Les violonistes vraiment enthousiasmants se comptent aujourd'hui sur les doigts de la main. Tedi Papavrami , 39 ans , albanais d'origine , français d'adoption , traducteur attitré d'Ismaîl Kadaré depuis dix ans , est de ceux là .
Une technique hallucinante , une sonorité sublime , une passion jamais affaiblie ...
Comme ces acteurs de théâtre qui tiennent la scène sans avoir à parler , il vous accroche d'entrée et vous tient : il a cette poigne .
Pourtant tout chez lui , et jusqu'à l'autorité , repose sur une fragilité essentielle . Sûr de ce qu'il fait , jamais sûr de ce qu'il est . Lorsqu'on lui parle , on redoute de le blesser . Il n'avait pas 5 ans lorsque son père lui a mis un instrument entre les mains . Premier concert à 8 ans . Beaucoup plus tard , quand il reviendra dans son pays , qu'il reverra les « 800 000 bunkers de béton» construits en prévision des invasions et les pieds de vigne tous hérissées de pointes métalliques ( contre les parachutistes ), il aura dans les yeux des éclats de rire trempés de larmes .
« La dose de travail était incroyable »
Tout enfant , après 2 ans de négociations avec le régime , il obtient de partir pour Paris , où il vient de remporter le concours d'entrée au Conservatoire ( à 11 ans ). Il vit dans un appartement « presque vide , sale et sans rideaux » appartenant à l'Ambassade . « On y logeait les diplomates de passage ,pour économiser l'hôtel . En 1982 , l'ambassadeur était payé 1000 francs . Avec ma bourse française , j'étais plus riche que lui » Il prend ses repas quelques étages plus haut , chez un fonctionnaire de l'ambassade , genre Thénardier , « des gens horriblement méchants , à qui je donnais 600 francs pour ma nourriture , et dont ils tentaient de conserver la plus grande partie » Mais un chauffeur l'emmenait aux leçons . « Les cours d'analyse , quand on ne parle pas le français.C'était affreux .» Et là se produit un curieux renversement : « En Albanie , mes parents me surveillaient , me forçaient à travailler, c'était une contrainte extérieure - alors je trichais , j'avais la liberté de tricher , je n'ai jamais été aussi libre .» ( On dirait du Sartre : Jamais, nous n'avons été plus libres que sous l'Occupation allemande ). Alors qu'à Paris : « Je me suis forcé à travailler , je me levais à 5 heures , j'avais tellement peur de ne pas avoir envie. C'était une contrainte intérieure.....»
Etait-il sûr d'avoir du talent ? « Ah oui , ça depuis toujours . Mon père , qui était très dur , me disait justement que je ne méritais pas mon talent , que j'étais nul .» Il s'inscrit en sixième , apprend le français . « La dose de travail était incroyable , j'avais quatre heures de scolarité générale , cinq heures de violon quotidiennes et tous les cours du Conservatoire : violon , analyse , solfège , déchiffrage . Mais je souffrais horriblement de passer quatre heures au collège . J'étais obsédé par ces heures de violon que je perdais .»
Cela ne s'arrange pas , il découvre les grands violonistes : « Jascha Heifetz me transperçait le coeur . On m'aurait dit : tu joues comme lui pendant un an et tu meurs après , j'aurai signé .»
Puis sa mère le rejoint à Paris , et son père .Le régime se venge sur le reste de la famille . Déportations , travaux forcés......Le jeune Tedi y pense alors aussi peu que possible , mais la nuit les rêves le rattrapent . Et le violon ne va pas bien : « C'était tendu , serré , marqué au fer rouge . Ce que j'avais acquis , la fuidité , la détente , cela ne m'intéressait pas . J'ai toujours eu du mal à faire face à qu'elqu'un , à le contrer; si bien que j'avais peur de me renier en quêtant l'approbation de l'autre , et de me fourvoyer, de trahir mes idées et mes goûts.
