Avant l’interview, Didier Lockwood confie qu’il travaille actuellement sur un projet intéressant. La surprise est de taille, puisqu’on apprend qu’il a été mandaté par le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, pour travailler sur la démocratisation de l’enseignement musical en France, notamment sur les conservatoires.
“Le ministre m’a mandaté pour cette mission qui consiste à travailler sur les conservatoires et j’ai demandé d’élargir cette mission à l’Education Nationale. A cette occasion, un groupe de mission a été constitué avec d’illustres représentants des diverses esthétiques musicales : Jean-Claude Casadesus (chef d’orchestre), Claire Gibault (chef d’orchestre), Michel Jonasz, Manu Katché, Andy Emler (jazz contemporain), Bruno Montovani (compositeur contemporain et nouveau directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris)… Les préconisations sont à rendre en début d’année 2011. A la suite de ce travail et l’acceptation des préconisations par le ministre, un travail approfondi sur les contenus pédagogiques sera engagé. Ces changements devraient toucher le cœur et l’esprit de l’enseignement des arts puisque cette mission, si elle réussit devra s’étendre à l’ensemble des enseignements artistiques.” (Didier Lockwood)
Pensez-vous que cette mission va être prise en compte ?
Je propose des préconisations optimales, qui vont dans le sens de la mission dont on m’a chargé. Ce qui est pratique, c’est qu’elles peuvent êtres mises en œuvre progressivement. C’est une réorientation où nous pourrions préconiser le rééquilibrage entre les musiques dites classiques, contemporaines, écrites, et les musiques dites populaires (musiques actuelles, improvisées, traditionnelles, amplifiées…)
Pouvez-vous nous indiquer vos principales pistes de réflexion ?
C’est une réorientation où nous préconisons la réintroduction des musiques actuelles à la même échelle que les musiques dites “savantes”. Le but étant de faire en sorte que les conservatoires ne soient plus des îlots principalement consacrés à la musique écrite, patrimoniale, musique d’interprétation mais qu’ils puissent s’ouvrir aux techniques d’apprentissage oral et du senti que nous proposent les musiques actuelles et improvisées. Il serait donc possible et souhaitable de repenser à une formation initiale adaptée tel un tronc commun entre les deux apprentissages jusqu’à aujourd’hui distingués.
Dans le souci de préserver un niveau d’excellence, les parcours des élèves permettront de s’engager à partir du deuxième cycle de l’enseignement vers une spécialisation tout en distinguant ceux qui souhaiteraient s’engager dans une voie professionnelle et ceux qui voudraient s’engager dans une voie amateur.
La transversalité qui aura été créée au niveau de la formation initiale permettra à ces élèves de posséder l’ensemble des valeurs dont un musicien a besoin aujourd’hui, au 21ème siècle et devrait permettre aussi de développer et d’élargir les filières professionnelles des musiciens.
Dans le cadre de cette orientation, les pratiques d’ensemble devraient être favorisées et à travers un travail studieux et sérieux, trouver les points d’accroche du plaisir musical.
Cet énorme chantier devrait amener à une restructuration qui pour moi tient plus au rééquilibrage qu’à la remise en cause d’un système. Le souci permanent de nos travaux est de donner à ceux qui sont au cœur du processus (les enseignants) un nouvel élan pour pouvoir peut-être transmettre leur savoir avec une meilleure écoute et un meilleur impact. Tout ceci ne pourra pas se faire sans la prise en compte de la réalité des enseignants et de comment les intégrer dans un nouveau dispositif sans qu’ils s’en sentent rejetés. Tout cela se fera en concertation avec le corps enseignant, sans remise en question de leurs compétences respectives.
Si je suis ma lettre des mission, qui naît un peu de l’exemple de l’Histoire des Arts (obligatoire depuis peu) cette réflexion sur la musique pourrait être la pierre fondamentale d’une remise en question de l’ensemble des enseignements artistiques en France dans un esprit de totale transversalité. Peut-être pourrions-nous penser, à l’instar de l’Histoire des Arts aux “Écoles des Arts”…?
Le projet dont vous me parlez semble paradisiaque, presque idéal. En réalité, combien de temps pensez-vous que cela prendra d’intégrer tous ces changements ?
