Jean-Pierre Angrémy, alias Pierre-Jean RémyDeux vies boulimiques en une.
Diplomate et écrivain, l'académicien Pierre-Jean Rémy est mort, dans la nuit de mardi 27 au mercredi 28 avril, à l'âge de 73 ans à Paris.
Né le 21 mars 1937 à Angoulême, cet ancien élève de l'ENA (1961-1963) - de son vrai nom Jean-Pierre Angrémy -, mena, pendant des années, et parallèlement à ses activités de haut fonctionnaire, une carrière littéraire fertile : sa bibliographie compte plus d'une soixantaine d'ouvrages. "
Son oeuvre a puissamment contribué à faire connaître au grand public le métier de diplomate et les trésors des archives diplomatiques (...) Avec lui, s'en va l'une des figures les plus originales et les plus attachantes de la diplomatie et de la littérature française", a déclaré Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères.
Après des études secondaires au lycée Condorcet, Jean-Pierre Angrémy est étudiant à l'Institut d'études politiques de Paris (1955-1958), à la faculté de droit (licence, option sciences économiques). Il suit aussi à la Sorbonne des cours de sociologie.
Il part pour les Etats-Unis où il devient l'assistant du philosophe Herbert Marcuse (1898-1979) à l'université de Brandeis (Massachusetts). C'est sur ce campus qu'il se lie d'amitié avec le poète Claude Vigée. De retour en France, il prépare avec succès le concours de l'ENA (promotion "Saint-Just").
Il entre alors au Quai d'Orsay et part aussitôt pour Hongkong avec le titre de vice-consul archiviste (1963-1964). Il est bientôt nommé deuxième secrétaire d'ambassade à Pékin. De retour, en 1966, en Europe, Jean-Pierre Angrémy rejoint l'ambassade de France à Londres comme deuxième puis premier secrétaire jusqu'en 1971.
Après un bref passage à la direction générale des relations culturelles du Quai d'Orsay, il est détaché à l'ORTF (1972), en qualité de directeur, adjoint au PDG, chargé de l'harmonisation des programmes. Il préside, à ce titre, la commission des coproductions cinéma-télévision et participa à la Commission d'avances sur recettes du centre national de la cinématographie (CNC).
Administrer, créer : il est aussi acteur dans un film de Pierre Kast Un animal doué de déraison (1976). En 1975, il repart à Londres, cette fois en qualité de conseiller culturel. A partir de 1979 et jusqu'en 1981, il est directeur du théâtre et des spectacles au ministère de la culture. Chargé de mission, à l'automne 1981, pour l'étude de la construction d'un théâtre musical populaire, il dirige pendant quelques mois l'équipe qui prépare le premier projet du nouvel Opéra-Bastille.
Nommé, au début de l'année 1985, consul général de France à Florence et, en avril 1987, directeur général des relations culturelles, scientifiques et techniques au ministère des affaires étrangères, Jean-Pierre Angrémy devient ambassadeur, délégué permanent de la France auprès de l'Unesco (1990-1994), et membre du conseil exécutif de l'organisation à partir d'octobre 1992.
D'autres grands postes suivront : directeur de la Villa Médicis, à Rome, de mars 1994 à janvier 1997. Puis, jusqu'en 2002, président de la Bibliothèque nationale de France. "Le service de l'Etat est au fond le seul que je respecte et le seul pour lequel je pense être né", estimait ce diplomate curieux, homme pressé, avide de lecture et d'écriture, grand collectionneur de romans du XVIIIe siècle.
SONDER L'ÉPOQUE
C'est en 1963 que Jean-Pierre Angrémy ampute son patronyme de ses trois premières lettres. Il adopte son nom de plume : Pierre-Jean Rémy. Jean-Pierre Angrémy est encore élève à l'ENA lorsqu'il publie, sous son vrai nom, son premier roman, Et Gulliver mourut de sommeil (Julliard, 1962). Mais il faudra attendre un an pour que son pseudonyme apparaisse sur la couverture de Midi ou l'Attentat (Julliard).
Ses publications vont s'enchaîner à un rythme frénétique. "J'écris au rythme qui est celui de ma vie", confiait-il. L'écrivain prolifique avait recours, pour certains de ses livres qui étaient souvent des "pavés", à d'autres pseudonymes : Nicolas Meilcour, Raymond Marlot, Jean-René Pallas ou Pierre Lempety.
Au total, on lui doit soixante-sept titres et d'innombrables articles.
Cette oeuvre protéiforme sonde l'époque. Elle est nourrie par la carrière féconde et brillante du diplomate.
Ses différents postes ont fixé le cadre et nourri bien des intrigues de ses romans. Sa production explore (presque) tous les genres : d'abord le roman traditionnel, puis le polar avec Mémoires secrets pour servir à l'histoire de ce siècle (Gallimard, 1974), le récit érotique avec Don Juan (Albin Michel, 1982), le roman épistolaire avec Comédies italiennes (Flammarion, 1984), les notes de voyages avec Villa Médicis : Journal de Rome (Odile Jacob, 2008).
Pierre-Jean Rémy est aussi l'auteur de biographies : Callas, une vie (Albin Michel, 1979), Berlioz (Albin Michel, 2002).
Des mémoires, des poèmes... Le seul genre qui n'est pas abordé est le théâtre. Il en était pourtant passionné : il collabora, pendant plusieurs années, à l'hebdomadaire Le Point, en qualité de critique théâtral. Il assura aussi les chroniques régulières d'opéra et de musique lyrique dans divers magazines et revues (Harmonie, Diapason, Revue des deux mondes).
Elu à l'Académie française le 16 juin 1988, Pierre-Jean Rémy avait connu le succès dès 1971 : Le Sac du Palais d'été (Gallimard) sera couronné par le prix Renaudot. En 1984, il reçut le Prix de la nouvelle de l'Académie pour L'Orient-Express II et, en 1986, deux ans avant son élection au fauteuil de Georges Dumézil, le Grand Prix du roman pour Une ville immortelle (Albin Michel).
Le
14 mai paraîtra, aux éditions du Seuil, Voyage présidentiel, un roman dans lequel il nous fait entrer dans l'intimité d'un président qui se révèle bien plus complexe que la fonction à laquelle il fut attaché pendant des années. On ne peut s'empêcher de songer, au terme de ce double parcours à un Pierre-Jean Rémy plus complexe que Jean-Pierre Angrémy, et inversement.
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