L'objectif de l'art n'est pas le déclenchement d'une sécrétion momentanée d'adrénaline, mais la construction progressive, sur la durée d'une vie entière, d'un état d'émerveillement et de sérénité." (Glenn Gould)
Glenn Gould compte parmi les géants de la musique du XXe siècle. Il s’est également gagné une solide réputation d’excentricité.
Génie solitaire et capricieux, virtuose hypocondriaque, il a renoncé à donner des concerts en public dès l’âge de trente et un ans pour se consacrer à l’exploration de divers médias : enregistrement sonore, radio, télévision, imprimé.
Le monde a été pris de court par sa disparition subite en 1982, mais sa musique nous semble aujourd’hui toujours aussi révolutionnaire, inattendue, irremplaçable.
Si l’on considère l’ampleur de son legs discographique, audiovisuel et rédactionnel, le cas Gould est un trésor pour les musicologues autant que pour les psychiatres.
Il fut le plus grand iconoclaste que le monde de la musique ait jamais connu. Pamphlétiste, un rien cabotin, il possédait l’art de la satire, de l’ironie et de la parodie.
Qui d’autre aurait pu affirmer que Mozart était mort trop tard et que le répertoire de piano était décidément trop restreint? Gould l’inclassable n’a jamais eu de rival. Seule ombre qu’il pût distinguer depuis le haut de la tour du CN à Toronto : Horowitz, à New York. Lui aussi faisait beaucoup parler de sa personne. Son absence de la scène pendant de longues années aurait pu donner des idées à Gould.
Mais Gould avait tout programmé depuis sa petite enfance : faire une carrière de concertiste jusqu’à 32 ans et mourir à 50. Il ne manqua pas d’égratigner le retour d’Horowitz à la scène, célébré par un disque intitulé Le retour historique, en écrivant une petite pièce de théâtre, Le retour hystérique, « où les personnages sont purement fictifs »!
l y eut d’autres excentriques dans l’histoire du piano. Vladimir de Pachmann aurait pu ravir à Gould son titre de champion. Seulement, l’apport musical et la portée philosophique du message de Gould firent toute la différence.
Lorsqu’en 1982 à Toronto, Glenn Gould, à peine âgé de 50 ans, fut terrassé par une crise d’apoplexie, la consternation des milieux artistiques fut indescriptible ; la peine et l’émotion furent incomparablement plus violentes que pour la mort de ces autres géants du piano, comme le vieux Backaus, Rubinstein (à 95 ans), ou encore Horowitz (à 86 ans).
En effet, Glenn Gould avait incarné l’interprète moderne par excellence, comme Franz Liszt en son temps, ce pianiste virtuose emblématique du 19e siècle qui, très jeune, au faîte de la gloire, avait cessé de se produire en public.
Tous les éléments étaient réunis pour faire du Canadien Glenn Gould un véritable mythe. Il s’était, non sans succès, insurgé contre toutes les conventions liées au rituel du concert.
Pourtant, il n’était pas un artiste ridiculement sectaire mais un génie à la profonde originalité, omniprésent alors même qu’il ne quittait pratiquement plus les studios. Ermite de l’ère technologique, c’était un interlocuteur volubile, drôle, gesticulant, terriblement puritain, qui flairait et redoutait tout ce qui évoquait pour lui la théâtralité, le sensationnel et la mise en scène.
Jamais il ne prenait l'avion, considérant que les chances de survie étaient trop minces. Il annonçait avec conviction la fin du concert public. Plus tard, il fut bien obligé de concéder que l’agonie était fort longue puisque concerts, récitals et autres soirées continuaient de se donner à guichets fermés. Sa décision n’en était pas moins prise.
Pour épanouir pleinement son âme d’artiste, il opta pour les nouvelles techniques électro-acoustiques : enregistrements sur vinyle, captation ou interviews télévisées, film musical. C’étaient là les supports qu’il préférait pour s’exprimer.
Jamais à la télévision, certains contrepoints de l’Art de la fugue de Bach, tout l’univers des variations Goldberg, n’ont été diffusés avec une telle audience, dépassant même les frontières des Etats-Unis - sans fioritures, sans démagogie, sans se donner l’air de se consumer ni de se perdre !
A 32 ans à peine, pianiste adulé, véritable superstar se produisant devant des salles combles pour des cachets faramineux, Glenn Gould s’était retiré à Toronto dans la solitude des studios d’enregistrement. Il ne faisait aucun compromis.
Misanthrope à l’extrême, il préféra par la suite communiquer par téléphone et non plus directement, même avec ses meilleurs amis (et a fortiori avec ses confrères ou des journalistes). (...)
Les idoles échappent à toutes controverses. Ou du moins, elles sont épargnées par leurs fans enthousiastes qui, d’ailleurs, ne sont pas les pires mélomanes.
Au contraire, emportées par leur dévotion quasi-religieuse, ces groupies (de Glenn Gould, de la Callas ou de Karajan) admirent tous les faits et gestes de leur étoile à qui ils pardonnent tout écart, toute faiblesse, toute défaillance – tellement elles enrichissent leur quotidien.
Artiste génial, fascinant, indépendant, il faisait preuve d’obstination, voire d’entêtement dans sa passion pour la musique. Qui plus est, il était aussi journaliste, réalisateur et auteur de pièces radiophoniques. Aucun de ceux qui ont connu ce personnage éblouissant ne pourront l’oublier (ni jamais tolérer la médiocrité).
Dernière édition par Bridget le Dim 11 Mar - 17:47, édité 4 fois
Bridget
Nombre de messages : 2631 Age : 73 Localisation : Paris Date d'inscription : 13/05/2008
Avant même que la grande vague du baroque ne s’imposât, Glenn Gould se posa en défenseur du genre, mais pas sur un instrument d’époque. Il démontra qu’avec son moderne Steinway CD 318, il pouvait recréer l’esprit du clavecin, à défaut d’en rendre les sonorités. Apportant un nouvel éclairage sur la technique et le phrasé dans la musique de Bach, il lui insuffla une présence qui fit longtemps autorité.
L’influence de Gould sur les jeunes pianistes de son époque était plus importante qu’il n’y paraît.
Au Conservatoire, malgré les mises en garde de nos professeurs, nous aspirions tous à jouer Chopin comme Pollini, Rachmaninov comme Horowitz, et Bach comme Gould. Piège que nous aurions dû éviter ! Ses tempos étaient impossibles, soit d’une rapidité folle, soit d’une lenteur déconcertante. Son phrasé non legato, qui revêtait de multiples aspects allant du portato louré au staccato quasi pizzicato, était tellement précis que lui seul pouvait le maîtriser. Gould utilisait très rarement la pédale, mais toujours à bon escient.