10-15 ans. Il faut considérer cette étape comme une réorientation. Le parc d’enseignants dont nous disposons comporte deux générations différentes, il suffira d’apporter aux uns et aux autres le soutien nécessaire à leur participation à ces éventuelles préconisations.
D’autres points sont abordés par cette mission comme le rôle pédagogique des orchestres symphoniques, se mettre au service de la transmission et de la sensibilisation en déplaçant les orchestres dans les écoles et entreprises mêmes, ce qui se fait déjà beaucoup en Angleterre. Organiser des résidences dans les écoles… plus qu’une mission de représentation, c’est une responsabilité éducative qui est intégrée depuis longtemps dans le cahier des charges de multiples pays européens.
Le numérique est-il intégré dans vos projets ?
Cela va de soi. Le numérique sera enseigné dès le cycle initial. Dans les cycles spécialisés, ce domaine concernera surtout les musiques actuelles qui utilisent énormément ces supports pour la création autant que pour la promotion.
Les musiciens classiques, eux, seraient donc voués à la marginalité alors qu’ils intègrent très vite ces outils informatiques ?
Lors de la mise en place des contenus des programmes LMD, j’ai fortement insisté sur l’intégration du numérique. En effet, il est indispensable que les cursus classiques s’acclimatent à cet outil, nous sommes d’accord. Ne serait-ce que du point de vue de l’auto-promotion et de l’auto-production.
Quelle sont selon vous les différences majeures entre un conservatoire et une école comme le CMDL ?
Les conservatoires commencent à intégrer les musiques improvisées ou actuelles dans leurs section jazz. Nous, au CMDL, essayons de travailler sur un réservoir d’étudiants qui ne soit pas trop important. Ce qui nous importe est d’avoir une relation humaine et qualitative avec les élèves. Nous n’intégrons jamais plus de dix élèves par année par classe. Une cinquantaine d’élèves en tout. Nous n’avons pas de cahier des charges, ce qui nous permet de procéder de la manière que l’on veut. Nous avons une manière extrêmement spécifique d’enseigner et l’on voit en dix ans les résultats que cela a donné. C’est en ce sens qu’il est indispensable que l’on nous accepte dans le cycle de l’enseignement supérieur. Notre statut d’établissement privé nous pose problème quant à cette intégration. Nous essayons de rester dans une réalité populaire. L’aspect élitiste qu’on donne au jazz nous dérange. Réalité populaire ne veut pas dire négliger l’exigence de l’excellence. Populaire n’est pas péjoratif.
Quand on enseigne le jazz comme étant une forme “savante” c’est-à dire dans un format élitiste on néglige les valeurs fondamentales (le groove, la danse, le placement rythmique, l’”entertainement”…) qui font de cette musique un art majeur.
Le fait que le jazz soit considéré comme une musique savante est pourtant ce qui lui a permis d’intégrer les conservatoires. Lui redonner une perspective populaire va donc à l’encontre de la culture enseignée jusqu’à ce jour en France, votre nouveau projet représente une évolution importante.
En effet, il ne fallait pas qu’elle réponde au critère de musique populaire qui est un terme péjoratif en France. C’est là que le bât blesse et ce que vous soulevez est très important et il faut le mettre en avant car tout ce qui fait référence à l’enseignement en général, et pas seulement de l’art, tout ce qui fait appel à notre animalité, à nos instincts est mis de côté et éclipsé par l’intellect et le cérébral dans notre système actuel. L’animalité et l’instinct ne sont pas reconnus comme des connaissances ou des sciences alors qu’à mon avis, la reconnaissance ou la connaissance de nos instincts est sûrement la plus grande des sciences. Un certain nombre d’études a été fait sur l’improvisation et elles montrent que les personnes qui font du rythme de manière intuitive – ce que l’on appelle la danse intérieure – travaillent sur des algorithmes très élaborés. L’instinct est notre force la plus véridique. Je pense que notre intelligence et notre intellect sont là pour lire les secrets de notre instinct et le transcender.
Qu’est ce qui vous a poussé à créer le CMDL et pourquoi en France ?
Ma première intention était de perpétrer cette école de violon jazz français qui est constituée de Stéphane Grappelli, Michel Warlope, Jean-Luc Ponty, moi-même…
Avant de faire du CMDL une école multi-instrumentale, je voulais profiter de cette génération de violonistes qui sont sortis des sentiers battus et ont constitué un répertoire jazz qui fait désormais partie de notre patrimoine culturel français. Il y a deux pays qui sont représentatifs du violon jazz : la Pologne et la France. Deux cultures de musiques improvisées mais avec des accents différents.
