La fin des résistances démocratiques, par Gilles Bressand, président du SNEP de 2001 à 2006
Gilles Bressand connaît l’industrie de la musique.
Pianiste professionnel dans sa jeunesse, il fut aussi patron du label XIII bis Record, et occupa le siège de président du SNEP - le syndicat regroupant les majors - durant 5 ans à partir de 2001. Il fut l’un des observateurs privilégié de l’arrivée de l’Internet et du P2P. Nous publions en exclusivité une tribune qui tombe à point nommé alors que le gouvernement veut absolument faire voter la loi Hadopi 2...
Le vote attendu de la loi dite "Hadopi 2" à l’Assemblée nationale devrait être l’épilogue du feuilleton législatif le plus haletant que la filière des industries de contenu ait connu depuis Beaumarchais.
Haletant, certes, mais épuisant. Cette course de fond, je l’ai entamé quand, alors jeune président du Snep (Syndicat national des éditeurs phonographiques), j’ai dû faire face au dilemme de l’impérieuse nécessité du développement du haut-débit confrontée au pillage des oeuvres sur internet. Sous l’effet conjugué d’une volonté politique sans faille et d’une implication (enfin) de tous les ayant droit (artistes/industrie et musique/cinéma), Hadopi 2 sera votée.
Eclairant un détestable mois de juin ayant vu se produire trois événements d’inégale importance mais à charge symbolique forte : le décès prématuré du plus gros vendeur de disques ; la baisse du seuil des disques d’or à 50 000 exemplaires ; et l’annulation d’une partie des dispositions de la loi Hadopi par le Conseil constitutionnel, qui plus est, dans une décision de principe qui éclaire sa jurisprudence future. Acteur de la filière musicale, j’ai bien entendu été choqué par la portée de cette décision ; mais en tant que citoyen, également, je ne pouvais que m’incliner devant une juridiction incarnant un des piliers du socle démocratique.
Licence globale
Pour autant, j’ai été également frappé par les critiques venant de mes amis de la filière émises sur cette décision, qualifiée de politique (anti-gouvernementale), de crise de jeunisme d’une assemblée de (vieux) sages, voire de "décision qui ne change rien", puisque le Conseil constitutionnel aurait "validé l’essentiel du texte". Il y a là comme un paradoxe : pourquoi crier à la décision politique si le changement de modus operandi des sanctions était de si peu d’importance ! Et puis tout m’est revenu : comment depuis 2005, des résistances s’opposent à notre volonté de nous doter d’un arsenal législatif adapté (et légitime) face au piratage des oeuvres sur internet. Quoi que j’en pense, nous sommes pris à défaut de ne pas nous interroger sur la nature de ces résistances... Ce sont des résistances démocratiques.
Les faits sont têtus, rappelons-nous. Dans la nuit du 22 décembre 2005, dans la cadre de la transposition de la directive européenne "Droit d’auteur et droits voisins dans la société de la l’information", une Assemblée nationale clairsemée vote la licence globale, à la stupeur des ayant droit, licitant ainsi les échanges "pirates" sur internet contre redevance. C’était un peu comme si une poignée de députés avait rétabli la peine de mort à la faveur d’un hémicycle vide et d’une heure tardive. Nous incriminons alors, pèle-mêle, le manque de courage des députés absents, et la légèreté d’un ministre négligeant le b.a.-ba de la gestion parlementaire : compter ses voix. Mais l’Assemblée avait voté, et il nous a fallu plusieurs mois pour défaire puis enterrer la licence globale.
En 2008, le député européen Guy Bono fait voter à une large majorité, par le Parlement de bruxelles, une recommandation affirmant le droit fondamental que constitue l’accès à Internet, ce qu’une autorité administrative ne saurait donc réduire. Le judiciaire en aurait seul la compétence. Ce texte présumait des difficultés que nous allions rencontrer dans l’élaboration d’Hadopi et de sa riposte graduée. Nous avons fermement critiqué ce vote en raillant un Parlement européen qui vote d’une seule voix dès que le mot de liberté est prononcé, sans en mesurer ni la portée, ni la pertinence. C’est pourtant pour les mêmes raisons qu’un an plus tard, le même parlement a rejetté en bloc le "paquet télécom", pour ne pas avaliser la suspension d’abonnement à internet par une autorité administrative.
Avril 2009, bis repetita, entre les députés cachés derrière le rideau et ceux planqués à la buvette, l’Assemblée nationale rejette le texte pourtant adopté en commission mixte paritaire. Nous avons alors stigmatisé le grotesque des uns et la couardise des autres, mais l’Assemblée encore avait voté. La détermination gouvernementale met de l’ordre et fait revoter. On vote, on revote...
Ubi societas, ibi jus
Enfin, comme évoqué plus haut, le Conseil constitutionnel met un frein, irrévocable celui-ci, à la riposte graduée telle qu’elle était conçue.
Il y a des résistances. Nous nous battons, nous contournons, mais en tirons-nous tous les enseignements ?
En terme de résistance, il ne s’agit pas ici de lobbys, d’aficionados pro-libertaires de l’Internet, ou de fournisseurs d’accès aussi rétifs à appliquer Hadopi qu’à reconnaître leur responsabilité passive dans le pillage de oeuvres, mais de trois instances emblématiques du pacte social : les assemblées du peuple d’un côté, le gardien de la constitution de l’autre. Il serait déraisonnable de ne pas tenter de comprendre la portée de ces résistances démocratiques.
Qu’avons nous fait pour que nos attentes légitimes - protection du droit d’auteur, riposte graduée en lieu et place du délit de contrefaçon - soient ainsi contrariées par les corps constitués ? Pourtant, tout (âge/fonction/culture) aurait dû les amener à renforcer le droit d’auteur.
Qu’est-ce qui ne passe pas ? Alors que partirons à l’automne prochain les premiers messages d’avertissement envoyés aux internautes pirates, il faudra que la filière musicale s’interroge sur son déficit d’image. Et c’est une déplorable représentation de nous-mêmes que nous donnons, pire que celle d’’un marxisme essoufflé, transposant la lutte des classes dans notre secteur où amateur de musique (non payée) et industrie culturelle y seraient par définition des ennemis irréductibles.
Ubi societas, ibi jus, le droit ne précède pas les usages, il les accompagne.
L’enjeu de la filière est de se projeter avec audace dans l’après Hadopi. Les Etats généraux du droit d’auteur annoncés par le président de la République en seront l’occasion. Afin de se libérer de cette suspicion "d’impureté", de ne pas apparaître comme les défenseurs des intérêts particuliers d’une industrie en souffrance, d’être porteurs de choix pour la création de demain, de placer les artistes et les auteurs au centre du débat, il faudra faire notre petite révolution interne.
Si les mutations actuelles ne nous obligent pas à la faire, soyons en sûrs, les résistances démocratiques repartiront de plus belle avec une force inextinguible. Il est tentant de "négliger son statut de contemporain".
Ca ne doit pas être notre credo, nous valons mieux que ce renoncement.
* 21 juillet 2009
Gilles Bressand EN 2008 a été Président des Victoires de la Musique.