Gould était clairement plus amoureux du contrepoint que de l’harmonie. Il était acquis à l’horizontalité depuis sa tendre enfance, où il avait travaillé l’orgue. Gould ne manifesta jamais d’attirance pour la dimension verticale. En musique, cela voulait dire Gibbons, Bach, Haendel, Haydn, l’école de Vienne et Hindemith. Gould récusait Chopin, Liszt et Rachmaninov.
Et lorsqu’il abordait un compositeur de la période classique, il appréhendait les lignes musicales à travers le prisme du baroque.
Parmi les quelques romantiques qui ont retenu son attention, figuraient surtout les compositeurs de fin de siècle. Il sautait de l’Art de la fugue à Tristan. Wagner, Richard Strauss et Mahler l’attiraient en tant que précurseurs de l’école de Vienne, pour leur côté crépusculaire et décadent.
Malgré cela, il visita la musique de Mendelssohn et de Brahms, dont il réalisa un enregistrement des Intermezzi qui défraya la chronique. Cet excursus fut bien le seul écart qu’il se permit dans le grand romantisme allemand.
Depuis son quartier général de Toronto, Gould considérait d’un oeil très indépendant la musique du vieux continent.
N’appartenant à aucune école, loin de la pesanteur culturelle de l’Europe, il se sentait libre de créer des interprétations « dégermanisées » de Wagner ou de dépouiller Bach des traits romantiques dont on l’avait affublé au cours des années.
Pourtant, Gould n’était pas musicologue. Toute sa recherche consistait à lire la partition et à la travailler; il la « dirigeait » en promenade au bord du lac Ontario ou la chantait dans sa voiture. Il ne passait à son piano que le temps nécessaire pour rendre exactement sur l’instrument ce qu’il avait trouvé mentalement.
« Ce n’est pas avec les doigts que l’on joue du piano mais avec le cerveau. »
Sa manière d’interpréter était entièrement subjective et personnelle, à tel point qu’il semblait s’approprier, grâce à une assimilation profonde, l’âme du compositeur.
L’interprétation gouldienne est reconnaissable entre toutes et elle est inclassable. L’auditeur, dont la perception est subjective aussi, et qui écoute à travers son propre entonnoir culturel, ne se laissait pas toujours convaincre par le résultat. D’aucuns ont reproché à Gould ses « Variations Gouldberg »!
Colorées de puritanisme et de cérébralité, ses interprétations semblaient manquer d’humanité; elles respiraient plutôt l’alarmisme que la sérénité.
Le jeu de Gould donnait le vertige que l’on éprouverait au milieu d’un désert de glace.
Une chose est sûre : il ne fallait pas le regarder jouer. Avec sa position bizarre, contraire à ce qui s’enseigne dans tous les conservatoires de la planète, il ne pouvait que distraire.
Assis sur sa légendaire chaise pliante en bois (exposée au musée d’Ottawa, elle déchaîne la curiosité des visiteurs), il avait les épaules à peine plus hautes que le clavier. Ses coudes s’écartaient souvent jusqu’à l’horizontale.
Et dès qu’une main était libre, il l’utilisait pour battre la mesure. Il avait aussi la fâcheuse habitude de transformer toutes les pièces pour piano seul en lieder pour voix chuchotante, car il ne pouvait s’empêcher de chantonner tout en jouant, ce qui donna beaucoup de fil à retordre aux ingénieurs du son de la CBC.
Beaucoup de personnes se demandent encore si Gould était un excentrique ou un génie, mais il n’y a désormais plus lieu de se poser la question : c’était un génie excentrique. Son talent dérangeait autant que son goût immodéré pour la provocation.
Glenn Gould est un cas unique dans l’histoire du piano et de la musique. Tant par ses admirateurs que ses détracteurs, il continue à faire parler de lui 20 ans après sa mort.
Deux Grammy Awards lui ont été attribués à titre posthume pour ses interprétations. Des symposiums et des festivals Glenn Gould ont lieu un peu partout dans le monde.
Une sonde spatiale voyage vers Mars avec quelques mesures de Bach jouées par Gould pour révéler aux petits hommes verts la quintessence de l’art musical des humains.
Glenn Gould joue les Variations Goldberg 47:16 mn
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D’après le livre Les Grands Pianistes, Stéphane Villemin -DPLU
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Dernière édition par Bridget le Dim 11 Mar - 17:13, édité 4 fois
Bridget
Nombre de messages : 2631 Age : 73 Localisation : Paris Date d'inscription : 13/05/2008
En 2008, la sortie du film “Glenn Gould, au-delà du temps“, réalisé par Bruno Monsaingeon, donnait aux admirateurs de Glenn Gould, l’occasion de redécouvrir ce pianiste inclassable.
Pour construire son film, le réalisateur s’était appuyé sur des documents déjà existants, mais également sur d’autres inédits. Face à ses interlocuteurs, les réponses de Glenn Gould semblaient avoir traversé le temps.
Dans un monde musical, le classique, où chaque faux pas, chaque distance prise sur les conventions soulèvent plus souvent les critiques au lieu d’encenser l’originalité de la démarche artistique, les remarques et attitudes du pianiste étaient les bienvenues.
La place ostentatoire de la musique classique, mais également sa difficulté à se remettre en questions, a trouvé chez Glenn Gould des réponses à son immobilisme. Le point fort du pianiste a été sa façon de stimuler les esprits quand ses expérimentations musicales remettaient en cause une certaine idée de l’interprétation pianistique.
L’héritage musical de plusieurs générations de pianistes semblait voler en éclat, tant les repères musicaux pris par Gould ne semblaient reposer sur aucun critère connu.
Glenn Gould a été surtout une des personnalités les plus singulières du monde de la musique classique. C’est un artiste qui a divisé la critique. Ce n’était pas un provocateur, à l’image d’une rock-star, mais un artiste qui avait fini par construire sa personnalité autour d’attitudes singulières.
Ceux qui ne l’aimaient pas, se faisaient un plaisir de relever ses excentricités. Déjà, dans les années 60, son modernisme pianistique rencontra une forte opposition.
Qu’il soit arc-bouté sur son clavier ou qu’il implore de longs silences que la partition ignore, Glenn Gould, par ses attitudes non conventionnelles, ne pouvait que déplaire aux conservateurs.
Etait-il parti en croisade pour dépoussiérer certaines interprétations pianistiques ?… Peut-être bien !