Pourquoi en France, parce que j’ai un problème avec les “Amerloques”. Ils ont tendance à tout s’attribuer. Ils ont toujours pensé que le jazz, c’était les États-Unis et maintenant ils déchantent parce qu’ils s’aperçoivent que les musiciens européens ont du style et produisent pas mal d’œuvres de qualité. Et puis, le patrimoine “violonistique” américain se repose plus sur la culture bluegrass quand en France nous avons une grande école de musique classique (l’école impressionniste, sans oublier que les grands musiciens de jazz Américains sont venus suivre les cours de Nadia Boulanger), ce qui nous donne une technique.
Quand on a une spécificité, autant s’en servir et faire école. J’ai eu beaucoup d’influences de Stéphane Grappelli et Jean-Luc Ponty, donc j’ai décidé d’essayer de perpétuer cette tradition. Depuis onze ans, beaucoup de jeunes sont sortis et nous avons des exemples comme Fiona Monbet, jeune violoniste de 20 ans qui va sortir son premier disque très prochainement et qui est dans ma classe depuis l’âge de 9 ans.
Vous êtes-vous senti soutenu, directement ou indirectement par les institutions gouvernementales lors de l’ouverture du CMDL ?
Cela a été très mal accueilli. J’étais déjà un peu incontournable à l’époque dans le sens où j’avais une image d’artiste international. Quand un artiste veut se mêler de l’éducation, on trouve toujours ça un peu suspicieux et dangereux. Une certaine forme de défi et de concurrence parce que je ne voulais pas rentrer dans le moule. J’ai dû faire appel à des appuis politiques. Ils m’ont fait trainer un an avant de m’accorder une petite subvention.
Quelles étaient leurs excuses ?
“Pourquoi Didier Lockwood plus qu’un autre” et “on a déjà ce qu’il faut en conservatoires”. C’est un peu comme Alain Prost qui voulait ouvrir son écurie de Formule 1, on lui a mis des bâtons dans les roues.
La situation a évolué dans le sens où j’ai pris la vice présidence du HCEA. Ils ne peuvent pas empêcher mon école d’exister tout en me confiant cette mission.
Il y a du progrès mais je me bats quand même, nous devions rentrer dans le pôle supérieur (le diplôme supérieur…) cette année et ils ont refusé notre dossier.
Qui contribue à l’élaboration des programmes du CMDL ?
Nous avons un comité de professeurs qui décide des cours majeurs et le reste est constitué de beaucoup d’intervenants qui sont des musiciens professionnels et actifs. C’est quelque chose sur lequel j’insiste beaucoup. Je ne voulais pas nécessairement de professeurs diplômés. Je veux des artistes qui jouent.
Quelles relations entretenez-vous avec l’industrie de la musique ?
Déjà, l’industrie de la musique est un non-sens. La musique n’est pas une industrie. On parle d’économie culturelle. On ne peut pas faire l’économie de l’art.
Je pense que toute propension à vouloir rentabiliser l’art, le valoriser financièrement, est mauvaise. C’est un point de vue tout à fait personnel mais l’argent pollue l’authenticité.
Cette industrie est pourtant parfois bien utile.
Attention, l’industrie n’est faite que pour la rentabilité et les artistes qui ont accès à cette industrie dans une intention uniquement mercantile ne font pas le même métier que moi.
Mais l’industrie est née plus ou moins avec les musiques actuelles. Vous ne préparez donc pas vos élèves aux rouages de l’industrie ?
Si, évidemment nous l’abordons mais je commence toujours l’année avec mon speech qui rappelle aux élèves qu’ils ne sont pas là pour devenir intermittents du spectacle mais artiste. “Vous n’êtes pas ici pour devenir des participants de l’industrie de la musique mais pour devenir des artistes.” Chez moi, on parle de développement intérieur, de personnalité, de créativité, de passion, de votre entrée en musique et non pas seulement dans les métiers de la musique.
Pourtant, une entrée dans le monde actuel sans notions de marketing, ne serait-ce pas un peu jeter des talents dans la gueule du loup (les industriels) ?
