Alexandro Gonzalez Inarritu commence par animer à 21 ans une émission de radio de trois heures consacrée au rock sur une des plus populaires stations de radio de Mexico, WFM, dont il devient bientôt le directeur.
Il entame ensuite des études de cinéma, puis devient en 1990 le directeur artistique du grand groupe audiovisuel Televisa. Chargé de l'habillage et de la promotion des chaînes, il fait ses premières armes de réalisateur en tournant des dizaines de publicités. Une de ses campagnes, pour WFM, sera récompensée en 1997.
En 1991, il crée la société Zeta Films, qui produit différents types de programmes audiovisuels. Toutes ces expériences ont permis à Inarritu, également compositeur de musiques de films, d'acquérir un certain savoir-faire, mais celui-ci souhaite pourtant compléter sa formation, et part aux Etats-Unis suivre des cours sur la direction d'acteurs.
En 1995, il écrit pour Televisa une série de moyens-métrages dont il réalise le premier épisode, un thriller avec Miguel Bosé.
Lorsqu'Inarritu souhaite se lancer dans l'écriture d'un scénario, sa rencontre avec Guillermo Arriaga, qui sera ensuite un de ses fidèles collaborateurs, se révèle décisive.
Après deux ans d'écriture, il tourne son premier long-métrage, le virtuose Amours chiennes, une peinture réaliste et décapante de Mexico qui suit les destins parallèles d'une dizaine de personnages réunis par un accident de voiture. Inarritu fait une entrée fracassante dans le paysage cinématographique avec ce film couvert de prix dans les festivals internationaux, et nommé à l'Oscar du Meilleur film étranger.
Il revient à la publicité en signant ensuite Powder keg, un court-métrage commandé par BMW dans le cadre d'une série à laquelle participe notamment Wong Kar-Wai, un de ses cinéastes favoris.
Très sollicité, le cinéaste mexicain réalise un nouveau court, cette fois dans le cadre du projet consacré aux attentats du World Trade Center, 11'09''01 september 11, aux côtés de Wim Wenders ou encore Ken Loach. Le deuxième long-métrage d'Inarritu, 21 grammes est un nouveau récit choral, mais il est cette fois produit par un studio américain et réunit une distribution internationale.
Pour ce film, Sean Penn reçoit en 2003 un prix d'interprétation à Venise.
Avec son troisième long métrage, Babel, récompensé du Prix de la mise en scène au festival de Cannes 2006, le réalisateur confirme son goût pour le récit éclaté et les castings de poids en réunissant, entre autres, Brad Pitt, Cate Blanchett et Gael Garcia Bernal.
Friand d'expériences diversifiées, on le retrouve à la fois parmi le générique de l'hommage Chacun son cinéma (2007), à la production de Rudo et Cursi et Mother & Child, ou encore à la réalisation d'une publicité pour une marque à virgule pour la Coupe du Monde 2010.
Il revient la même année aux manettes d'un long-métrage, et avec Biutiful il met en scène un Javier Bardem au sommet de son art (Prix d'Interprétation ex-aequo à Cannes) dans l'intense portrait d'un homme en chute libre.
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Bridget
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Sujet: Re: ALEJANDRO GONZALEZ INARRITU Dim 17 Oct - 16:24
Avec Sean Penn, Benicio Del Toro, Naomi Watts, Charlotte Gainsbourg, Melissa Leo, Danny Huston
Photo : Rodrigo Prieto
Musique : Gustavo Santaolalla Durée : 2h05 Sortie : 21 Janvier 2004
Un terrible accident de la circulation influe sur la vie de trois personnes: Paul qui attend une transplantation cardiaque, Cristina une ancienne junkie et Jack, un repris de justice qui a rencontré le Seigneur en prison.
LE LIVRE DES MORTS
Amours chiennes, le premier film d’Alejandro Gonzalez Inarritu, avait marqué la naissance d’un grand réalisateur mexicain en devenir, capable d’entremêler avec fougue et talent trois existences dissemblables à l’intérieur d’un même récit mystico-social.