Etaient-elles trop statiques à son goût ? Certainement ! Si vous savez lire la musique, je ne peux que vous conseiller de suivre (ou de tenter de suivre) certaines partitions quand Glenn Gould est aux commandes de son piano. C’est un bon moyen pour pénétrer au cœur de sa “philosophie musicale”.
Si l’on se penche sur l’aspect économique de l’artiste, sa relecture du répertoire classique semble prendre du poids avec le temps. Aujourd’hui, Glenn Gould est une référence auprès de nombreux mélomanes de musique classique et la vente de ses disques met en lumière le bien fondé de sa vision artistique.
Qu’il soit adoré ou détesté, Gould se faisait fort d’être remarqué. Aussi, quand l’intelligence de son discours musical s’est arrêtée subitement à Toronto, en 1982, son décès sema la consternation dans le milieu artistique
A l’inverse d’autres pianistes comme Rubinstein ou Backaus, la disparition de Glenn Gould provoqua beaucoup de peine et d’émotion. Son éloignement de la scène en pleine gloire et sa vie quelque peu monacale, pour ne pas dire marginale, avaient placé le pianiste dans le sillage des artistes emblématiques. Dans un monde musical réglé au métronome, il avait réuni tous les éléments indispensables pour faire de lui un véritable mythe, et sa disparition, aussi soudaine que violente, contribua à enflammer toutes les passions.
Comme un « Keith Jarrett » d’avant garde, ses concerts étaient liés à tout un rituel. Son originalité était sa force. Elle était présente partout, le poursuivant comme une ombre, même entre les quatre murs fermés des studios d’enregistrement.
Pour autant, l’homme n’était pas un être sombre, triste, c’était un être qui pouvait devenir drôle à l’occasion. Il portait notamment une attention toute particulière à la gesticulation. Il suffit de regarder une vidéo pour comprendre toute l’attention qu’il portait à ses gestes, lorsque ses doigts venaient effleurer les touches du clavier.
Gould avait ses phobies, comme la peur malade de prendre l’avion, trop risqué à son goût. C’est là, peut-être, une des raisons qui le poussa à cesser son activité scénique.
D’autant plus que, conjugué à une certaine forme de puritanisme, la course au sensationnel ou à la surenchère ne faisait pas partie de ses désirs profonds. Gould ne voulait pas cesser toute activité pianistique, mais seulement trouver un moyen où il pouvait assouvir ses besoins créatifs à son propre rythme.
La mise en condition particulière des studios d’enregistrement convenait bien à l’artiste. C’est donc avec une certaine logique qu’il orienta sa carrière pianistique uniquement vers l’enregistrement discographique.
Agé de 32 ans, il s’installa à Toronto pour y vivre. Les pressions extérieures étaient toute relative, d’autant plus que l’artiste ne faisait aucun compromis concernant la mise en œuvre de sa carrière. Il distillait les interviews au compte-gouttes, n’hésitant pas à utiliser le téléphone comme unique moyen de conversation.
Dans les dernières années de sa vie, sa misanthropie le poussa à agir de la même façon avec ses amis… Le timbre des voix s’accordait-il à sa sensibilité ? La distance instaurée par le téléphone libère parfois la parole… et Gould trouvait dans son utilisation une façon d’être en harmonie avec sa nature solitaire.
Absent de la scène, la télévision prit le relais. Malgré son désir de vouloir tout contrôler, Gould ne pouvait s’isoler complètement du monde extérieur. Ses nombreux fans n’auraient d’ailleurs pas compris (même s’ils étaient toujours prêts à pardonner certaines faiblesses ou écarts de comportement).
Pour répondre à leurs sollicitations, il accepta donc les propositions de la télévision. Ainsi sont nés des concerts filmés qui rencontrèrent un vif succès bien au-delà des frontières américaines (L’Art de la fugue et Les Variations Goldberg de J. S. Bach).
Glenn Gould était un grand spécialiste de Bach. C’était son compagnon. Pianiste phénomène, il n’avait que 24 ans quand il enregistra Les Variations Goldberg (dont la réputation dans le domaine de la difficulté technique n’est plus à faire).
A l’époque, nul ne se doutait de ce qui sommeillait dans l’esprit du pianiste. Malgré son attitude encore timorée, sa volonté d’indépendance et son caractère obstiné étaient déjà là, prêts à éclater au grand jour.
Gould est né pratiquement un piano entre les mains. Il était doté d’une “oreille absolue”, possédait une grande facilité à lire la musique, sans oublier sa prédisposition à la composition (même si on ne retient pas du pianiste ce talent-là).
A cinq ans, il est remarqué par Alberto Guerrero (pianiste chilien exilé au Canada qui deviendra son professeur de piano), à sept ans, il intègre le Royal College of Music de Toronto et à quatorze ans, il joue pour la première fois en public. Ensuite tout va très vite… et à vingt ans, Gould jouit déjà d’une grande notoriété au Canada.
Quand il affronte la scène internationale à partir de 1955, c’est surtout pour ses qualités personnelles d’interprétation qu’il est remarqué. Le côté novateur et moderne du pianiste suscite chez les musicologues, comme chez les critiques une grande ferveur dotée de superlatifs en tous genres.
De nouvelles thèses et antithèses se font jour quant à la véracité de ses interprétations ; celles de Bach étant au centre de toutes les discussions.
Outre, les enregistrements de studio qui seront le pivot central de sa nouvelle carrière, Gould avait d’autres passions moins connues du grand public, comme l’écriture (il sera l’auteur de pièces radiophoniques) et la réalisation de films documentaires.
A ma connaissance, rares sont les artistes qui, en pleine gloire, ont tourné le dos au public et à la scène. Glenn Gould tiendra ce cap-là jusqu’à la fin de sa vie et sa popularité ne sera jamais remise en question.
Cependant, ses attitudes, ses prises de position, n’allaient pas sans problèmes, telles les séances d’enregistrement. Elles étaient devenues pour les techniciens des studios un véritable chemin de croix.
Ses exigences (l’utilisation de pilules - dont la vertu médicinale reste mystérieuse -, sa chaise basse *) étaient soumises également à des mises en condition (des bains d’eau chaude pour les mains avant de jouer, une certaine température dans la pièce, etc.).
Glenn Gould jouait la star et ses exigences résonnaient dans le studio comme des caprices d’enfant. Rien d’étonnant, alors, qu’il arrive au mois de juin emmitouflé comme pour un mois de décembre !
Dans sa démesure et dans son repli sur lui-même, l’artiste perdait parfois pied avec la réalité. Il aimait s’en défaire surtout quand son sens aigu de la perfection devait s’amouracher de quelques dérives pour exister…
En effet, que pourrait-on reprocher à Gould ?…
D’avoir été un artiste qui a tout misé sur une vision personnelle de l’interprétation ?