Alors Tedi Papavrami travaille seul. Il passe au « Grand Echiquier », les concerts viennent , premier disque à 18 ans . « Je n'étais pas mûr .Personne n'a autant changé que moi .On ne le sait pas toujours . Il continue à faire ce qu'il aime . Il joue comme un dieu , il est flamboyant mais sa carrière est sans paillettes . C'est un pur-sang , il enregistre pour Aéon , excellente maison qui le laisse galoper librement . Il multiplie les disques de violon seul , de musique de chambre, il joue des sonates de Scarlatti , déjà difficiles pour le clavier , ou des fantaisies pour orgue de Bach, vient de publier un disque fantastique de concertos français . Il est là où on ne l'attend pas. Les « Caprices » de Paganini , pierre de touche de la « virtuosité transcendante » comme disait Liszt , qui s'y connaissait , il les publie dans un double album : une prise de studio et un renregistrement de concert .
. Stupéfaction de ses pairs . Silence jaloux . Perplexité de la presse , qui voyait en lui une machine à faire des notes et découvre un fantastique musicien . C'est que , un peu moins occupé que ses collègues de niveau identique , il prend le temps de travailler, de changer , de progresser. Parce que cet Albanais montre une sensibilité exceptionnelle pour la langue française , comme le libanais Schéhadé , comme le roumain Cioran , comme l'argentin Bianciotti , Fayard le choisit pour traduire Kadaré . Parce qu'il est sombre et beau , il joue Danceny dans « Les Liaisons dangereuses » de Josée Dayan . « Moi, comédien débutant, j'ai vécu choyé comme une star, dans des hotels cinh étoiles , avec un chauffeur , une grande caravane. Et quand j'ai redonné mon premier concert , après le tournage , le hasard a voulu que je me retrouve dans un hôtel minable , avec du papier à fleurs sur les murs , à dîner au Campanile du coin .....Le monde à l'envers ! »
par Jacques Drillon /L'Obs
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Bridget
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Sujet: Re: TEDI PAPAVRAMI Dim 1 Fév - 17:15
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TEDI PAPAVRAMI - Fugue pour violon seul - Portrait d'un musicien écrivain
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Bridget
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Sujet: Re: TEDI PAPAVRAMI Dim 1 Fév - 18:00
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22 èmes Victoires de la Musique Classique 2015
Lundi 2 février 2015 Tedi Papavrami est Invité au 22es Victoires de la Musique Classique en direct de l’auditorium « Le Nouveau Siècle » de Lille, il jouera le "Rondo Capriccioso" de Saint-Saëns avec l’Orchestre National de Lille, dirigé par Jean-Claude CASADESUS
Les 6 Sonates et Partitas de Bach : un cheminement spirituel
Dans l’Albanie communiste de mon enfance, Bach échappait heureusement à la censure. Enfin, pour être précis, c’était sa musique purement instrumentale qui y échappait. Nous avions un Bach sans Passions, ni Cantates, ni Chorals, ni Messes. Quant aux orgues, dans le pays, il n’y en avait plus.
Ce Bach, dépourvu de sa dimension religieuse, suffisait pourtant largement à nourrir l’imagination. Le poids invisible de toute son œuvre non avouée par le régime était là, mer immense et insondable, nourrissant tour à tour, de toute sa profondeur, un mouvement de concerto pour violon, une Sicilienne ou un Prélude pour violon seul.
Sans pouvoir la définir, je ressentais cette présence, enfant. Un charme ineffable, qui jamais ne s’altérerait, imprégnait à mes yeux les pages de ses Sonates et Partitas que je commençai à jouer dès l’âge de 8 ans. J’ignorais alors que cette musique m’accompagnerait durant toute mon existence, offrant réconfort, unité et patrie à une vie qui bientôt n’en posséderait plus.