Acclamé pour son premier essai, l’ancien DJ se retrouve au pied de son Everest artistique, l’épreuve toujours délicate du deuxième long métrage.
L’homme refuse la facilité, impose un tournage aux Etats-Unis, un casting quatre étoiles et une bonne poignée de dollars. Un sujet casse-pipe à la clé: les destins enchevêtrés d’un meurtrier en quête de rédemption, de la femme dont il a brisé la vie et de l’homme à qui il a, bien involontairement, offert un sursis.
Nul doute que certains critiqueront la hardiesse de ce cinéaste encore vert, qui semble déjà avoir atteint la maturité nécessaire pour symboliser les grands doutes de l’existence…
Mais le résultat est là. 21 Grammes se révèle un véritable choc, une étude au scalpel des tourments de la nature humaine, un crescendo émotionnel d’une puissance rare, sublimé par des personnages magnifiques, des êtres perdus, brisés par les aléas de la vie.
LES CHOSES DE LA VIE
L’instinct maternel, la compassion, l’impossible pardon, le travail de deuil, la vie, la mort, la foi: Alejandro Gonzalez Inarritu ose embrasser tous ces thèmes à la fois et les nouer dans un même tourbillon d’images, de sons et d’ivresse.
Caméra à l’épaule, le cinéaste saisit de courts fragments d’existence, en apparence éloignés les uns des autres.
Avec l’appui de son scénariste attitré Guillermo Arriaga et du monteur de Traffic, Stephen Mirrione, il rompt volontairement la linéarité de la narration afin d’éviter toute surcharge lacrymale et d’épouser, au mieux, la thématique voulue.
L’histoire progresse ainsi par à-coups, par instantanés captés à l’état brut.
Pudique, Inarritu ne montre jamais l’accident en lui-même, ne s’enfonce jamais dans le pathos.
En mettant l’accent sur les creux et les silences, il édulcore volontairement les passages obligés et douloureux de l’après et installe une ambiance presque neurasthénique, tel un songe éveillé, un cauchemar réaliste dans lequel sont piégés des gens finalement si normaux.
Le spectateur est invité à recoller les morceaux, à reconstituer le puzzle, à saisir ce qui se cache derrière les faits anodins du quotidien.
REPENTANCE
Alejandro Gonzalez Inarritu évite l’écueil d’une trop grande distance théorique.
A l’inverse du mécanique 71 Fragments d’une chronologie du hasard de Michael Hanecke, bâti sur une construction similaire, 21 Grammes ne manque ni de chair, ni de sang.
Jack (Benicio Del Toro), Paul (Sean Penn) et Cristina (Naomi Watts) semblent étonnamment proches de nous.
Ils n’ont rien des pantins habituels que propose le cinéma hollywoodien. Ils possèdent une histoire personnelle, une famille, un passé bien palpables.
Les trois acteurs principaux en deviennent méconnaissables. Ils se fondent dans le paysage de cette ville américaine non identifiée.
Difficile alors d’oublier les regards.
Celui de Jack Jordan, au fond de sa cellule, qui rejette celle qu’il a épousé, celui de Cristina Peck qui fond dans les bras de son amant, celui de Paul Rivers, enfin, qui accepte sereinement son avenir sur un lit d’hôpital.
Ils auraient pu ne jamais se connaître mais leurs trajectoires étaient vouées à se rencontrer.
Et quand, au bout du chemin, ils trouvent cette paix intérieure à laquelle ils aspiraient depuis toujours, 21 grammes se glisse dans la sérénité la plus totale.
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Bridget
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Sujet: Re: ALEJANDRO GONZALEZ INARRITU Dim 17 Oct - 16:47
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"Biutiful", un hymne à la vie
De Alejandro Gonzalez Iñarritu. Avec Javier Bardem sortie le 20 octobre.
Biutiful est l'histoire d'un homme qui apprend qu'il va mourir.