Que son mode de vie ne correspondait pas au standard en vigueur ?
J’ai toujours pensé que l’artiste devait provoquer par ses idées nouvelles, voire dans son mode de vie, et ne pas se conformer seulement à des plans prévus par avance.
Le pianiste avait osé prendre de tels risques… et à son époque, il fallait vraiment oser !
Aujourd’hui, Glenn Gould c’est cinquante heures d’enregistrement, mais également des émissions de radio, de télévision, deux musiques de films (”Slaugterhouse-Five“, en 1972 et “The Wars” en 1982) ; mais également quelques écrits concernant l’enregistrement sonore dont il était devenu un amateur éclairé.
Quand Glenn Gould a-t-il découvert son amour pour le piano ?
Glenn est né dans une famille très musicale, sa mère Florence était professeur de piano. Enceinte de Glenn, elle jouait très souvent des morceaux classiques, car elle rêvait d'avoir un enfant musicien. Puis Glenn est né, et très vite, il a adoré être au piano sur les genoux de sa grand-mère.
Mais jamais il ne frappait sur le clavier avec la paume de la main comme le font la plupart des petits enfants. Non, Glenn tapait toujours avec délicatesse sur une seule touche à la fois, tenait longtemps son doigt appuyé sur la touche et écoutait avec ravissement jusqu'à ce que le son expire.
Lorsqu'il eut trois ans, sa mère a commencé à lui donner régulièrement des cours de piano. Glenn avait l'oreille absolue. Il a appris à déchiffrer les notes avant de savoir lire. A cinq ans, il composait ses premières chansons et déclarait à son père : « Je serai pianiste de concert ».
Et vous, à partir de quand avez-vous commencé à exister ?
Quand exactement je ne saurais le dire, au début, je faisais partie des meubles. Toujours est-il qu'un beau jour, Bert, le père de Glenn m'a surbaissée, car à dix ans, Glenn était devenu l'élève d'Alberto Guerrero, le célèbre pianiste et chef d'orchestre chilien.
Celui-ci avait imaginé pour Glenn un système compliqué d'exercices de doigts et lui pressait toujours les épaules vers le bas quand il jouait. Glenn résistait bien sûr à la pression, mais le professeur était le plus fort. Plus tard, Glenn prétendit que s'il se penchait ainsi sur le clavier, c'était à cause des méthodes de Guerrero. Il lui fallait pour cela un siège bas afin que le clavier soit à hauteur de ses yeux.
Alors, le père de Glenn s'est emparé de moi, pauvre chaise pliante tout à fait ordinaire, et m'a carrément scié les pieds. Sur le moment, je lui en ai voulu, mais quand Glenn a commencé à m'emmener partout, aux concerts et dans les studios d'enregistrement, et que nous sommes devenus inséparables, lui et moi, j'ai réalisé que j'avais tiré le gros lot : à partir de ce moment, je ne me suis plus jamais ennuyée, il se passait toujours quelque chose.
C'était donc très important pour Glenn de jouer assis sur vous ?
Oui, tout à fait, il était dépendant de moi. Il connaissait tous mes paramètres techniques et les maîtrisait parfaitement.
Grâce aux vis de huit centimètres de long dont Bert son père m'avait affublée, Glenn pouvait à son gré me régler à la hauteur qui lui convenait le mieux.
Ce dont il ne s'est pas privé en grandissant. Il avait grâce à moi cette relation très particulière avec son instrument, pouvant s'asseoir tout près du piano, les yeux à hauteur des touches, pratiquement couché sur le clavier. C'était ainsi qu’il maîtrisait sa sonorité.
Comme il jouait toujours assis sur moi, cette relation était constante et fiable, ce à quoi il tenait beaucoup. Glenn ne comprenait pas les pianistes qui réglaient leur tabouret au dernier moment avant le concert.
Il existe sur vous une foule d'anecdotes...
Oui, mais beaucoup sont pure invention. Il y avait bien sûr énormément d'envieux. Rares sont ceux qui, comme moi, ont eu une relation aussi intime et durable avec Glenn.
Ce qui est vrai, c'est qu'il avait souvent mal au dos, et qu'avec mon grand dossier et mon bois dur, j'étais exactement ce qu'il lui fallait. Sur un tabouret de piano normal, il se serait abîmé le dos.
S'il m'emmenait partout avec lui, c'est sans doute aussi parce que j'avais à ses yeux une valeur symbolique : comme nous nous connaissions depuis qu'il était tout petit, je lui rappelais son enfance. Avec moi, il ne se sentait jamais seul, il avait toujours un membre de la famille près de lui.
Glenn Gould est mort subitement d'une attaque d'apoplexie. J'imagine que vous n'étiez pas préparé à cela. Quels sont les derniers mots que vous auriez aimé lui dire ?
C'était horrible. Je m'en souviens comme si c'était hier.
Deux jours seulement après son 50ème anniversaire, le 27 septembre 1982 pour être précis, Glenn a eu une attaque d'apoplexie. Il avait un caillot de sang dans le cerveau. Quelques jours plus tard, il tombait dans le coma. Les lésions cérébrales étaient irréversibles.
Une semaine après son hospitalisation, on débranchait le cœur-poumon artificiel, et le 4 octobre 1982, il était mort…
Glenn m'a toujours très bien traitée. Bien sûr, il m'a beaucoup usée au fil des ans, mais c'était inévitable. Vers la fin, je n'avais même plus d'assise, et Glenn devait s'asseoir sur mon rebord. Mais il ne m'a jamais laissé tomber, et çà, je ne l'oublierai jamais.
C'est avec bonheur que je repense à toutes ces années que nous avons passées ensemble. Grâce à lui, j'ai découvert le monde et je suis peut-être aujourd'hui aussi célèbre que lui.
Pendant toute sa vie et tous ses concerts, Gould a joué sur un siège spécialement réalisé pour lui et dont le grincement caractéristique devint la marque musicale du pianiste.
Pour Glenn Gould, sa chaise avait beaucoup d’importance.
Toutes les personnes ayant vu une vidéo sur le pianiste auront remarqué sa position assise très basse, les yeux portant un regard très légèrement surélevé par rapport au clavier. Cette position inhabituelle par rapport à une position conventionnelle offre l’avantage d’augmenter la sensation d‘enfoncement de la touche.
En fléchissant d’avantage le poignet pour jouer les notes, les ligaments des doigts sont sollicités beaucoup plus qu’à l’ordinaire.
