liliane Admin
Nombre de messages : 19569 Age : 50 Localisation : dans la galaxie Date d'inscription : 02/05/2008
| Sujet: Re: NOA - tout simplement Dim 3 Jan - 15:10 | |
| «Je suis juive, israélienne, laïque et chanteuse»propos recueillis par Dominique Simonnet, publié le 26/11/1998 C'est le rocher de Sisyphe, qui oscille sur son sommet... Le dernier accord de paix tiendra-t-il, cette fois? Ou retombera-t-il encore, dans quelques jours, dans quelques mois, abattu par une nouvelle poussée de haine, un autre attentat? Il y a la politique, l'art subtil des négociations, l'avancée du «processus de paix»... Et il y a, en Israël, la vie quotidienne, la tension, les nouvelles que l'on suit avec anxiété... L'espoir ne se limite pas à un morceau de papier. Il s'appuie chaque jour sur l'obstination, la foi, le courage de ceux qui le vivent et veulent à tout prix croire à la paix. A 29 ans, Noa, la chanteuse la plus populaire d'Israël, est devenue leur symbole, la colombe de la nouvelle génération. Entre deux spectacles, elle s'est posée un moment pour confier son histoire mouvementée, sa vie de femme israélienne, et son désir de voir un jour la vraie réconciliation. La paix, oui, Noa y croit.
Vos compositions mêlent le rock anglo-saxon et les motifs orientaux, vous chantez en hébreu aussi bien qu'en anglais, vous êtes acclamée en Israël mais aussi en Europe, aux Etats-Unis, en Asie; vous vous dites juive mais farouchement laïque, et vous vous présentez comme une artiste engagée résolument «multiculturelle»... Quel mélange!
Quelle est donc votre vraie identité? Je suis israélienne. Totalement israélienne. Avec des origines multiples, comme beaucoup d'Israéliens. Bien sûr, il est arrivé que, dans mon propre pays, on me fasse me sentir étrangère, parce que je chante en anglais, ou par jalousie, parce que j'ai du succès au-delà des frontières. Mais tout le monde sait bien que j'appartiens entièrement à ce pays, même si je n'y ai pas passé mon enfance et même si, à un moment de ma vie, je ne savais plus où était ma vraie identité.
Votre enfance, vous l'avez vécue aux Etats-Unis, dans le Bronx. Vous étiez une petite Américaine classique? Oh non! Mes grands-parents venaient du Yémen. Mon père, un chimiste, et ma mère, qui était enseignante, sont nés en Israël. Moi, je suis née à Haïfa. Quand j'avais 1 an, mes parents sont partis aux Etats-Unis, et je suis donc restée là-bas jusqu'à mon adolescence. J'y ai vécu en pleine confusion. Chez nous, je parlais hébreu et yéménite. A l'extérieur de la maison, je parlais anglais. J'ai grandi, très protégée, dans une enclave juive, comme dans une serre! A l'abri de tout ce qui était américain. Mon père détestait les McDonald's, le Coca-Cola, la télé... Il m'a mise dans une école religieuse juive. C'est ce qui m'est arrivé de mieux.
Pourquoi donc? Ce fut une expérience exceptionnelle, qui m'a permis d'intégrer les vrais principes du judaïsme. Je suis restée très amie avec le rabbin. Aujourd'hui encore, je lui téléphone toutes les semaines, et nous discutons du judaïsme. Si je me suis éloignée de la religion, c'est parce que je veux mener ma barque moi-même. Quand vous suivez une religion, tout est prévu, tout est balisé. Vous savez qui vous êtes, d'où vous venez, où vous allez... J'ai toujours eu horreur des attitudes dogmatiques, je préfère me forger mon propre jugement.
La petite juive s'est donc rebellée. Et vous avez goûté à l'american way of life. J'ai voulu prendre l'air. Quand je sortais avec mes amis, on me prenait pour une Portoricaine. Je me suis lancée dans la danse et dans le patinage. Vous imaginez, cette petite aussi typée, aussi «arabe», sur des patins, c'était surprenant. Mais personne ne s'étonne de rien à New York. Si le judaïsme m'a donné des principes moraux, New York m'a appris à me débrouiller et à me défendre. Je suivais les cours de la High School for Performing Arts, j'allais aux concerts du Grateful Dead, j'étais un peu hippie.
Américaine, donc. Non, je me cherchais... A 15 ans, j'étais très malheureuse, déchirée entre la culture de la maison et celle de l'extérieur. Je ne comprenais pas qui était cette fille de couleur: étais-je juive? israélienne? yéménite? américaine? Je me sentais obsédée par cette recherche d'identité. Alors, à 17 ans, je suis partie pour Israël.
Retour aux sources, quête des origines? L'amour! C'est la meilleure des raisons, non? Je suis tombée amoureuse d'un homme que j'avais rencontré lors d'un voyage là-bas. Mes parents m'ont fait confiance, ils m'ont laissée partir. Cela m'a donné de l'assurance et de la maturité. En Israël, je me suis retrouvée en uniforme: sergent. Mais aussi chanteuse, affectée au groupe vocal du Northern Command Ensemble, qui faisait la tournée des bases militaires du pays, en pleine période de l'Intifada. On donnait des concerts de fortune, avec du matériel dépareillé. J'ai découvert que j'aimais cela. C'était quand même mieux que de courir dans la boue, un M 16 en bandoulière. Pendant mon service militaire, j'ai compris que nous étions mortels, que la vie pouvait être très courte. Et qu'il n'y avait pas de seconde chance.
