Voici la première biographie complète sur celle qui demeure un exemple unique dans l'histoire de la peinture. Une magnifique artiste tour à tour aimée et délaissée, entourée et solitaire, célèbre pour avoir partagé un grand amour avec le poète Guillaume Apollinaire et avoir été adulée dans les années 1920.
Deux jeunes femmes au concert - 1935(
Fille d’une brodeuse (qui avait peut-être une larme de sang créole dans les veines) et d’un député (Alfred Toulet, qui ne la reconnaîtra pas officiellement, dont elle ne portera donc pas le nom, mais qui, jusqu’à son décès en 1905, pourvut aux frais quotidiens de l’enfant et de sa mère), Marie naquit le 31 octobre 1883 à Paris - où elle s’éteindra le 8 juin 1956. C’est au Père-Lachaise qu’elle repose.
Très tôt le démon du dessin, de la peinture la tenaille (ou la caresse ?); et à l’Académie Humbert où elle s’est inscrite, elle rencontre l’alors débutant Georges Braque.
En 1906, Marie - qui n’aura jamais froid aux yeux - fait la connaissance du collectionneur, marchand d’art (et impénitent séducteur) Henri-Pierre Roché, futur romancier de l’autobiographique "Jules et Jim" dont François Truffaut tirera un film culte; en juin, Roché devint le premier amant de Marie, puis premier acheteur d’une de ses œuvres. Simultanément, elle partagera ses faveurs avec le meilleur ami de Roché, Franz Hessel .
En 1907, s’exerçant au fauvisme, encouragée par le poète Paul Fort (cher à Brassens), elle expose au Salon des Indépendants aux côtés du Douanier Rousseau, d’André Derain, de Picasso. Fréquentant la galerie de Clovis Sagot, rue Laffitte, elle y rencontre précisément Picasso qui, en avril, lui présente Guillaume Apollinaire.
Entre Marie, qui a 23 ans, et le poète qui en a 26, naît un amour qui durera cinq printemps : un été de l’âme que déchireront des orages car ces amants terribles ont le cœur à traits de hérisson. Amoureux de l’amour plus que de l’aimée, infidèle et jaloux, Wilhelm contribuera comme personne au succès de cette muse qui, après leur séparation, lui inspirera l’un des plus élégiaques poèmes du XXe siècle, "Le Pont Mirabeau" : dans ses articles (Apo étant un extraordinaire critique d’art), le futur amant de l’érotique Lou (pour laquelle il écrira le sublime "Si je mourais là-bas ") ne tarira jamais d’éloges.
Jeune Femme à la Mantille
Devenue l’une des habituées du "Bateau-Lavoir" - le mythique atelier montmartrois de la rue Ravignan, où Picasso vécut à partir de 1904 et où se réunissaient peintres et poètes initiateurs du cubisme -, Marie bénéficiera de la célébrité de ses amis. Ainsi, d’elle et du poète d’"Alcools", le Douanier Rousseau peindra par deux fois le couple, y enlaidissant Marie, l’épaississant même, assez inexplicablement; à son tour, Marie immortalisera "Guillaume Apollinaire et ses amis" par deux toiles dont l’une sera sur-le-champ acquise par l’écrivain et collectionneuse américaine Gertrude Stein, grâce à qui Marie sera vite prisée outre-Atlantique.
La Répétition - 1936 - Musée d'Art Moderne - Paris
Sa peinture, trompeusement mièvre (aux yeux de spectateurs peu attentifs), aux roses et gris délicats, représente essentiellement des jeunes femmes, alanguies et silencieuses (mais d’un tout autre silence que celui des plantureuses déesses de Delvaux), dont l’on pressent qu’existe entre elles davantage que de la complicité : une tendre amitié, moins torride que chez Tamara de Lampicka, mais non moins saphique.
Portrait de Flora Groult - 1947
Dans son magistral essai sur les couples de femmes dans l’art ("Les Deux Amies", paru aux Editions Blanche en 2000), Marie-Jo Bonnet suggère que Marie Laurencin est en art l’équivalent de Colette en littérature : on ne peut que souscrire à cette appréciation. En 2011, il n’est plus de saison, comme ce l’était hier, d’occulter ce versant de la vie de Marie Laurencin. Si celle-ci eut des amants, dont Apollinaire restera le plus légendaire (lui qu’elle quitta en juin 1914 pour épouser un jeune baron allemand : de ce jour, Guillaume et elle ne se reverront jamais), Marie eut des amies très chères, notamment Nicole Groult, l’une des sœurs du couturier Paul Poiret. Une fille de ladite Nicole, Flora Groult, publia en 1987, au Mercure de France, un livre de souvenirs ("Marie Laurencin") où elle tait ce domaine intime de l’artiste et de sa mère; à présent, la féministe Benoîte Groult, le reconnaît : "Ma sœur Flora n’a pas voulu, n’a pas osé". Voilà donc levé le voile.
Marie Laurencin
Auteur : Bertrand Meyer-Stabley
Date de saisie : 15/10/2011
Genre : Biographies, mémoires, correspondances...
Editeur : Pygmalion, Paris, France
http://www.lalibre.be/culture/livres/article/699705/marie-laurencin-muse-d-apollinaire.html