Pour avoir joué personnellement dans différents types de position (même debout), je dois reconnaître qu’avec un peu d’entraînement, cette position convient bien à un jeu où le legato est très présent. Par contre, dans un jeu de type “percussion”, comme celui que l’on rencontre dans la musique jazz, cette position ne m’a pas semblé très pratique.
Des personnes pensent que, grâce à cette position basse, Glenn Gould nouait avec son piano une énergie et une communication physique toute particulière. Une sorte d’extase qui le mettait en communication directe avec la vibration sonore (explication que rejetait l’intéressé).
Gould se souvenait plutôt de l’attitude de son professeur (Alberto Guerrero) qui lui pressait les épaules vers le bas quand il exécutait certains exercices pianistiques, l’obligeant ainsi à se pencher en avant.
Pour certains de ses amis, cette chaise aurait eu des rapports indirects avec son enfance ; à cause de sa mère qui lui a appris à jouer sur ses genoux et à cause de son père qui l’avait fabriquée.
Peut-être recherchait-il à travers cet objet, un contact émotionnel profond, une nostalgie capable de créer un lien entre le passé et le temps présent.
Quand l’art fait l’artiste, ne crée-t-il pas une ligne continuelle et invisible dans les différentes étapes de la vie qui mènent de l’enfance à l’âge adulte ?
Gould était vraiment un étrange personnage. Il recherchait constamment le bon piano pour ses interprétations et son touché si spécial.
La firme Steinway prétendait que ses pianos modernes des années 1955 à 1960 étaient les mieux adaptés pour Gould, Gould qui était élevé, chez Steinway, au rang envié d' "artiste-Steinway".
Gould préférait quant à lui les instruments Steinway de l'entre-deux-guerres (années 1925). Il devenait difficile, en 1960, de se procurer ces instruments, que Steinway considérait de moindre valeur. Il y avait notamment un petit piano à queue de 1895 (!), fabriqué par un concurrent de Steinway: le facteur Chickering de Boston.
Selon Gould, ce piano ancien répondait exactement au toucher qu'il voulait pour ses interprétations de Bach: un toucher léger, répondant immédiatement à la pression, comme un clavecin ancien. Il finit par l'acheter en 1957 pour quelques centaines de dollars et le plaça, religieusement, dans son coin-repaire où il se retirait, seul, chaque fois qu'il le pouvait: le chalet de vacances de ses parents.
Mais l'aventure avec Steinway ne se termine pas là ! La grande firme alla jusqu'à fabriquer, pour Gould, ce que l'on peut considérer actuellement comme une vraie horreur: le Harpsi-Piano. C'était tout simplement un piano que l'on appellerait de nos jours, un piano "préparé". Steinway avait enfoncé dans chaque marteau du piano une pièce métallique en "T" qui transformait la frappe en une frappe "métallique", imitant bien mal le clavecin, mais qui satisfaisait Gould.
Gould disait de cet instrument: "c'est un piano névropathe qui se prend pour un clavecin". Gould utilisa cet "instrument" dans plusieurs concerts et envisagea sérieusement d'enregistrer des oeuvres de Bach avec ce pseudo-clavecin. Heureusement, la chose en resta là.
Gould, toutefois, fut également organiste à ses heures. Il joua d'un fameux orgue symphonique Casavant de l'église All Saints' (Kingsway) de Toronto. Il jouait de l'orgue, semble-t-il, de manière très inspirée. Un disque fut gravé par lui à l'orgue en 1962: l'Art de la Fugue, contrepoints 1 à 9 de J.S. Bach.
Nous ne comprenons pas pourquoi il ne se mit pas réellement au clavecin, instrument qu'il songeait plus à "imiter" qu'à "réellement jouer". Il est vrai que son toucher de pianiste fit des merveilles dans la musique baroque.
Il existe cependant au moins un disque de G. Gould au clavecin: il s'agit d'un enregistrement des Suites 1 à 4 de Haendel (enregistrement en 1972). On ne connaît pas le nom du facteur du clavecin joué alors.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Le Steinway CD 318 de Gould
Le piano Steinway de Gould: Gould finit par trouver LE piano qui lui convenait le mieux chez Steinway, pour certains de ses derniers concerts et surtout pour ses enregistrements; il s'agit d'un modèle CD 318 fabriqué à New York pendant la Seconde Guerre mondiale et livré à Toronto pour Gould en 1945.
Cet instrument se révéla être un piano fantastique avec un toucher léger, un son clair et un mécanisme répondant rapidement.
Malgré ces qualités, Gould ne put s'empêcher de bricoler son piano Steinway, avec la permission de la firme. Il rapproche les marteaux des cordes, le plus possible, et "trafique" les étouffoirs pour qu'ils agissent immédiatement et complètement. Avec ces transformations, on voit bien que le piano se met à fonctionner, mécaniquement, un peu comme un clavecin: réactions rapides à l'enfoncement de la touche, étouffement rapide du son quand on libère la touche.
Ces modifications entraînèrent malheureusement quelques défauts: dans le milieu du clavier, à des tempi assez lents, le marteau peut frapper 2 fois les cordes avant de retomber. Cet effet secondaire des "travaux" de Gould est sensible dans certains de ses enregistrements. Gould appelait cela le "hoquet". Gould rebricola son piano et l'effet indésirable finit par pratiquement disparaître.
Glenn Gould joue le Prelude en si mineur , extrait du clavecin bien tempéré de Bach Vol 1.
La vidéo fait partie du film : "32 Short Clips about Glenn Gould".
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Dernière édition par Bridget le Dim 25 Mar - 17:37, édité 1 fois
joachim
Nombre de messages : 26 Age : 78 Localisation : Nord (Avesnois) Humeur : bonne (en principe!) Date d'inscription : 28/02/2012
Sujet: Re: GLENN GOULD Ven 23 Mar - 20:01
Je ne reviens pas sur la carrière de Glenn Gould dont il a largement été question ci dessus.
On ignore en général que Gould, en plus de ses activités de pianiste, et avant la carrière que l'on connaît, a un peu composé : une sonate pour basson et piano (1949), 2 pièces pour piano (1951), une sonate pour piano, inachevée (1951) et surtout un quatuor à cordes entre 1953 et 1955. Ce quatuor est numéroté opus 1, et le seul à comporter un opus. Dans les années 1960, il complète ses compositions par deux oeuvres vocales : le Lieberson Madrigal pour basse et piano, et So you want to write a fugue ?, pour soprano, mezzo, ténor, basse et trio à cordes.
