénomène. La réponse ne doit pas être uniforme, elle doit être multiple. Nous devons agir en amont par la prévention et la consolidation du lien social. On a rétabli les crédits des secteurs associatifs supprimés à l’époque de Nicolas Sarkozy à la hauteur de 100 millions ’euros. Aujourd’hui, il y a notamment 7 000 associations dans les quartiers prioritaires. On a remis des adultes dans ces quartiers en créant des postes d’adultes-relais (4 200 aujourd’hui) et d’éducateurs sportifs (400 supplémentaires), c’est une de nos réponses. On a lancé un grand plan de formation de 10 000 acteurs sur les valeurs de la République, un relais important, dont bénéficiera notamment le secteur sportif parce que les clubs peuvent être des cibles pour les prédicateurs.
Les clubs de sport sont touchés par le radicalisme ?Oui, aujourd’hui, les clubs sportifs et associations peuvent être des endroits de prosélytisme. On a reçu des signalements et pour moi, c’est une grande inquiétude. Le monde du sport n’est pas exonéré. Attention, ce n’est pas parce qu’un sportif porte une barbe qu’il est radicalisé. Mais on ne peut pas accepter qu’un joueur fasse sa prière à la mi-temps. Ma position est très claire, pas de religion dans les clubs et l’Etat ne reconnaîtra pas et ne versera pas un centime à ceux qui sortent du cadre. Un club, ou une association, doit ouvrir ses portes à tous les publics, respecter la loi en matière de non-discrimination et d’égalité des femmes et des hommes, avoir un fonctionnement démocratique et avoir une transparence dans ses activités et discours.
Mais la religion a toujours été présente dans le sport. Lorsqu’on regarde un match de foot par exemple, les joueurs se signent avant les matchs ou après un but...C’est vrai, mais lorsqu’un joueur se signe sur un terrain après avoir marqué un but, ce n’est pas du prosélytisme, il le fait pour lui-même.
Par contre, organiser un temps de prière à la mi-temps, c’est du prosélytisme. Nous exigeons une neutralité absolue des clubs. Il existe des outils pour imposer cette neutralité. Des outils un peu oubliés, mais que nous pouvons réactiver. Ils peuvent aller jusqu’à la dissolution des associations. Dans le même temps, nous œuvrons à ce que les espaces associatifs, comme les centres sociaux, soient ouverts en soirée et les week-ends. Une expérimentation est lancée dans cinq départements tests. L’année 2015 nous a peut-être ouvert les yeux, plus que jamais, sur la nécessité pour les adultes d’être présents en permanence dans les quartiers. Mais c’est vrai, on doit aussi comprendre les raisons de la situation. Je souhaite par exemple avoir un bilan de la pédopsychiatrie en France : notre pays manque de moyens dans ce secteur. Car il y a les groupes terroristes organisés, mais aussi des jeunes qui s’organisent seuls, dans leur coin. Et ceux-là, ils sont imparables car ils ne sont pas dans nos radars.
Vous êtes sur une autre ligne que celle de Manuel Valls à ce sujet ?J’ai bien entendu la polémique. Et je suis d’accord avec le Premier ministre, rien ne peut justifier, ni excuser, un Français qui prend les armes pour tuer un autre Français. Moi, je suis dans la logique de prévention pour éviter qu’un jeune bascule dans le terrorisme, et de compréhension pour déchiffrer les raisons de sa radicalisation. Mes collègues régaliens, eux, sont dans la répression. Il faut un équilibre entre les deux, sans amalgame ni angélisme.
Le langage politique est incompréhensible. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut changer la manière de s’exprimer mais rien ne change. Il faudrait peut-être commencer par là pour se faire entendre et changer les choses ? Pour renouer le dialogue avec les Français, il faut incarner sur le terrain les politiques publiques que nous menons. J’y suis particulièrement attaché, et je sillonne la France pour aller à la rencontre des habitants, notamment dans les quartiers. Nous avons, nous responsables publics, un devoir de pédagogie à faire. Les contrats de ville ont tous été signés : je m’en réjouis, mais il faut désormais que les habitants voient le changement s’opérer sous leurs yeux. Je vais me rendre sur le terrain pour accompagner leur mise en œuvre. Je veux voir des grues dans les quartiers.
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