C'est donc grâce à l'armée que vous êtes devenue chanteuse? Oui. Dans un bus, en revenant de Tel-Aviv, un ami m'a demandé ce que je ferais après l'armée. Je lui ai répondu: «Du droit, à Harvard.» Il a explosé: «Tu plaisantes! Tu seras musicienne, tout le monde le sait!» J'étais la dernière à le savoir. Cette conversation a changé ma vie. J'ai eu beaucoup de chance, merci mon Dieu! La chanson, c'était quand même une tradition familiale. Justement. La musique était pour moi si naturelle que je ne pensais pas en faire un métier. Elle est profondément ancrée dans la tradition yéménite, et elle a toujours été très présente dans ma vie. Tout le monde chantait chez nous. A chaque occasion, à chaque fête, je préparais une chanson. A 8 ans, j'en composais sur les sans-abri à New York, sur la destruction des forêts, sur Dieu... C'était ma manière de m'exprimer. Ma rencontre avec le guitariste Gil Dor a précipité les choses. Il m'a demandé de chanter une première fois dans un concert de jazz, et nous ne nous sommes plus quittés.
Vos fans connaissent la suite: en Israël, un disque d'or qui surprend tout le monde, un succès inattendu au Japon, puis en Espagne, aux Pays-Bas, en France, une tournée aux Etats-Unis avec un Carnegie Hall bourré à craquer... Beau conte de fées: vous renouez avec l'Amérique, et vous savez enfin qui vous êtes! Maintenant, votre musique vous ressemble: un mélange d'Orient et d'Occident, tantôt tendre, tantôt engagé... Ne me dites surtout pas qu'il s'agit de world music! Bon, je ne sais pas la définir. C'est un problème pour les magasins de disques: qu'ils la classent donc par ordre alphabétique! Disons qu'elle est interculturelle, qu'elle puise dans le réservoir mondial du rock et du pop, colorée par des éléments du Moyen- Orient et de tout ce qui fait mon histoire. Il y a l'influence de Paul Simon, de Sting, de Prince... Mais aussi celle de chanteuses israéliennes plus âgées, telle Ester Ofarim, qui offrait un travail vocal très beau, très soigné. Vous avez raison, ma musique, c'est vraiment l'expression de mon identité. On peut y trouver ma vie, les secrets de mon cœur, comme un voyage à travers l'âme. C'est moi: je suis juive, israélienne, laïque et chanteuse.
Votre musique parle aussi de la paix. Au point qu'on vous considère maintenant comme le porte-parole de la nouvelle génération israélienne, presque un symbole. Je n'ai pas choisi ce rôle. Au début, je l'ai même refusé. Mais petit à petit, j'ai réalisé que je pouvais me servir de ma notoriété pour parler de mon pays. Je suis indignée par l'image de haine et d'arrogance que le gouvernement actuel en donne. Israël, ce n'est pas cela! Israël, c'est au contraire un profond désir de vivre en paix. Les Israéliens comme les Palestiniens souhaitent élever leurs enfants dans un atmosphère pacifiée, où on pourrait parler de musique, de culture, d'éducation, d'économie. Bref, de toutes ces choses qui font une société normale.
Il y a trois ans, vous étiez à côté d'Itzhak Rabin, au moment de son assassinat, dans un meeting que votre présence avait contribué à rassembler. Après sa mort, vous aviez alors perdu tout espoir. Je suis un peu plus optimiste maintenant. Bien sûr, dans les deux camps, il y a les extrémistes. Eux, ils ne veulent pas la paix. Vous savez pourquoi? Parce qu'ils perdraient le sens de leur vie. C'est terrible à dire, mais ces gens-là n'auraient plus rien, plus de combat à mener, plus de cause pour laquelle se battre ou mourir... Mais ils ne constituent pas une majorité. Moi, je fais confiance à Yasser Arafat. Comme Rabin, il a tiré les leçons de son expérience. Autrefois, Rabin était un extrémiste qui avait pu dire: «Brisez les os de tous les prisonniers!» Venir de tels horizons et admettre publiquement son erreur, voilà la vraie grandeur. Changer d'avis est beaucoup plus courageux que s'obstiner. C'est pourquoi je respecte ces deux hommes.
