Parmi les nombreuses histoires terrifiantes qui nous parviennent sur l’occupation de l’Irak et de la Syrie par l’Etat islamique (EI), les violences sexuelles horrifiantes semblent devenir systématiques.
En août, les Nations unies ont notamment estimé que l’organisation terroriste avait réduit en esclavage sexuel environ 1 500 femmes et adolescents, filles comme garçons. Amnesty International a publié un document cinglant selon lequel l’Etat islamique enlève des familles entières dans le nord de l’Irak pour les soumettre à des abus sexuels.
Dès les premiers jours suivant la chute de Mossoul, en juin, des militantes pour les droits de la femme ont dénoncé de multiples incidents au cours desquels des combattants de l’organisation sont allés de porte en porte pour enlever et violer des habitantes de la ville.
L’Etat islamique prétend être une organisation religieuse dont l’objectif est de rétablir un califat, ainsi que d’imposer des codes de pudeur et des comportements datant de l’époque du Prophète et de ses disciples. Dans le cas présent, nous avons toutefois affaire à des viols et non au conservatisme religieux.
Il justifie peut-être ses violences sexuelles par des motifs religieux en faisant valoir que ses victimes ont enfreint la charia ou sont des infidèles, mais ses dirigeants ne sont pas idiots. Ces pratiques sont une arme de guerre parmi d’autres. Pourquoi ce crime contre l’humanité n’attire-t-il pas plus l’attention au sein du monde occidental ?
Il semble que ces violences sexuelles de masse, qui détruisent la société dans son ensemble, ne soient qu’un détail sur la liste interminable des comportements de l’Etat islamique qui sont dénoncés.
Par rapport aux vidéos d’exécutions [de journalistes occidentaux] qu’il a récemment diffusées, les agressions sexuelles semblent passer au second plan. Pendant presque toute la dernière guerre en Irak [2003], nous avons tous deux été analystes à la CIA sur l’insurrection et la lutte contre le terrorisme.
Nous nous sommes consacrés au conflit irakien pendant des années, mais nous n’avons jamais lu de documents internes ou externes exclusivement consacrés aux violences sexuelles commises en Irak pendant cette période, alors même qu’elles ont été une arme de guerre généralisée pendant les terribles représailles sectaires du milieu des années 2000.
D’après nos souvenirs, personne n’a tenté de surveiller ce type de violences au même titre que d’autres attaques. S’il ne s’agit là que d’anecdotes, cela révèle toutefois qu’aucune attention particulière n’a été accordée à la question. Comment expliquer que ce type de violences soit négligé par rapport à d’autres formes d’agression ?
Pressions sociales
Tout d’abord, un grand nombre de ces incidents ne sont jamais dénoncés : ainsi, il est difficile pour les Irakiens, le gouvernement américain ou les organisations internationales de les comptabiliser. (Ce n’est pas spécifique aux viols en temps de guerre. Environ 60 % des agressions sexuelles ne font pas non plus l’objet d’une plainte aux Etats-Unis.) Outre le crime subi, les victimes de viol se heurtent aux tabous et à des pressions sociales considérables, et ce d’autant plus dans les sociétés extrêmement conservatrices du Moyen-Orient.
Malheureusement, cette situation a provoqué le suicide de nombreuses victimes de l’Etat islamique en Irak. Les médias préfèrent peut-être éviter d’aborder les viols et les agressions sexuelles, car ces sujets ont tendance à être jugés par certains comme des problèmes concernant exclusivement les femmes et non comme des tactiques d’insurrection “traditionnelles”.
Les questions relatives au viol et aux violences sexuelles ont tendance à n’apparaître que dans les rapports consacrés aux violences à l’égard des femmes et des enfants, ou concernant les répercussions humanitaires du conflit, et elles ne sont pas surveillées en tant que tactique terroriste.
Les reportages sur la guerre ont tendance à se concentrer sur les frappes aériennes, les décapitations et les attentats à la bombe dans les villes. Les violences sexuelles ne sont pas considérées comme un indicateur utile de l’efficacité des armées ou des services de renseignements dans leur lutte contre l’Etat islamique.
De nombreux décideurs et analystes en matière de renseignement ont étudié les sciences politiques et l’art de la guerre dans de prestigieuses universités, et c’est peut-être une partie du problème. Dans le monde universitaire, le problème des violences sexuelles est trop souvent cantonné aux cours sur les questions de genre ou sur le féminisme.
Or les violences sexuelles commises par les organisations terroristes ne doivent pas être réduites à “une question concernant les femmes”. Elles doivent être étudiées dans le cadre de cours consacrés à la guerre et au terrorisme. La vague de violences sexuelles dont se rend coupable l’Etat islamique aura des répercussions durables et dévastatrices sur les victimes et sur les sociétés irakienne et syrienne dans leur ensemble.
Les femmes doivent jouer un rôle sur le plan politique et économique pour assurer la stabilité de leur pays, et tant qu’elles seront persécutées de la façon la plus intime et à une telle échelle, l’avenir de cette région demeurera sombre.
Extrême brutalité
Les Etats-Unis et d’autres pays devraient dénoncer publiquement cette terrible vague de violences sexuelles pour contribuer au discrédit de cette organisation auprès des Irakiens et de ses sympathisants à l’étranger. L’Etat islamique prétend être un groupe de guerriers qui ont la mission sacrée d’établir un nouvel ordre mondial.
Toutefois, les crimes sexuels généralisés de ceux-ci révèlent leur hypocrisie et leur extrême brutalité. Il est crucial de combattre le discours djihadiste de l’organisation pour détruire sa viabilité à long terme.
Le comportement de ses membres à l’égard des femmes doit systématiquement être mis en lumière, pour ainsi trahir la présomption de pureté de ceux-ci. Nos décideurs politiques doivent assimiler l’idée que les violences sexuelles sont une arme de guerre brutale, qui anéantit la stabilité d’une société au même titre que les meurtres et le nettoyage ethnique.
Les violences sexuelles doivent être classées au rang des “attaques terroristes”, car elles semblent souvent omises dans les bases de données des services de renseignements. Enfin, les décideurs politiques doivent concentrer leurs discours sur la brutalité de l’Etat islamique. A terme, la destruction de l’Etat islamique doit passer par une guerre des idées.
http://extremecentre.org/2014/10/28/etat-islamique-le-viol-comme-arme-de-guerre/#more-56283