Ce que j’ignorais à cette époque, et pour longtemps, était le cheminement spirituel que dessinent dans leur succession les Six Sonates et Partitas pour violon seul. Si Bach était certainement un homme de foi, il était trop fin, trop humain aussi, pour livrer un message spirituel tout acquis, même si, peut-être, c’était le sien. À la manière des Confessions d’un saint Augustin, on passe avec cette musique par toutes les étapes des passions, fascinations et douleurs humaines, avant d’atteindre une inaltérable félicité.
Et peu importe le nom qu’on donne à cette sagesse : religieuse, spirituelle ou philosophique. De l’Antiquité à nos jours, de l’Inde à l’Occident, c’est ce même cheminement qui est inlassablement retracé par ces hommes rares.
Nous ne pouvons être sûrs que des créateurs tels que Bach ou Beethoven accédèrent dans leur quotidien à ce stade ultime de plénitude. Ce qui est en revanche certain, c’est qu’ils l’atteignirent dans leur art. Court-circuitant le temps et l’effort nécessaires pour les assimiler à notre tour, nous avons encore aujourd’hui la chance d’y puiser, le temps d’une œuvre, le repos que procurent ces vertus si fugitives fixées par leur génie.
1. Preludio 2. Loure 3. Gavotte en Rondeau 4. Menuet I 5. Menuet II 6. Bourrée 7. Gigue
Biographie
Arrivé très jeune en France, Tedi Papavrami découvrait un pays et une culture qui lui étaient totalement étrangers. Sa curiosité naturelle et son besoin d'apprivoiser la langue française pour pouvoir faire de ce pays le sien, une grande solitude aussi au départ, l’ont poussé à dévorer les livres, toujours en français : Stendhal, Proust, Flaubert, Dostoïevski, Kafka...
Une curiosité dépassant les frontières, alliée à des exigences intellectuelles et artistiques, lui permettant de franchir la distance entre son domaine d'origine et d'autres horizons, singularisent cet interprète rare dans le monde musical. En 2000, après la disparition du traducteur albanais Jusuf Vrioni, il reprendra le flambeau de la traduction de l'œuvre d'Ismail Kadaré. Cette échappée dans le monde littéraire se poursuit en 2013 à travers l’écriture de «Fugue pour Violon Seul» aux éditions Robert Laffont.
Unanimement salué par la presse, ce récit autobiographique, raconte son parcours d'enfant prodige en Albanie et son passage à l'Ouest, vers la liberté. L’instrument, qui depuis toujours a fait partie de sa vie lui est transmis à l’âge de 5 ans par son père, brillant professeur. Les progrès de Tedi sont rapides : trois ans plus tard il joue en concert les Airs bohémiens de Sarasate, en compagnie de l'Orchestre Philharmonique de Tirana. À onze ans, il interprète en public le Concerto n°1 de Paganini avec la redoutable cadence d’Emile Sauret.
Le jeune virtuose est invité à Paris, Il y devient l'élève de Pierre Amoyal au Conservatoire National Supérieur de Paris. Des apparitions dans des émissions de télévision, comme «Le Grand Echiquier» ponctueront cette période ainsi que de nombreux concerts.
A la faveur de plusieurs prix, Tedi entame à partir des années 1990 une carrière de soliste et de musicien de chambre. Il a collaboré en tant que soliste avec des chefs d’orchestre tels que K. Sanderling, A. Papano, A. Jordan, E. Krivine, M. Honeck, F.X. Roth, Th. Fischer, G. Varga, M. Aeschenbacher...
En musique de chambre, il est pendant 9 ans membre du Quatuor Schumann : formation avec piano. Il s’est produit en concert avec des partenaires tels que Philippe Bianconi, Nelson Goerner, Maria Joao Pires, Martha Argerich, Garry Hofmann, Marc Coppey, Paul Meyer ou Lawrence Power. Depuis 2011 il poursuit un travail autour des Sonates et Trios avec piano de Beethoven en compagnie du violoncelliste Xavier Phillips et du pianiste François Frédéric Guy avec lequel il se produit très régulièrement.
