FLOCON FOLKLIBÉRATION MERCREDI 14 DÉCEMBRE 2011 Par BAYON
Mirel Wagner est une bonne nouvelle de la saison qui touche à sa fin. En grace, avec la programmation de la dame à l'affiche parisienne. Avec son patronyme d’héroine d’opéra philharmonique nietzschéen, Mirel Wagner anonne et dodeline joliment dans l’oreiller, aussi peu blonde viking que possible.
REINE DE SABA Ce serait une Billie Holiday qui se serait trompée de latitude, téléportée du «pot au noir» des mythologies pirates jusqu’aux rivages de l’antique Thulé avec un ukulélé. Une Abyssinienne en décalage horaire nordique.
Arpégeant des boucles de guitare en bois comme sur une mandoline ou un mvet à trois cordes de descentes d’accords, Mirel égrène de sa voix sans âge de Melanie félée (What Have They Done to My Song?) des perles grises folk autistiques à la Leonard ou Adam Cohen.
Ses nursery rhymes effarées de princesse de rorbus des Lofoten magnétiques à la Silje Nes, jeune aînée norvégienne amniotique, parlent de mains, de vent, de rêves, d’os et de couleurs, éteintes, noir et blanc, de vitesse et de danger, de détresse un peu désespérante, de route, de mort… - le tout au fil du temps qui passe, en suspension limbique. Avec une dimension vériste, mélo, presque «faits divers» - comme dans l’historiette crève-cœur de Joe l’enfant ophélien.
Une fée world laponne a le mal du monde. Au pays des Nornes et des fjords, elle a le teint des lointains antipodiques de latérite brûlée de l’Abyssinie originelle, où le livre place la légende de la reine de Saba et des pharaons d’ébène. Il vient à notre enchanteresse givrée, en voix intérieures d’exil, des rumeurs de delta, de Gorée, des réminiscences vaudoues de lagunes à caïmans, de savane et de Sahel. Feutrées de silence intouchable.
Alchimies. Interrogée : «Comment vous retrouvez-vous en Finlande, partant d’Ethiopie ?», notre jeune «beloved brune des brumes» (une photo posée la figure voilée dans des marais de Finlande), enfant des sinistres décennies Mengistu (tortionnaire du Négus Rastafari Haïlé Sélassié détrôné en 1974), coupe court : «Aucun commentaire.»
On sait juste, ce qui n’est pas un secret, que Mirel la déracinée, lointaine benjamine de notre plus auguste aïeule, Dinknesh, dite Lucy, 3 millions d’années et des poussières de millénaires, a été adoptée.
Le fruit de ces alchimies tectoniques, inscrit dans les neuf plages confidentielles de son manifeste folklorique effacé, est une rimbaldie inverse enfantine. Un secret de la mer Rouge refroidie, comme une mémoire de l’eau dérivante, mouille le chantonnement de blues inné que Mirel Wagner file sur sa guitare sèche, telle la vieille femme du grenier de la Belle au bois dormant son rouet fatal.
Mirel Wagner CD : Mirel Wagner (Bone Voyage Rec). En concert acoustique vendredi à 21 heures au Centre culturel finlandais, 60 rue Ecoles, 75005. Rens. : www.institut-finlandais.asso.fr
Interview 14.12.2011
«Mon genre de chagrin serait la détresse mélancolique»La chanteuse parle de ses sources, de ses icônes et de la Finlande :
Conversation spatio-temporelle avant-hier matin avec la chanteuse antipodique.
Vous avez l’air triste. Vous l’êtes ?
Non, je ne le suis pas. J’ai mes moments de tristesse, comme n’importe qui. Mais la tristesse en chansons n’a rien à voir avec la tristesse dans la vraie vie.
Quel type de chagrin exprimez-vous plutôt ? Nostalgie, mal du pays, ennui, peur, angoisse, néant, solitude ?
Mon genre de chagrin serait la détresse mélancolique. Le désespoir que j’exprime cachant habituellement un fond de dérision.