J'ai écouté le quatuor à cordes "opus 1" par l'Alcan Quartet, un seul mouvement de 33 minutes, composé alternativement de parties lentes et rapides, et où l'influence de Schöenberg se fait sentir. Et aussi un peu la Grande Fugue de Beethoven.
En résumé, j'ai été agréablement surpris car je m'attendais plutôt à une musique genre Boulez...
Bridget
Nombre de messages : 2631 Age : 73 Localisation : Paris Date d'inscription : 13/05/2008
« Quand un homme atteint à cette hauteur, il illumine le monde plus qu'aucun autre être humain. Gould a donné une dimension supplémentaire à notre existence. »
Yehudi Menuhin
Interrogé par Jonathan Cott (journaliste à Rolling Stone), Glenn Gould — pianiste interprète qui s'éleva au rang de créateur — parle du concert, qu'il a quitté en 1964, de ses enregistrements, de son isolement, de Mozart, et de mille autres sujets, parfois inattendus. Toujours avec brio, et jamais sans humour.
Au fil des questions de J. Cott, G. Gould dévoile les multiples facettes de sa personnalité. Il évoque son enfance et sa formation, les moments importants de son existence, donne les raisons de ses adieux définitifs à la scène.
Cette édition présente, en fin de volume, une discographie et une vidéographie complètes de Glenn Gould, ainsi que l'introduction de Jonathan Cott et le texte de Gould intitulé « le bon mot de George Szell » qui avaient été omis de la première édition.
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Bridget
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Sujet: Re: GLENN GOULD Sam 11 Aoû - 16:41
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ENTRETIENS AVEC JONATHAN COTT
« Je rêve depuis des années, et je désespère d’y arriver jamais, de passer au moins un hiver entier au nord du cercle arctique. Tout le monde peut y aller en été, quand le soleil est levé, mais je dis que je ne voudrais y aller au moment où le soleil est couché. Vraiment je le voudrais et je vous dis que j’irais un de ces jours. »
Les « Variations Gould » rehaussées par leur préface
Avez-vous déjà eu entre les mains un livre dont la préface vous ait paru meilleure que le texte qu’elle est censée présenter ? C’était mon impression tout au long de la lecture des Entretiens avec Jonathan Cott (141 pages, 13 euros, Les Belles Lettres) du pianiste Glenn Gould - dont on peut déjà se demander s’il n’aurait pas fallu les intituler plutôt « Entretiens avec Glenn Gould » et les signer Jonathan Cott, mais passons.
Jacques Drillon, journaliste au Nouvel Observateur, à qui rien de ce qui touche à la musique et sa transcription, mais aussi à la linguistique, la stylistique et la ponctuation, n’est étranger, ne s’est pas contenté de traduire le livre de l’anglais : il a écrit sous le titre « Le plaisir et l’extase » une préface lumineuse ; il se donne toutes les libertés pour emprunter tous les chemins de traverse en s’aidant de la Bible, la règle de Saint-Benoît, Jean Baudrillard, Clément Rosset, Pascal, Godard, Stockhausen et des aperçus fulgurants de l’injustement oublié André Suarès.
Il n’a de cesse de défendre son héros en plaidant pour son absolue normalité, qu’il s’agisse de ses phobies, ses tics et tocs, ses manies, ses excentricités que les medias n’ont jamais su traiter autrement que sous l’angle de la pathologie faute de chercher à les comprendre. Normal, donc, même s’il sait que « le génie de ce crétin », pour reprendre un mot du chef d’orchestre George Szell, le place à part et nécessairement en marge.
Drillon touche à l’âme des choses lorsqu’il justifie la solitude en réclusion de Gould : « Ceux qui voient en l’isolement d’un créateur une névrose, ceux qui voient en Gould un misanthrope et un fou, sont les consommateurs. Le consommateur est incapable de concevoir l’origine de ce qu’il consomme, de comprendre ce qui a présidé à sa création, de ne pas voir en l’autre un autre consommateur. Incapable d’aimer les hommes, puisque incapable de les quitter ».
Et c’est sur cette même idée d’une marchandisation du sublime qu’il conclut par une contrepèterie revendiquée comme telle : « L’Âge d’or s’est mué en Auge d’art ».
Et le livre-même ? L’essentiel de ces entretiens, recueillis en 1973 et publiés l’année suivant par Rolling Stone, pêche par sa haute technicité. Un musicien y fera son miel, mais un mélomane s’y perdra. Une vraie conversation entre spécialistes : pour peu qu’on n’en soit pas, on se sent vite en trop. Ce n’est qu’altérations rythmiques, variation dynamique, écriture chromatique, pulsation constante, pan-potting, effets sonores… De la technique longuement disséquée, or c’est ce que l’art a de moins mystérieux.
Loin de nous l’idée de lui réclamer des anecdotes sur l’effet de ses mitaines sur son interprétation des Variations Goldberg ou sur ses manies ! Ses biographies en regorgent, plus ou moins attestées, et souvent sans grand intérêt. Quelques unes sont évoquées dans le livre et elles sont aussi peu significatives que sa glorification de Petula Clark (Downtown !..) au détriment de l’œuvre complète des Beatles jugée « répugnante », comparée à « des monceaux d’immondices » ; à ses yeux, ils sont responsables d’avoir baissé les potentiomètres correspondant à la parole pour conserver aux plus haut ceux des instruments, donnant ainsi le ton à la production de toute une époque.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Glenn Gould, gesticulating with his hands, early 1950s -nd @ The Glenn Gould Archive
D’autres pages de ces entretiens, bien plus passionnantes, les compensent. Notamment celles sur son wagnérisme absolu et ses transcriptions pour piano des Maîtres chanteurs, sur la radio comme métaphore de la solitude ou sur l’état d’exaltation et de bonheur qui fut le sien lorsque, gravement malade, il dut se retirer sur une montagne magique du côté de Hambourg jusqu’à s’identifier à Hans Castorp, le héros de Thomas Mann.
Ces passages de ce livre rappellent la richesse du documentaire que Bruno Monsaingeon consacra à cet interprète qu’il eut l’intelligence de regarder avant tout comme un créateur. On dira qu’un artiste n’a pas à s’expliquer ni à se justifier. Mais dès lors qu’il se prête au jeu, on aimerait autant ne pas en être exclu, même si l’on se contente très bien d’un « c’est comme ça » s’agissant de ses fredonnements compulsifs, ou d’un « En quoi ça les regarde ? » à propos de sa position au piano le nez sur le clavier.