Désormais installé à Genève en Suisse, Tedi occupe un poste de professeur de violon à la H.E.M. depuis septembre 2008. Il joue sur un Stradivarius de 1727, Le Reynier, prêté par le groupe Louis Vuitton Moët Hennessy.
En 2014, Tedi Papavrami est Diapason d’Or soliste instrumental de l’année et Choc Classica 2014 pour son disque solo consacré à Eugène Ysaÿe.
Tedi Papavrami a joué en deux concerts, le même jour, l’intégrale des sonates et partitas de Bach pour violon seul. C’était le 27 février, à l’auditorium de la nouvelle Fondation Louis-Vuitton. Lequel auditorium est un peu sec d’acoustique (la marque de fabrique du cabinet Nagata, qui l’a conçu), mais agréable et ouvert visuellement sur l’extérieur.
Nul mieux que le violoniste d’origine albanaise Tedi Papavrami ne pouvait faire sonner ces œuvres à la fois généreuses et exigeantes.
S’il y a de l’héroïsme à écrire pour le violon seul, il y en a plus encore à jouer ainsi, planté sur une scène, avec pour seules armes la technique instrumentale (transcendante, dans son cas), et l’amour d’une musique qui sait créer le maximum d’émotion avec le minimum de moyens.
Noble et souverain
La mélodie de Bach, car le destin d’un violon seul est mélodique, est tout sauf naturelle : elle simule la polyphonie et les accompagnements, elle se fait d’une volubilité extrême, frise avec l’injouable, notamment dans les fugues, dont la nature contrapuntique paraît défier les capacités d’un seul archet, et qui sont parfois colossales : celle de la sonate en ut majeur ne compte-t-elle pas 354 mesures, ce qui en fait la plus longue, sauf erreur, que Bach ait jamais écrite ?
Papavrami s’y montre d’une parfaite élégance : pas une once d’esbroufe (il pourrait en montrer !), aucun superflu, aucun effort visible : l’art de Papavrami est fait de la plus haute maîtrise instrumentale, de la plus grande sûreté musicale et d’une passion qui gronde partout, invisible mais sensible, qui brûle l’air environnant sans attaquer la musique.
Une passion qui dit autant non que oui : oui à la beauté du son, non à l’étalage hédoniste, oui à la perfection de l’intonation, non à la pyrotechnie, oui à la clarté du discours, non à la didactique du professeur, oui à l’ornemental, non au décoratif, oui à la joie, non à la satisfaction. Il faut l’avoir entendu dans la Symphonie espagnole de Lalo pour savoir qu’il peut aussi se montrer brillant et coloré, ou dans la sonate de Bartók, où il se fait furieux, et même forcené, d’une pure violence.
Dans Bach, il avance de côté, noble et souverain, il est tout en profil : une médaille.
Peut-on concilier la sauvagerie et l'élégance , le panache et la spontanéité ?
C'est ce que réussit Tedi Papavrami dans cet immense concerto. Rien , aucune difficulté technique, ne vient s'interposer entre les intentions et la réalisation .
En sorte que la générosité et la somptuosité sonore savent le céder , quand il le faut, à la rugosité, la verdeur, l'acidité.
Bartök le pur aurait été heureux .
Krivine ne l'aurait pas déçu non plus, avec sa flemme naturelle et sa précision. L'Orchestre du Luxembourg joue le jeu avec brio .
Jacques Drillon / L'Obs
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Bridget
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Tedi Papavrami était l'invité de la Fondation Louis Vuitton en février 2015 pour une magistrale intégrale des Sonates et Partitas de Jean-Sébastien Bach.
Pour le deuxième opus de ce cycle d'œuvres pour violon seul, il revient en juin 2016 dans un programme très virtuose autour des Caprices de Paganini et des Sonates d'Ysaÿe.
Sonates qu'il enregistra en 2014 et pour lesquelles il reçu le Diapason d’Or soliste instrumental de l’année ainsi qu’un un Choc Classica.
Tedi Papavrami joue un Stradivarius de 1727, Le Reynier, confié par LVMH.
