Elle fut un mannequin superbe, l'égérie de Man Ray, puis reporter et photographe. De mode, de portrait, de guerre. Tout comme elle eut plusieurs maris, Elizabeth - alias Lee Miller - eut plusieurs vies. Chaque lieu de séjour, chaque période de sa vie donna un ton nouveau à son œuvre, que Le Jeu de Paume explore au fil de 140 photos, quelques revues et dessins.
1932 - Fashion study - Paris France
Mannequin, dans le berceau, ou presque. Lee Miller commença sa carrière sous l’objectif de son papa, avant de poser devant ceux de Horst P.Hirst, George Hoyningen-Huen ou Edward Steichen, et, nue, devant celui de Man Ray, son amant, son Pygmalion. Des traits harmonieux, un nez oblong, un regard clair, une beauté rare qui capte la lumière avec intensité. On la découvre donc en gros plan ou en pied, en robe blanche vaporeuse dans le studio Vogue ou en pantalon de grosse toile. Puis Lee passe de l’autre côté. Man Ray lui a enseigné la solarisation et elle l’expérimente au fil de clichés surréalistes. Lee Miller a eu plusieurs maris, a séjourné dans plusieurs villes, vécu plusieurs vies.
1930 - Charlie Chaplin - Paris France
Son art pluriel se confond logiquement avec une existence en perpétuel mouvement. Plutôt intéressant donc, cet accrochage chronologique pour lequel a opté le Jeu de Paume, où chaque espace correspond à une époque et ses orientations artistiques. Même si l'on aurait aimé des textes un peu plus fouillés.
A New York, Lee Miller a quitté Man Ray. « Préférant prendre une photo qu’en être une », comme elle l’explique à un journaliste, elle se consacre véritablement à son art. Au 8 East 48th Street, elle crée son studio avec son photographe de frère. Un écrin pour des portraits d’acteurs, chorégraphes, modèles de maisons de mode ou cosmétiques. Au milieu des années 30, direction l’Egypte où elle rejoint son richissime époux, Aziz Eloui Bey. Là, place à des photographies de paysages empreintes d’onirisme : voyez son Portrait de l’Espace, où un voile déchiré s’ouvre sur le désert… ou ses clichés de pyramides. Quelques trouvailles, un peu d’ennui. Il lui faudra rejoindre Paris pour retrouver la flamme créatrice, sous la houlette de sa joyeuse bande de pairs, de Man Ray à Dora Maar en passant par Picasso.
1944 - Model preparing for a millinery salon, Salon Rose Descat. - Paris France
Le choc de la guerre
Le vrai choc, c’est la guerre. Lee Miller, désormais installée à Londres auprès de son nouveau conjoint, est la collaboratrice de Brogue, édition britannique de Vogue. Elle signe les images ainsi que certains textes. Elle shoote les infirmiers à l’œuvre lors du débarquement en Normandie, Paris pendant la Libération, des auxiliaires de surveillance du territoire londonien, ou encore l’appartement d’Hitler, à Munich, où elle va jusqu'à se mettre en scène dans la baignoire du Führer. Nombre de scènes, mêmes glaçantes, acquièrent une beauté rare, dans des compositions léchées entre ombres et lumières : ici des auxiliaires féminines de surveillance du territoire londonien, là un SS noyé dans un canal, ou une femme suicidée, sur un canapé. Glaçant, surtout, son reportage sur l’Allemagne, intitulé « Germans are like this » (Les Allemands sont comme ça). Elle y évoque « des villages tranquilles et des villes en ruine habitées par des schizophrènes », « des enfants en bonne santé et bien nourris ».
1944 - Place de la Concorde - Paris France
L’effroi vient des parallèles systématiquement réalisés entre l’Allemagne de la vie et celle de la mort. Ici l’existence sereine des Allemands « ordinaires », là les camps de Buchenwald et Dachau. Ici des enfants gambadant, qu’on imagine aux joues roses malgré le noir et blanc, là des cadavres entassés, ici des clochers, là des os brûlés. L’ensemble est paru le 1er juin 1945, entre des réclames doucereuses pour des cosmétiques ou du chocolat, et des photos de mode aux tons sépias…
1944 - Children, Paris, France - Children celebrating the Liberation on a car burned out in the fighting.
Un peu sonnés, on observe d’un œil distrait la dernière section qui passe en un temps record sur la période de l’après-guerre et le retour à la normale. Anecdotique, mais amusante, la partie « Working guests » est consacré à l'époque où Lee Miller mène une vie pépère avec son mari et son fils à la campagne, où elle reçoit moult amis artistes. Elle s’amuse à les photographier dans des tâches de la vie quotidienne : ménage et jardinage. Alfred Ban Junior, directeur du MOMA, nourrit les cochons, le photographe Saul Steinberg se bat avec un tuyau d’arrosage. Une sorte de Simple life avant l’heure.
L’art de Lee Miller, au Jeu de Paume,
Catalogue 224 pages, 180 photos. 35 euros.
http://www.fluctuat.net/6617-L-art-de-Lee-Miller-au-Jeu-de-Paume