Mais qui n'a ni le temps ni les moyens de mourir, tant il a à faire pour assurer la survie de son petit garçon et de sa petite fille, qu'il élève seul dans une Barcelone crépusculaire.
Dans le rôle de cet homme des marges, qui communique avec les morts, et qui pour nourrir ses enfants se débat comme un loup dans des quartiers saignés par la crise et les marchands de sommeil, Javier Bardem.
La prestation de monsieur Penelope Cruz, éblouissante, lui a valu le prix d'interprétation masculine au dernier Festival de Cannes.
Le film aurait mérité la palme d'or : car après Amours chiennes, 21 Grammes et Babel, le Mexicain Alejandro Gonzalez Iñarritu signe avec Biutiful (l'explication de cette orthographe étrange est l'une des scènes les plus émouvantes du film) son oeuvre la plus intense, un pur hymne à l'amour et à la vie, qui vous secoue jusqu'aux larmes et vous laisse le coeur en miettes, mais l'âme reconnaissante d'avoir reçu toute cette beauté.
Javier Bardem, magistral
Dans ce film d'Iñarritu, il est un père qui doit dire adieu à la vie. Comment peut-il être si vivant ?
Vous êtes au cinéma, en sanglots. Vous voyez le film pour la seconde fois.
La première fois, c'était à Cannes. Il faut se méfier de Cannes.
Trois ou quatre films par jour qu'on n'est jamais sûr d'avoir bien vus tant est grand le sentiment d'irréalité.
Biutiful, c'était un matin, à 8 heures, et il vous avait laissé sonné par l'émotion, le coeur en miettes, mais reconnaissant.
Biutiful, c'est l'histoire d'un homme qui apprend qu'il va mourir. D'un cancer, comme tout le monde. Mais Uxbal n'est pas tout le monde.
C'est un combattant des marges, qui élève seul ses deux enfants dans une Barcelone crépusculaire, et qui parle aux morts. Un trafiquant qui aide les Sénégalais et les Chinois clandestins, et se paie sur la bête. Un loup des mégalopoles contemporaines dressé pour nourrir sa portée dans des quartiers saignés par la crise et les marchands de sommeil.
Du loup Uxbal a la démarche faussement courbée, l'oeil qui brille, le poil taché, la mâchoire aux aguets.
Il est joué par Javier Bardem.
Qui atteint le sublime dans ce rôle d'un homme qui ne peut pas se payer le luxe de mourir, mais qui doit l'accepter et mettre tout en ordre pour que ses enfants survivent après lui et se souviennent qu'ils ont eu un père.
Un requiem cinématographique
Plus magnifique encore la seconde fois, loin de la bouilloire cannoise où Bardem a décroché le prix d'interprétation masculine.
Quelque chose de Brando.
Si aveuglant de force, d'amour et de beauté qu'en sortant vous avez envie de dire aux passants, parodiant Henri Calet : "Ne me secouez pas, je suis plein de larmes."
On n'aime pas le mot, mais ce film est un chef-d'oeuvre. Un requiem cinématographique.
On voit Bardem, on lui demande : "On entre comment dans un tel rôle ? On en sort comment ? Ça peut vous dévaster, non ?"
Il se caresse le menton, qu'il a puissant, passe sa main sous son nez, cassé depuis un coup de poing reçu à la sortie d'un bar.
À côté de lui, le Mexicain Alejandro Gonzalez Iñarritu, le cinéaste adulé de 21 grammes et de Babel, a la chevelure noire et les yeux qui flamboient.
Bardem répond, voix rugueuse : "J'en suis sorti... tocado."
Faux ami : tocado ne veut pas dire "touché", mais "abîmé".
"Tout rôle implique un saut dans le vide, explique celui qui fut le tueur à frange de No Country for Old Men, qui lui valut son deuxième oscar.
Mais, avec Biutiful, les exigences émotionnelles requises impliquaient de sauter encore plus loin.