Eugène Ysaye - Sonate nº 2, en la mineur
Niccolò Paganini, Caprices
Eugène Ysaye - Sonate n°5, en sol majeur, “Pastorale”
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Sujet: Re: TEDI PAPAVRAMI Dim 4 Fév - 23:59
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Le Beethoven impérieux et héroïque de Papavrami et Guy
Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Les dix sonates pour violon et piano. Tedi Papavrami (violon), François-Frédéric Guy (piano). 1 CD Evidence. Enregistré à Metz en novembre 2016 et mars 2017.
Magistrale rencontre entre Tedi Papavrami et François-Frédéric Guy, deux artistes en pleine maturité, cette nouvelle intégrale des sonates de Beethoven impressionne par sa puissance expressive, sa splendeur sonore et surtout la maîtrise rayonnante du style et du texte beethovénien dans un des cycles les plus accomplis du maître de Bonn. Somptueux album, digne de rejoindre les grandes légendes au panthéon du disque.
Corpus essentiel et sans équivalent dans l’histoire de la sonate pour violon et piano, l’ensemble érigé par Beethoven a toujours attiré les plus grands duos constitués. Disons-le d’emblée, celui formé par François-Frédéric Guy, à qui l’on doit récemment une intégrale majeure des trente-deux sonates avec piano et une intégrale dynamique et lyrique des sonates pour violoncelle et piano avec Xavier Phillips (Evidence Classics, Clef ResMusica), et Tedi Papavrami dont les enregistrements récents témoignent tous d’un formidable accomplissement d’interprète, se place au sommet de la discographie récente.
Un violon à la sonorité superbe (le stradivarius « le Reynier » prêté par la fondation LVMH), joué avec une assurance aussi conquérante et une perfection technique impeccable, soutenu en un vrai dialogue par un piano clair, à l’articulation précise et capable de relancer en permanence le discours, et l’on est conquis dès les premières mesures de la Sonate n°1.
Jamais dans la suite de ces trois disques gorgés de musique l’attention ne faiblit, l’éblouissante maîtrise technique n’est prise en défaut. On trouvera peut-être que cet esprit conquérant s’épanouit mieux dans une formidable Kreutzer, sommet non seulement du cycle mais aussi de cet album, que dans le tendre lyrisme de la Sonate Le printemps ? Mince réserve en regard d’une lecture qui parmi les gravures actuelles se place incontestablement au sommet, supérieure à notre sens aux intégrales de Faust-Melnikov tant l’évolution récente de l‘interprète allemande déconcerte souvent, ou Capuçon-Braley, d’un moindre rayonnement d’ensemble et d’une plus grande inégalité.
Ici la lecture flamboyante de Papavrami n’hésite pas à prendre (et à dominer) tous les risques interprétatifs, toujours solidement soutenu par François-Frédéric Guy. Cette version à la fois héroïque, impérieuse et pleinement apollinienne sera, on l’a compris, désormais l’une des références d’un cycle où elle rejoint les miracles jadis signés Grumiaux-Haskil ou Perlmann-Ashkenazy.
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Sujet: Re: TEDI PAPAVRAMI Mar 22 Mai - 0:05
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“Ostinato”: un film documentaire sur Tedi Papavrami, le génie albanais du violon
Tedi Papavrami, violoniste virtuose et traducteur d'Ismail Kadare
La journaliste et réalisatrice Raphaëlle Régnier a traversé plusieurs langues et plusieurs pays pour faire le portrait de Tedi Papavrami, musicien prodige d'origine albanaise qui enseigne aujourd'hui à Genève.
Son corps est celui d'un athlète, d'un marathonien ou d'un cycliste. Dans le film de Raphaëlle Régnier, "Ostinato", on le voit courir, chasser avec son chien et sauter à la corde. Le sport est pour lui un calmant. C'est aussi une discipline qui lui permet d'avoir conscience de son corps et d'en faire le partenaire de son instrument.
