La Californie restitue des tableaux aux héritiers de victimes du nazisme
Deux tableaux de la Renaissance exposés depuis des décennies au château Hearst en Californie ont été rendus vendredi aux héritiers de marchands d'art juifs qui avaient été contraints de fuir l'Allemagne nazie.
La cérémonie était l'aboutissement de deux ans d'enquêtes des autorités californiennes pour localiser les héritiers. Les tableaux ont appartenu avant-guerre à Jakob et Rosa Oppenheimer, des marchands d'art forcés en 1935 de vendre dans une enchère de liquidation les oeuvres de leur galerie berlinoise.
Les citoyens juifs étaient alors obligées de recenser leurs avoirs et de les déclarer au gouvernement allemand. Les Oppenheimer étaient partis en France deux ans plus tôt, et avec l'aide de parents, ils dirigeaient la galerie à distance, jusqu'à la confiscation des oeuvres. Jakob Oppenheimer est décédé en France en 1941, et sa femme deux ans plus tard, à Auschwitz.
Un de leurs petit-fils, Peter Bloch, vivant en Floride, assistait à la cérémonie, et il a été surpris d'apprendre que les tableaux se trouvaient en Californie.
Les tableaux à l'huile du 16e siècle restitués comprennent un portrait d'homme au livre et collier de coquillages, attribué à l'artiste vénitien Giovanni Cariani. Le second est un portrait de noble, Alvise Vendramin, attribué à l'atelier du Tintoret. Les deux tableaux étaient présentés dans la suite de style vénitien du Hearst Castle, la résidence du magnat de la presse William Randolph Hearst, immortalisé par Orson Welles dans "Citizen Kane". Hearst a accueilli dans cette suite des hôtes de marque comme Winston Churchill et le président américain Calvin Coolidge. Un troisième tableau, Venus et Cupidon, de l'école de Paris Bordonen, autre peintre vénitien, va rester à la résidence Hearst, en accord avec les héritiers Oppenheimer.
Peter Bloch et une autre héritière exilée en Argentine ont reçu les deux toiles, qu'ils comptent vendre. "Avec cela, mes petits-enfants pourront aller à une très bonne école, et je vous suis reconnaissante" a déclaré la seconde descendante identifiée, Inge Blackshear, de Buenos-Aeres.
La cérémonie était la 25e organisée dans le cadre d'un accord signé par les Etats-Unis les engageant à rapatrier les oeuvres d'art spoliées par les nazis, a rappelé Erik Ledbetter, directeur des programmes internationaux et de l'éthique de l'association des musées américains à Washington D.C. Les musées américains ont commencé à s'interroger sur l'origine de leurs collections après la chute du Mur de Berlin. Des oeuvres accrochées au Metropolitan Museum de New York, à l'Art Institute de Chicago et à la National Gallery de Washingon ont été rendus à des descendants de leurs propriétaires légitimes.
"Les nazis avaient une fascination morbide les amenant à commettre des crimes sous couverture légale" a signalé Ledbetter. "Ils avaient un génie tordu pour inventer des mécanismes apparemment légaux, mais légitimant en fait des vols. C'est ce qui est arrivé aux Oppenheimer".
Les oeuvres ont été repérées par un avocat travaillant à Paris, Eva Sterzing, dans une brochure datant de 1976 présentant des oeuvres du domaine Hearst parmi diverses richesses de la Californie.
Le milliardaire Hearst possédait 25.000 oeuvres d'art réparties dans les 165 pièces de son château, et il avait six propriétés. Ses rabatteurs d'art avaient acheté les trois tableaux directement en 1935 à Berlin, à la galerie Goldschmidt, sans connaître leur provenance, affirme le directeur de la collection Hearst, Hoyt Fields. "S'il avait su, même après les avoir achetés, M. Hearst les aurait rendus" selon lui. Les trois tableaux ont été légués à l'Etat en 1972 avec le contenu du château. AP