Dans ce film, c'est la mort qui fixe les règles, et si tu ne définis pas très vite une distance de sécurité, ça peut devenir vraiment dangereux."
Il s'arrête, sourit, reprend : "Après, tu te signes et tu sautes dans le précipice."
Une ombre passe sur son visage carré, nous rappelant cette scène du film où le père, dans la dèche, s'amuse avec ses enfants à préparer un festin imaginaire.
Un visage où, des battements des paupières aux mouvements des lèvres, se lisent tendresse et inquiétude.
"La leçon de 'Biutiful', reprend-il, c'est que tout ce que tu ne donnes pas est perdu."
Roi fauché d'une Barcelone souterraine
Iñarritu, qui offre à Bardem le plus beau rôle de sa carrière, a tardé à lui envoyer le scénario : sept ans.
Il fallait que tout soit écrit, qu'il n'y ait rien à expliquer. "Ça faisait des années qu'on essayait de travailler ensemble. Lui seul était Uxbal, cet hombre de la calle dont le physique puissant semble en contradiction avec son âme de poète. Je lui ai envoyé le script avec une boîte de chocolats... et de la vaseline."
À prendre au pied de la lettre : le film commence par un toucher rectal. Et montre le macho de Jamon Jamon, l'époux de Penélope Cruz, celui que les Américains ont baptisé "The Spanish Hunk" (le canon espagnol)... en couches.
"Eros puro !" s'amuse le réalisateur.
À ceux qui lui reprochent de trop charger la barque il répond : "Est-ce qu'on reproche à une tragédie de trop charger la barque ?"
Car "Biutiful" en est bien une.
La première, peut-être, des temps mondialisés. Dont Bardem est le somptueux héros, roi fauché d'une Barcelone souterraine, avec pour seule couronne, sa compassion christique.
En salles le 20 octobre.
Christophe Ono-Dit-Biot
Le Point 17 Octobre 2010.
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Bridget
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Sujet: Re: ALEJANDRO GONZALEZ INARRITU Mar 19 Oct - 1:01
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La mort et l'espérance selon Alejandro Gonzales Inarritu
Avec Biutiful, le réalisateur mexicain signe un drame sombre, magnifiquement joué par Javier Bardem qui a remporté le prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes.
Quatre ans après son prix de la mise en scène pour Babel, avec Brad Pitt et Cate Blanchett, le cinéaste mexicain Alejandro Gonzales Inarritu revient avec Biutiful, film sombre et intense porté par un déchirant Javier Bardem.
L'histoire d'un homme condamné par le cancer et qui trouve le chemin de l'amour et de la rédemption, dans une Barcelone crasseuse et insalubre.
LE FIGARO. - Comment pourriez-vous résumer ce mélodrame contemporain, social, réaliste, dur, et pourtant traversé par des éclairs fantastiques ?
Alejandro GONZALES INARRITU. - Pour moi, Biutiful est une sorte de voyage spirituel effectué par un homme qui se découvre aux frontières de la mort.
Vous utilisez les codes religieux et catholiques pour faire passer votre message…
Exact. Dans le film, je montre une toile religieuse, assez primitive, sans véritable qualité picturale, qui exalte un épisode biblique. Je montre un Christ sur un bateau. Derrière lui, l'orage éclate. Je me sers de ces icônes religieuses pour transmettre le message de la désespérance et de la rédemption.
C'est la première fois que vous travaillez sans votre scénariste fétiche, Guillermo Arriaga. Pourquoi ?
Avec Guillermo, nous avions fait le tour de notre collaboration. Nous étions arrivés au bout de notre processus créatif commun. De mon côté, après des films comme Amours chiennes, 21 grammes ou Babel, je voulais passer à autre chose, abandonner la structure narrative éclatée du film choral.
Bref, j'avais besoin de changer de registre, de revenir à une intrigue plus simple, plus linéaire avec une histoire conduite par un personnage principal, Uxbal.
Justement, pourquoi avoir appelé votre héros Uxbal ?