On fait venir des intervenants de la SPEDIDAM, de l’ADAMI, de la SACEM, des juristes spécialisés en droits pour expliquer comment ça marche. Expliquer les mécanisme de l’auto-production. Ce que j’essaye de dire c’est juste que la musique n’a pas pour but d’être rentable, ceux pour qui le but est de rentabiliser la musique ne font pas le même métier que moi, je le répète.
Alors ne serait-il pas intéressant de revaloriser le contenu auprès des industriels ?
Disons qu’il y a un principe de base qui est erroné. Il est intéressant de constater que les supports on déjà beaucoup changé, le fond donc la forme avec. Il est intéressant de faire une comparaison avec les arts plastiques dont les supports se sont modernisés bien plus rapidement qu’en musique. Et ce parce que le support de la photo a été inventé avant les supports de l’enregistrement. On y pense pas souvent mais c’est ça l’histoire. Si on considère l’encadrement de ce marché de la musique, on se rend compte que les programmateurs radios par exemple, formatent de la diffusion donc le goût des gens. Auparavant nous avions des directeurs artistiques qui sortaient de la musique, aujourd’hui, ce sont des gens formés en école de commerce à qui l’on a affaire.
Comment former les musiciens aux nouveaux usages qui vont forcément avec de nouvelles oreilles ?
Ce qui importe dans toute forme artistique, au-delà de l’esthétique et de la forme adaptée à un support, c’est le support d’amour, de sincérité et d’authenticité qui est communiqué.
J’ai vu une fille il y a un an, Zaz et elle est tellement impliquée dans ce qu’elle fait que j’ai su qu’elle ferait un carton. Cette fille chanterait du Pierre Boulez que ce serait toujours aussi sincère, on peut lui reprocher son style mais sa voix et l’intention qu’elle y met est incroyablement transmissible. Je reviens d’une tournée avec Mike Stern (ancien guitariste de Miles Davis), pris entre cette nouvelle esthétique très contemporaine du phrasé, de la mélodie et du blues. Quand il joue, il est authentique parce que sa connaissance harmonique complexe moderne transcende ces extraordinaire phrases bluesy. Les gens vont essayer d’intellectualiser mais quand l’animal est là, c’est tout simplement monstrueux. L’artiste est là et pas autre part. Là est la vrai difficulté.
Peut-être est la différence entre l’artisan et l’artiste. L’artisan va bien faire la chose, l’artiste va au-delà.
L’artiste, c’est celui qui est son art. Son art est une prolongation de lui et ça fait une sacré différence. C’est ce que l’on appelle le charisme, la personnalité. La formation d’un musicien ne s’arrête pas à une formation technique, c’est une formation humaine, psychologique et c’est celle-là qui m’intéresse. Les OS (ouvriers spécialisés) de la double croche ne m’émeuvent pas, ce qui m’intéresse, c’est de sortir la personnalité d’un apprenti musicien. Le style, l’esthétique et la forme viendront tout seul et par la suite.
Le conservatoire pourrait altérer dans sa rigueur et dans sa sacralisation l’expression individuelle de la vie. On met en avant l’œuvre et le répertoire et le musicien doit être au service de cette œuvre alors que c’est l’œuvre qui devrait être au service du musicien. Surtout une œuvre écrite.
Quels dispositifs sont mis en place pour permettre aux élèves de partir à l’étranger ?
Nous avons un partenariat avec les écoles de musique de Sao Paulo et Berkley. Nous sommes l’unique école française à faire partie de ce partenariat. Il partent souvent grâce à des bourses françaises qui sont plus facilement accordées quand l’élève appartient à notre école.
Estimez-vous qu’il existe assez d’opportunités pour nos élèves de partir à l’étranger ?
Aujourd’hui, avec les pôles supérieurs, les élèves pourront profiter des Erasmus qui vont permettre à plus d’élèves de partir.
Êtes-vous satisfait de la création musicale en France ?
Je n’y sens rien de très personnel. On a eu de la grande création avec Debussy, Ravel, la musique impressionniste, de la grande création avec la chanson française, de la grande création avec le jazz, Django Reinhardt et Grappelli. Toutes ces créations étaient très spécifiques à notre culture.
[Pause, Mike Stern est au téléphone]
Quel est votre sentiment par rapport à HADOPI ?