Comment vous viennent des chansons comme The Road ?
J’avais rêvé que je me noyais. Au réveil, je songeais aux motifs de ma noyade… Je me sentais tellement désespérée de cette asphyxie dans mon sommeil, que j’ai éprouvé le besoin d’en tirer une complainte. Une chanson que je voulais totalement triste, au risque d’en être grotesque…
Vous avez 23 ans, mais votre âge enchanté ? Sept jours tel Peter Pan, qui décida de ne plus grandir ?
Je me sens simultanément une vieille personne, et une fillette restée en enfance. Quand je chante, je sors du temps. En fait, j’ai 24 ans à ce jour, mais je ne me sens jamais correspondre à cela.
Vos modèles, icônes ? Comme chanteuse, musicienne, femme ?
Modèles… dur à dire ; de vie peut-être. Icônes : côté composition, je verrais Léonard Cohen, Nick Cave, Roky Erickson. Côté guitare, sans doute Mississippi John Hurt. Et côté chant, probablement Billie Holiday. D’ailleurs, le sexe de l’icône ne compte pas, je me considère comme un auteur, sans notion de féminité ou masculinité.
Une vision heureuse de votre enfance ?
Sans hésiter, ma mère me chantant des berceuses.
Et un souvenir malheureux ?
Un jour mes parents oublient de venir me chercher au théâtre ; j’ai peur. Heureusement, ils finissent par se souvenir de moi.
Que devenez-vous quand vous ne broyez pas du noir ?
Je fais des choses banales : du genre sortir entre amis…
Si vous êtes femme à pouvoir concevoir votre mort tôt ou tard, comment l’imaginez-vous ?
Je vois mon heure venir quand j’aurai vieilli et que j’aurai eu une vie bien remplie, riche d’intérêts et de sensations. Je me vois entourée d’une famille nombreuse et de proches, accueillant la mort comme une vieille amie…
Votre chouchou sur l’album ?
Toutes ces chansons sont comme mes enfants, je ne saurais en chérir une plus que les autres.
«My little one», c’est vous ?
Non. J’ignore qui est cette personne. Elle reste un mystère pour moi aussi. En fait, mes chansons ne sont pas nécessairement autobiographiques. Peut-être plus concernées par les paysages émotionnels que j’essaie de mettre en musique.
Les chansons ne racontent certainement pas une histoire à propos d’une personne en particulier que je connaîtrais ou qui serait moi. Cela a plutôt trait à des sensations imaginaires. Mais même si mes personnages de chanson ne sont pas réels, les sentiments le sont.
De quoi vivez-vous ?
La musique m’est tout, mon métier est la musique.
Vous faites partie d’une scène finlandaise ?
Je ne fais partie d’aucune scène locale. J’ai des amitiés artistiques. Je viens juste d’achever une collaboration profitable de quelques concerts avec un artiste finlandais nommé Joose Keskitalo.
J’ai joué avec d’autres musiciens, très différents les uns des autres, et sans rapport avec mon propre son. 22 Pistepirkko d’une part, et Ghost Brigade de l’autre. J’ai bien aimé certains groupes punk harcore du coin, récemment, mais non, je ne fais pas partie d’une scène harcore-punk rock locale…
Votre musique en deux mots ?
Certains appellent cela du «folk gothique». «Gloomy folk» [folk sombre, ndlr] sonne bien.
D’où nous parlez-vous ?
D’Helsinki. Le jour tombe, noir et pesant. Le temps est poisseux et sinistre.
Vous ne vous sentez pas étrangère dans ce pays ? Etrangère sur terre comme beaucoup ?
Je m’y sens très bien, entourée de tous les gens que j’aime, comme chez moi.
La suite ? Même formule ?
J’en suis à peine à aborder de nouvelles chansons. Je dois les laisser suivre leur voie, trouver leur propre sens. Le contenu de ces chansons dira quelle forme elles prendront.