Avez-vous le sentiment de partager votre culture avec les Palestiniens? Mais oui! Nous mangeons la même cuisine, nous écoutons la même musique, nous parlons presque la même langue. Nombre d'Israéliens parlent arabe, et certains Palestiniens parlent hébreu, ils sont éduqués et cultivés... Nous pourrons enrichir encore tout cela quand nous aurons surmonté les barrières de la haine. Nouez-vous, par exemple, des échanges avec des artistes palestiniens? Très peu, hélas. La plupart d'entre eux y sont très réticents. Ils ont peur de déplaire à leur communauté. C'est très triste. Mon mari, qui est médecin, observe la même chose: quand les habitants dépendant de l'Autorité palestinienne sont malades, ils partent se faire soigner au Liban ou en Jordanie. Mais pas en Israël, où les équipements sont excellents. Leurs frais ne seraient pas remboursés par leur assurance. Pourtant, devant la maladie, il n'y a pas de Dieu, ni de religion, ni de nationalité. La réconciliation est encore loin.
A quoi aspirez-vous vraiment? Un seul pays, un seul peuple?Non. Deux Etats! J'ai besoin d'Israël, comme tous les juifs, même ceux de la diaspora, même ceux qui n'y ont jamais mis les pieds. Il nous faut un lieu où poser notre identité. Une terre, un drapeau, un hymne... Un lieu que nous pouvons faire nôtre. C'est la même chose pour les Palestiniens. Voilà pourquoi Israël devrait les reconnaître comme une nation. Ce serait merveilleux d'avoir avec eux une frontière libre et ouverte, une collaboration économique, culturelle, éducative... «Mais pourquoi ne prenez-vous pas un bout des Etats-Unis pour y installer un Etat juif?» nous demande-t-on parfois. Eh bien, non. Notre histoire est en Israël, pays de la Bible et d'Abraham... C'est la terre de nos grands-pères. Il faut faire avec ce que l'on a.
Comment y vit-on quand on est laïque? La confusion entre la religion et l'Etat mine non seulement la politique, mais la vie quotidienne. Pour chaque acte privé - mariage, divorce, naissance, adoption, enterrement - il faut s'adresser aux représentants religieux. Si vous refusez l'autorité des rabbins, il faut passer par celle des chrétiens ou des musulmans. Il n'existe pas d'alternative civile. Ce qui pose un grave problème pour les mariages mixtes. Je pense que la séparation de la religion et de l'Etat sera le prix à payer pour la démocratie et la liberté.
Et comment vit-on en tant que femme? La situation des femmes n'est pas comparable à celle des autres pays de la région. L'esprit d'émancipation, présent dès l'arrivée des premiers juifs d'Europe, les kibboutz, l'expérience de l'armée, tout cela a rapproché les hommes et les femmes, même si la loi, à cause de la religion, ne suit pas toujours les mentalités. Et puis, nous avons d'autres sujets de préoccupation...
L'une de vos chansons, All Is Well, raconte comment des parents qui ont perdu leur enfant dans un attentat tentent de faire croire que «tout va bien»... Comment, après de tels drames, retrouver l'envie de lutter pour la paix? Quelle est l'alternative? Il faut y croire, c'est tout. Cela demande énormément de force. Il y a d'abord la douleur, le désespoir. Les gens renoncent difficilement à leurs émotions. Elles leur donnent une forme de sécurité: ils se cachent derrière un mur de chagrin. Il faut pourtant savoir dépasser sa peine et dire: «Me voici, je suis prêt à t'accepter. Que vas-tu faire maintenant? Tirer? Non, tu ne le feras pas.» La raison doit être la plus forte...
Mais la tension reste extrême... Forcément! Les gens sont toujours sur le fil du rasoir... En Israël, nous vivons plus vite qu'ailleurs. Moi, si je ne voyageais pas, je deviendrais folle. Mais quand je rentre, je me dis: «Pourquoi pas ici? C'est mon pays.» Alors je me bats! Avec votre voix et les propos humanistes que vous tenez entre deux chansons... C'est banal de le dire, mais la musique réunit: elle fait danser, pleurer, sourire. L'énergie sexuelle qu'elle transmet est universelle. Pour moi, le sexe est bien préférable à la violence! L'amour, c'est mieux que le sang, non? Et puis, lorsqu'on écoute un artiste qu'on aime, on s'adoucit, on devient réceptif. Je me sers de ce pouvoir au maximum! J'encourage les gens à s'ouvrir, à bousculer les frontières.
Vous chantez aussi en Allemagne.. Là-bas, l'émotion pendant le spectacle est immense... Pour moi, juive, israélienne, c'est un symbole essentiel de chanter là-bas. Cela montre que les choses peuvent changer. Tous les jeunes Israéliens sont informés sur l'Holocauste, les enfants vont visiter les camps en Pologne et en Allemagne. Nous devons en parler, y faire face. Mais, en même temps, apprendre à s'en séparer et à aller de l'avant. Nous sommes la génération suivante. Celle de la paix.
L'enfant que vous aimeriez avoir grandira en Israël? Bien sûr. Y aura-t-il encore une guerre quand il aura l'âge de l'armée? Y aura-t-il encore cette tension qui détruit la beauté de la vie? Je ne lui donnerai pas une éducation religieuse, mais je lui enseignerai le sens moral: la bonté, la compassion, le goût du beau. Et j'aimerais tant qu'il vive dans un monde différent du mien, dans un pays enfin paisible!
http://www.lexpress.fr/culture/musique/world/je-suis-juive-israelienne-laique-et-chanteuse_498387.html | |
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