Il est vrai que, comme à son habitude, Glenn Gould avait accordé ces six heures d’interview par téléphone. Elle aurait rendu un son différent s’il avait rencontré Jonathan Cott. Voir les gens, les toucher, les humer, échanger des regards, cela suscite une complicité entre des interlocuteurs qui s’estiment (c’est le cas), crée un lien et donne une touche humaine que rien ne remplace, même si l'effet collatéral est souvent d'atténuer le sens critique. On peut le regretter même si c’est justement une perspective que Glenn Gould a toujours fui.
http://passouline.blog.lemonde.fr/page/4/
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Dernière édition par Bridget le Sam 6 Oct - 15:17, édité 1 fois
Bridget
Nombre de messages : 2631 Age : 73 Localisation : Paris Date d'inscription : 13/05/2008
Tour à tour pianiste de génie, essayiste, réalisateur d'émissions de radio et de télévision, Glenn Gould n'a jamais cessé de stimuler les esprits par ses interprétations et ses expérimentations autour du son.
Près de 25 ans après sa mort, il demeure l'une des personnalités les plus singulières du monde de la musique classique. Bruno Monsaingeon propose une nouvelle approche de la vie de l'artiste.
« Je suis tombée amoureuse d'un mort », s'étonne une Italienne en pèlerinage à Toronto. L'un des cinq apôtres du « gouldisme » retenus par Bruno Monsaingeon pour témoigner du rayonnement inaltéré du pianiste canadien, disparu en 1982.
Ainsi peut-on entendre l'« au-delà » du titre de ce documentaire : « au-delà du temps » comme « au-delà de la mort ». Mais aussi au-delà des frontières géographiques, sociales et générationnelles, où portent ses interprétations.
Au-delà des moeurs musicales de son temps, où l'a poussé son anticonformisme.
Au fil d'un récit semé d'archives et d'images inédites parfaitement agencées, Bruno Monsaingeon explicite les choix d'un pianiste virtuose qui se retira de la vie publique pour mieux transmettre ses idées à travers les médias. C'est que, à la différence des concerts, le disque, la radio et la télévision défient l'éphémère de la vie et prolongent au-delà de la mort le geste musical. Amoureux (sans réserve), biographique (l'air de rien), humoristique (brillamment), ce film allie avec chaleur et esprit les qualités synthétiques de la somme à la finesse subjective de l'essai. —
La soirée se poursuit, à 22h15, avec Glenn Gould : the russian journey, documentaire pataud sur la mémorable tournée qu'effectua, à l'âge de 24 ans, le pianiste canadien dans l'Union soviétique de 1957.
François Ekchajzer / Télérama
Autres diffusions :
08 / 10 - 20h30 sur mezzo 16 / 10 - 13h30 sur mezzo 25 / 10 - 09h30 sur mezzo
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Bridget
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Sujet: Re: GLENN GOULD Dim 25 Oct - 18:08
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Une intégrale discographique et une BD pour entretenir le mythe Glenn Gould
Soixante ans après le premier enregistrement des "Variations Goldberg", l'œuvre de Glenn Gould est à nouveau d'actualité grâce à la sortie d'une intégrale discographique, "remastérisée" à partir des bandes d'origine. S'ajoutent un livre intégré au coffret, des CD d'interviews de l'époque… Et une BD, signée Sandrine Revel, regard poétique posé sur un pianiste pas comme les autres.
Le mythe Glenn Gould est encore bien vivant. Plus de 30 ans après sa mort, on reste fasciné par l'œuvre du pianiste canadien, autant que par son personnage. Il faut dire que le destin de cet homme si singulier, mort d'un AVC à tout juste cinquante ans en 1982, s'y prête : un physique à la James Dean, lorsqu'il apparaît à ses débuts dans les années 1950, et un comportement que certains ont qualifié d'excentrique, conjonction en réalité de ce qu'on sait être une forme d'autisme (le syndrome d'Asperger) et d'un perfectionnisme artistique poussé à l'extrême.
La publication chez Sony (héritier du catalogue Columbia chez qui était édité Glenn Gould), de l'intégrale discographique remastérisée, soixante ans après le premier enregistrement, offre une nouvelle occasion de saisir l'œuvre et l'homme. Les deux sont inséparables : le coffret, contenant les 78 albums gravés, est d'ailleurs vendu avec un très riche livre de 400 pages, comprenant photos, documents, explications et une longue fiche par disque ainsi que trois CD d'interviews ou d'émission particulièrement instructifs.
Nous avons pour guide devant ce vaste matériau Michael Stegemann, compositeur de formation, ancien élève d'Olivier Messiaen, reconverti en musicologue et grand spécialiste de Gould.
Trente ans qu'il se consacre à son œuvre ! "J'avais peur, initialement, qu'avec un énième coffret, on presse trop le citron", avoue aujourd'hui Stegemann qui n'est pas le maître d'œuvre de la nouvelle version.
"En réalité, d'un côté il y avait une demande, la dernière intégrale était épuisée. Et de l'autre, surtout, l'éditeur a utilisé les moyens techniques les plus sophistiqués pour "remastériser" en développant un système de "direct streaming" c'est-à-dire en recourant aux bandes d'origine, ce qui permet d'être au près de l'idée que Gould avait non seulement du montage de ses enregistrements, mais aussi de la sonorité".
Car là réside l'une des particularités du célèbre pianiste : dès 1964, Gould refuse de jouer sur scène pour ne se consacrer qu'aux enregistrements studio et, en homme de technique et des médias, il a une idée précise de ce qu'il cherche. "Or, cette vision de l'enregistrement, Gould lui-même n'a pas pu la réaliser faute de moyens technologiques, même avec les débuts du digital, rappelons qu'il est mort en 1981 !", explique le musicologue. " Aujourd'hui, on le peut, ce qui nous donne une pureté, une netteté acoustiques inédites, la forme idéale voulue par Gould".
Par le miracle de la technologie, on a accès à une "esthétique de l'enregistrement" de Gould qui est vraiment étonnante. Presque abstraite.
"Lui-même le disait : un piano ne doit pas forcément toujours sonner comme un piano", rappelle Stegemann : "c'est une esthétique de clarté, une approche intellectuelle qui offre sa vision d'une œuvre, loin de l'authenticité de la sonorité du piano comme on la trouve chez Horowitz ou chez Rubinstein".
Glenn Gould, dans les studios d'enregistrement où il est le patron (vers la fin il possède son propre studio), s'en donne à cœur joie : il change le positionnement des micros, manipule son piano (il rapproche notamment le marteau des cordes pour accélérer l'arrivée du son), crée des montages "dont on a parlé comme des monstres de Frankenstein : des bouts de bandes collés, donnant naissance à un être musical qui n'existe pas, qui ne peut pas exister", dit Stegemann. Bref, l'œuvre de studio de Gould est une "recréation" de l'œuvre de Bach, Mozart ou Schönberg… "pour un public imaginaire, idéal", ajoute le musicologue.