Je vais vous répondre en vous lisant un extrait du livre que j’espère sortir prochainement. C’est l’histoire d’un homme qui était trader dans une première vie et qui devient ensuite artiste photographe. L’extrait que je vous lis se situe au purgatoire et il répond à la question dans le chapitre Qu’est ce que l’art selon toi?
“[...]L’artiste comme le chercheur sont des visionnaires. Combien d’œuvres d’art furent en ce sens prémonitoires. Ceux qui travaillent dans cette démarche particulière de la pensée, de la recherche, devraient être éclaireurs de l’humanité. Ils pourraient peut-être nous indiquer un chemin moins long et moins chaotique, celui du bonheur. Malheureusement, le monde est bien trop souvent dirigé par des hommes dénués de vision humaniste, des mono maniaques du pouvoir terrestre.[...]
Le charisme de l’artiste est une des clés essentielles de sa communication. Un artiste qui en est empreint capte l’attention. Il est en quelque sorte un Merlin l’enchanteur. Son regard, son port, sa manière de se déplacer, sa voix vont définir ses notions de différence, d’extraordinaire de sensationnel que le public est venu chercher. L’artiste va y laisser sa chaire, son énergie pour se régénérer ensuite par la force du regard de l’autre et de ses applaudissements, de ses remerciements comme un effets de miroir. Alors seulement, il se sent exister et malheureusement souvent, sur exister.[...]
L’art est l’outil universel de cette communication car il nous interroge. Cela signifie-t-il que l’artiste doive adapter son œuvre pour la rendre plus accessible? Il me paraît plus juste de penser que c’est dans la volonté de donner, la charge d’amour à communiquer ou la sincérité du geste qui fondent la réussite de ce processus et cela se fait dans les deux sens. La responsabilité première en incombant bien sur à l’artiste. Celui-ci est porteur de l’objet à communiquer, il doit être lui-même soumis à la grandeur de sa mission sans toute fois devoir la sacraliser. Ce n’est pas son œuvre qu’il va offrir mais celle d’un ailleurs, qui se place entre son monde et celui du public. Réciproquement, le public, pourra, à travers le hiatus faire naître son propre ailleurs et s’y évader. Oui, c’est cela, s’évader[...]c’est le rêve qui permet aux fragments d’esprits de s’évader au-delà de notre cécité.[...]
Nous ne pouvons faire l’économie de l’art. Alors pourquoi, comme le proposait Nicolas Sarkozy dans l’esprit de la loi HADOPI, sur la protection des droits d’auteurs, vouloir lui adapter une économie spécifique?[...]
Si quelqu’un doit rémunérer l’artiste au cours du processus des services et échanges internet, ce sont les serveurs, car ces plateformes apportent aux internautes les moyens technologiques de pratiquer le libre échange, service qu’il font payer au prix fort tout en favorisant le piratage. Tant que ces serveurs n’auront pas trouvé les protocoles techniques permettant de protéger les œuvres du pillage, ils devraient s’acquitter des droits comme cela se fait depuis des décennies dans l’audiovisuel, tout comme ceux qui se cachent derrière les mots art et culture à des fins mercantiles devraient apporter leur contribution.
On pourrait alors imaginer que l’argent collecté soit équitablement réparti entre les artistes de cette industrie culturelle et ceux qui en sont systématiquement écartés. Ceci permettrait en toute solidarité à la création de s’épanouir et aux jeunes créateurs d’obtenir des subsides sous forme de commande mais aussi et surtout générer un support à l’éducation artistique pour tous. Car une bonne création nécessite un bon public.
Un système de calcul des rémunérations adapté pourrait ainsi être mis au point. Si l’art perdait ainsi de sa surévaluation financière, nous pourrions voir réapparaitre au service de la communauté des courants artistiques plus libérés s’exprimant dans une éthique conforme à ce que toute expression artistique authentique requiert mais cette solution serait un pis-aller car là où il y a de l’argent, il y a la plupart du temps absence de solidarité, d’humanité, d’intelligence. La problématique est complexe parce que la perception de l’art est subjective, immatérielle.”
La création n’existe pas pour moi. On découvre et on fait des assemblages.
Le financement de l’éducation et de la création devrait donc venir de ceux qui permettent la diffusion de la musique et ceux qui ne travaillent que pour l’industrie musicale. Par exemple, si je générais des droits, je serai taxé comme tous les autres. Un pourcentage serait prélevé aux artistes générant des droits. Moi, Beyoncé, ou Pierre Boulez.