Citation :
Le corps à corps avec le violon est beaucoup plus extrême qu'avec un instrument au sol.
Tedi Papavrami, violniste et traducteur d'Ismaïl Kadare
Mais dans "Ostinato" (motif mélodique ou rythmique répété obstinément), on le voit surtout jouer, à plusieurs âges de sa vie, en noir et blanc ou en couleurs, mais toujours avec le même sérieux.
Tedi Papavrami, né à Tirana en 1971, a commencé le violon à quatre ans avec son père, "professeur exigeant et théâtral". A onze ans, il quitte l'Albanie d'Hoxha pour la France. Il est déclaré ennemi du pays. A titre de représailles, une partie de sa famille est internée. Tedi, seul responsable de sa vie désormais, ne retrouvera plus jamais "l'insouciance de son enfance" mais sa carrière internationale est lancée.
Son répertoire va de la musique de chambre aux compositions orchestrales. En 2010, son disque Bach/Bartòk est salué par un Diapason d'or. Aujourd'hui, il enseigne à la Haute école de musique de Genève.
L'apprentissage de l'interprétation
Tedi Papavrami explique sa trajectoire d'interprète en trois temps. Celui de l'enfance où lamusique lui était naturelle comme l'air. La période de l'adolescence où l'orgueil le pousse à exprimer tout ce qu'il ressent et possède en lui, au détriment de la spécificité du compositeur. Enfin, troisième étape: l'oubli de son ego pour se mettre au service du compositeur, tout en conservant et cultivant, ce qui fait son essence.
Interpréter, c'est traduire
Si les mots laissent moins de liberté que les notes, les deux sont une affaire d'oreille. Celle de Papavrami l'a conduit à devenir le traducteur officiel de son compatriote Ismail Kadare qui lui fait entièrement confiance.
Dans le film, les deux hommes tentent de trouver la traduction française d'un mot qui ne semble appartenir qu'à la réalité albanaise du temps du communisme d'Hoxha, quelque chose comme "la brutalité d'une gaîté imposée", celle qu'a connue Papavrami enfant.
Citation :
Je suis content que tu apprécies mon travail. Tu es vivant. Les compositeurs que je joue sont morts et je n'aurai jamais de retour.
Tedi Papavrami à Ismail Kadare
C'est un des moment les plus émouvants du film, un des rares où l'âme tourmentée et mélancolique de Papavrami semble sourire.
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Réalisation web: Marie-Claude Martin
>> "Ostinato" de Raphaëlle Régnier sera présenté en avant-première dimanche 27 mai au cinéma Bio, à Genève, en présence de la réalisatrice et de Tedi Papavram
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Sujet: Re: TEDI PAPAVRAMI Dim 5 Aoû - 14:16
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Tedi Papavrami, un violon face caméra
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Dans «Ostinato», Tedi Papavrami est raconté par petites touches, ou si on préfère, par chapitres qui s’enchaînent sans cloisons ni césures
Parmi les images liminaires qui défilent à l’écran, il y a celles-ci, qui plongent dans un pan de l’intimité de l’artiste. Tedi Papavrami est assis sur un lit, il s’empare de son violon et, d’un geste assuré, il passe vigoureusement un tissu sur les recoins les moins atteignables des portions boisées. Dans cette suite de soins captés par une caméra placée près, l’instrument et son maître ne font qu’un et paraissent retranchés dans une relation de protection quasi filiale. L’attachement affectif qu’il nous est ainsi montré est sans doute commun a beaucoup d’autre solistes dans le monde. Mais ces actes quotidiens qu’on croirait insignifiants, résonnent ici d’une toute autre manière; ils trouvent une sorte de grâce avec «Ostinato», documentaire sensible et confondant de pudeur réalisé par Raphaëlle Régnier. Avant la retransmission qu’en fera prochainement la RTS sur ses chaînes, le public pourra en découvrir la teneur lors de la projection qui se tiendra ce dimanche à Carouge, au Cinéma Bio, en présence de la réalisatrice et du protagoniste qu’elle a filmé.