A chacun son Gould préféré
Aujourd'hui, "l'écouteur" comme ce dernier appelle le public, choisira ses inconditionnels : de Bach, omniprésent, à Schönberg (que Gould aimait particulièrement et dont il livre un magistral Concerto pour piano opus 42), en passant par les sonatines de Sibelius, les morceaux de Scriabine... et évidemment Mozart et Beethoven, très présents dans le coffret, malgré les réticences du pianiste. Dans une notice biographique sur Gould pour la presse datée de 1956, reproduite dans le livre, ni l'un ni l'autre ne figurent parmi les compositeurs préférés. "Gould avait des problèmes avec ces deux écritures et il a lutté contre ces réserves en les enregistrant", explique Stegemann. Lui, le musicologue, conseille en particulier trois disques : l'album "élisabethain" avec les œuvres de William Byrd et du "préféré" de Gould Orlando Gibbons ; la 5e symphonie de Beethoven dans la transcription pour piano de Liszt (pour la virtuosité pianistique) et enfin les Intermezzos de Brahms, pour lesquels Gould aurait dit, non sans humour : vous savez bien que je suis un incurable romantique…
Pour le grand public, le toucher de Glenn Gould est inséparable des "Variations Goldberg" de Bach. D'une interprétation particulièrement ardue (prévues pour clavecin à deux claviers), elles sont surtout symboliques parce qu'elles font l'objet du premier et du dernier enregistrement publiés par Gould (donc de son vivant), respectivement en 1955 et 1981.
Des deux versions, la deuxième, beaucoup plus lente, laisserait croire qu'une vraie évolution les sépare : "il n'en est rien en réalité", dit Stegemann : "on a découvert le premier enregistrement que Gould a fait en 1954 pour la radio canadienne (non présent dans l'intégrale Sony), qui ressemble étonnamment à la version de 1981 : aussi lent, aussi intériorisé. Donc celle-ci n'est pas, comme on l'a beaucoup dit, une vision d'automne de l'artiste. Gould a simplement changé de point de vue sur l'œuvre à ce moment précis". On ne saurait trop vous conseiller dans le coffret, la conversation de 1981 entre Gould et le journaliste Tim Page autour des Goldberg, même si, nous prévient Stegemann, "on sait aujourd'hui que le pianiste écrivait lui-même les questions et les réponses de l'interview"…
1955-1981, une vie artistique
Comme le dit Gould dans cette "interview", entre 1955 et 1981, sa "mécanique" pianistique ne change pas : son jeu non legato, sa façon de toucher le clavier, sont ceux des débuts. L'homme, lui, n'est évidemment plus le même. "A 22 ans, Gould se prête au jeu des médias comme une pop star, le jeune miracle classique, châtain aux yeux bleus, ce qui à l'époque est aussi important que son jeu de piano.
Le Glenn Gould de 1981 est un homme malade, retiré de la scène depuis plus de quinze ans, il ne joue plus pour le public, mais pour lui-même. Il traverse difficilement dans les années 1970 l'épreuve de la mort de sa mère et n'enregistre presque plus. C'est un homme qui décide d'arrêter le piano à 50 ans pour ne faire plus que diriger et composer".
Cette évolution-là est très perceptible dans le livre de bande dessinée de Sandrine Revel, "Une vie à contretemps", chez Dargaud. Davantage qu'une véritable biographie, c'est une évocation de la vie du pianiste canadien qui invite à imaginer l'insaisissable chez Glenn Gould. Magique, cette page où l'homme est représenté un masque canin sur le visage. Extrêmement parlantes aussi, les séries de mains du pianiste suspendues en l'air ou, plus loin, posées sur le clavier. Et poignante cette double page imaginant l'artiste en smoking précipiter dans le vide avec le rideau rouge de la scène à son dos… Le livre est élégant, au trait simple, discret, ligne claire et joli rendu de crayon de couleurs dans la palette des années cinquante et soixante. Sandrine Revel dessine les contours d'un être à part, façonné dès l'enfance, par des singularités : les ennuis de santé qui le mettent au ban de la vie scolaire, puis l'hypocondrie qui, à l'âge adulte, sera plus qu'envahissante ; la passion immodérée pour la musique et le rapport identitaire à l'instrument – les pages sont troublantes où l'on apprend que Glenn Gould traverse une dépression suite à la destruction de son piano Steinway, tombé d'un camion pendant un déplacement !
Enfin, ces manies qui seront l'une des signatures de Glenn Gould, aussi gênantes que fascinantes : comme le positionnement au piano, assis très bas sur une chaise pliante spécialement conçue par son père, les mains très étonnamment accrochées au clavier ; ou l'habitude de s'habiller chaud, même en plein été ; ou enfin le célèbre chantonnement que l'on peut écouter distinctement dans de nombreux enregistrements…
L'humour si méconnu de Gould
Revenons au coffret Sony pour une dernière dimension, rarement citée de Glenn Gould et pourtant très présente : l'humour. Une pièce radiophonique, enregistrée à l'occasion des 25 ans de carrière de Gould ("The Glenn Gould Silver Jubilee album") met en scène "The hysteric return", le retour sur scène du même Gould, mais sur une station de pétrole sur l'océan arctique où il joue entre autres un morceau de Weber et la Valse de Maurice Ravel pour piano. Le pianiste y interprète avec des voix et des accents différents, avec des textes farfelus, plusieurs rôles : un chef d'orchestre britannique Sir Nigel Twitt-Thornwaite, un compositeur et musicologue allemand, Karl-Heinz Klopweisser, un critique à l'accent très populaire… C'est loufoque et très drôle. "Dans toute sa vie, il a eu jusqu'à 24 alias derrière lesquels il se cachait, le plus célèbre étant le chauffeur de taxi new-yorkais Thodore Sluts!", raconte Michael Stegemann. L'humour et la joie de vivre dont peut faire preuve Glenn Gould cohabitent avec l'homme malade, retiré…
"Le problème avec l'image de Glenn Gould", conclut Stegemann, "est qu'on ne retient que celle du pianiste : on élude le compositeur, le chef d'orchestre, l'organiste, le claveciniste, et enfin l'homme des médias. Et pourtant, son travail pour la radio et la télévision, tous ces écrits sont d'une grande importance, pour nuancer l'image. N'a-t-il pas dit un jour, dans une interview : je ne suis pas pianiste mais un homme des médias canadien qui joue du piano dans son temps libre ?".