Si nous souhaitons que l’art puisse rester dans son qualitatif un outil d’éveil des consciences, que ceux qui ne vont pas dans ce sens là, qui se servent de la musique comme un outil de manipulation des masses pour que ce soit rémunérateurs de droits, financent l’éducation des publics et artistes dont ils profitent. On sait très bien comment ça se passe dans le système de consommation.
On sait très bien qu’aujourd’hui, toutes les musiques qui sont des musiques de création, de recherche, d’expérimentation ne sont pas dans l’industrie, elles ne génèrent aucun droit puisqu’elles ne sont pas diffusées.
Le fait de former des publics au goût ferait que la musique “industrielle” devrait aussi monter son niveau puisque l’exigence du public s’élèverait elle aussi.
Une redistribution plus équitable pour l’éducation des publics, un maintien de la qualité de la musique et un support à la création. Une philosophie totalement anti-libérale.
Si l’on n’a pas l’éducation pour recevoir et l’écouter la musique sophistiquée et riche, eh bien on zappe.
A quoi va ressembler le monde de la musique selon vous dans 10 ans?
Tel que je le vois aujourd’hui, on retourne à des formes primitives. Être idéaliste c’est dire ce qui serait le meilleur pour tel ou telle chose. La question est donc: qu’est-ce qui ferait en sorte de favoriser l’art pour qu’il puisse grandir? L’art ne peut grandir que si les gens à qui il s’adresse grandissent.
Nicolas Sarkozy dit qu’il faut protéger la création mais encore faudrait-il se mettre d’accord sur ce qu’est la création. Après ces bonnes paroles, il protège l’industrie musicale. Mais pour dire la vérité, il ne peut pas faire les deux. On ne peut pas protéger l’industrie musicale et la création.
D’un point de vue général, disons majoritaire, dire que l’argent dévalorise l’art est pourtant un non-sens.
C’est un problème. L’argent “valorise” tout sauf les valeurs universelles. C’est à dire que pour de l’argent, on va sacrifier de la vie humaine. Pour de l’argent, on va sacrifier de l’intelligence. Avec l’argent on maintient l’homme dans l’ignorance pour mieux le manipuler.
Quand je reçois l’ancien patron d’une grande chaine de télévision au Haut Conseil et qu’il me dit: “oui, je manipule les cerveaux car je suis une entreprise, pas une entreprise philanthropique”, ça veut donc dire que la loi du marché passe avant tout. Et si elle passe avant tout, ça veut dire qu’une société ne peut pas fonctionner en adéquation avec des valeurs humanistes.
Internet permettrait-il de renverser ce système ou du moins le rendre un peu plus équilibré ?
Internet, c’est une vraie bouée de sauvetage. Puisque c’est quelque chose qui se passe d’internautes à internautes, il n’y a plus de filtre! Sauf qu’il se prépare actuellement une réelle guerre sur les protocoles de possession des filtres. Et là, les politiques émettront des lois restrictives telle HADOPI pour pouvoir contrôler le marché, faire passer leurs pubs et leurs humeurs. Il y aura guerre parce qu’il y aura une révolte. Les internautes sont, on le sait, bien plus rapides et efficaces que les équipes engagée par les gouvernements et la guerre risque d’être violente. Les protocoles techniques que les politiques tentent de mettre en place sont tout de suite déjoués par n’importe quel hacker. Tout est immédiatement piraté, c’est un jeu d’enfant pour les hacker.
Dès que les politiques touchent à cet espace de liberté, il y a tout de suite de gros remous. HADOPI représente un nerf de cette guerre qui est loin d’être terminée.
Je ne suis effectivement pas pour HADOPI pour toutes les raisons évoquées précédemment.
Mon devoir à moi, quand je suis au conseil est de tenter de sauvegarder la pratique artistique et plus encore d’encourager la formation du public. Le seul moyen est de toujours revenir sur la base de la réflexion: qu’est-ce que l’art? L’art ne doit en tout cas pas être un outil d’asservissement mais un véhicule d’élévation.
La plupart des gens veulent faire de la musique pour être riche et célèbre. Pourquoi pas, mais n’appelons pas ça nécessairement de l’art mais simplement un besoin de reconnaissance.
POSTED BY LARA BESWICK LE NOVEMBRE 24, 2010