Musicien et traducteur
«Ostinato» – notation qui impose la répétition obstinée d’un passage musical – raconte par petites touches, ou si on préfère, par chapitres qui s’enchaînent sans cloisons ni césures, les facettes et les plis de la vie du violoniste établi depuis plusieurs années à Genève. Son art occupe bien sûr une place de choix, mais on y découvre aussi d’autres aspects qui dévoilent la riche intériorité de Tedi Papavrami. Un exemple? Sa relation privilégiée avec le poète et romancier Ismail Kadare, pour lequel le musicien a traduit plusieurs œuvres en français.
Attablé à une terrasse de café, le violoniste évoque d’un ton feutré et avec des mots précis l’origine de cette autre activité de sa vie. «Les choses se sont faites par hasard, à une période où je devais être âgé de 25 ans environ. Je me trouvais chez mes parents en vacance et Ismail Kadare avait laissé une nouvelle à peine écrite à mon père pour qu’il la lise avant publication. Je me suis dit: tiens, et si je m’amusais à en traduire quelques pages? Je m’y suis mis et j’ai très vite compris que l’exercice était bien plus ardu que je ne l’avais imaginé. Par la suite, Kadare a transmis cette traduction à Claude Durand, alors PDG de la maison Fayard. Ce dernier a aimé mon travail et m’a embarqué dans cette aventure. J’en ai été surpris, d’un coup je me suis retrouvé dans une position importante sans m’être vraiment préparé. J’ai eu l’impression d’être un usurpateur.»
Tirana mon amour
Raphaëlle Régnier filme une rencontre entre le romancier et le musicien sur les hauteurs de Tirana, en Albanie. On devine ici une complicité et une entente qui s’affiche en toute discrétion. Ailleurs, la caméra suit le musicien dans son pays natal. Une terre quittée très jeune pour parfaire ses gammes à Paris. Voilà alors Papavrami parcourant les appartements bunkers de l’ancien dictateur Enver Hoxha transformés en musée. On est aussi avec lui, à l’intérieur d’une chambre qui surplombe la capitale, soleil couchant à l’horizon, notes de la célèbre «Chaconne» de Bach pour accompagner ces instants de grâce. «Un urbanisme est en train de se développer à Tirana, j’ai pu le constater lors de cette visite. Il va dans un sens que je n’attendais plus, nous dit le musicien. Lorsque je retourne au pays, je ressens toujours une appréhension. Cependant, une fois sur place, je plonge très vite dans le réel et dans le présent, et je constate combien ces lieux sont chargés d’histoires et de souvenirs lointains. À cette occasion, j’ai vu des gens marcher sur les places, en toute tranquillité. Cela m’a rappelé les temps anciens, l’époque où tout le monde avait l’habitude de sortir, de se promener à pied, parce que personne ne possédait de voiture. J’ai eu le sentiment de retrouver ce passé, sans la dictature, évidemment.»
De retour sous nos latitudes, la caméra se faufile encore dans une salle de la Haute École de Musique de Genève, là où Tedi Papavrami œuvre en professeur de musique. De pédagogue, le musicien se mue en… joggeur; d’un coup le voici apprêté dans une tenue de sport, enchaînant les foulées rapides dans la campagne genevoise. Sa silhouette longiligne se profile au loin, filmée au milieu des paysages hivernaux d’une grande beauté. Les plans et les séquences glissent ainsi, dans une grande douceur, nimbée souvent d’une mélancolie à peine esquissée. On est tantôt à Paris, en répétition avec le pianiste et ami Nelson Goerner, ou catapulté dans les images d’archives en noir et blanc, en compagnie d’un très jeune Tedi suivant les consignes strictes d’un père lui aussi violoniste.
Partout, «Ostinato» a ceci de remarquable qu’il dépasse la célébration convenue du musicien virtuose pour dévoiler la grande sensibilité et la profondeur d’âme de l’homme.