C'est le nom d'un type que j'ai rencontré il y a trois ans environ. Dès qu'il a prononcé son nom, je l'ai aimé. J'ai tout de suite trouvé que cela sonnait bien. C'est un patronyme étrange et mystérieux. Presque féroce. Un prénom trapu, musclé, sauvage.
Pourquoi avoir choisi Javier Bardem pour un tel rôle ?
Nous nous sommes rencontrés il y a longtemps. Quand j'ai accouché du personnage d'Uxbal, j'ai immédiatement su que je l'avais inconsciemment écrit pour Javier. C'est à la fois un acteur très physique et très délicat, doté d'une forme de fragilité, de sagesse qui convenaient parfaitement au rôle. Il nous a fallu trouver un équilibre subtil, entre sensibilité alliée à une forme de brutalité. Sinon, comme avec la TNT, si on force un peu sur un élément plutôt que sur un autre, tout peut exploser et détruire le film.
D'où vous est venue l'image métaphorique des papillons noirs au plafond de la chambre d'Uxbal ?
Quand j'étais gamin à Mexico, je vivais dans un appartement situé à deux pas d'un grand cimetière. Et la nuit, ces horribles monstres ailés venaient dans ma chambre. C'était terrible. Cela me paniquait. Ces papillons noirs arboraient des cercles blancs sur les ailes, comme des yeux ! Au Mexique, on les appelle les «papillons de la mort». Ils pullulaient alentours… Comme les âmes des morts à qui l'on refuse le repos éternel. Ce sont ces souvenirs d'enfance qui me sont revenus à la mémoire quand j'ai voulu montrer aux spectateurs le moment où Uxbal comprend que pour lui, inexorablement, les choses vont aller de plus en plus mal.
Et qu'il doit voir venir la mort comme une délivrance salutaire.
Olivier Delcroix / LE FIgaro / 18 Octobre 2010
Dernière édition par Bridget le Ven 12 Nov - 19:44, édité 1 fois
Bridget
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Sujet: Re: ALEJANDRO GONZALEZ INARRITU Ven 12 Nov - 19:43
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La leçon de cinéma d'Alejandro Gonzalez Iñárritu
Alejandro Gonzalez Inárritu et Javier Bardem sur le tournage de Biutiful
À l'occasion de la sortie de Biutiful, Alejandro Gonzalez Iñárritu a accepté d'explorer son cinéma pour nous. Entre interrogations sur un monde en mouvement et acceptation de ses propres obsessions, voilà les secrets de fabrication d'un cinéaste à la recherche d'une humanité qui se perd.
"Si l'immigration est une constante de mes films, c'est sans doute parce que je suis moi-même un immigré aux États-Unis. J'ai quitté mon pays il y a neuf ans [le Mexique, NDLR].
J'ai beaucoup voyagé à travers le monde et je me sens un peu sans domicile, même si j'ai conscience d'être un immigré privilégié. J'ai choisi d'ancrer l'histoire de Biutiful à Barcelone parce que j'y ai trouvé toutes ces communautés d'immigrés qui sont arrivées ces quinze dernières années et ont modifié le visage de la société.
Rester ancré dans le réel
Cela m'attriste de constater que les gens ne veulent pas se sentir vulnérables. Même dans une salle de cinéma. Ils veulent qu'on leur donne toutes les réponses.
Pour moi, c'est juste effrayant. Je ne vois pas dans quels livres ou dans quels films mes enfants pourraient se reconnaître.
Tout est devenu tellement manichéen, superficiel. Des films bourrés d'explosions, de tueries, sans aucune histoire, je trouve ça déprimant. Il n'y a aucune humanité là-dedans ! Je n'ai jamais aimé Star Wars, ou ce genre de films.
Sérieusement, qu'est-ce que c'est que cette merde ? Et les comics qui sont quasiment devenus la littérature de choix des enfants... En sommes-nous vraiment arrivés au point où c'est là-dessus que l'on construit des films ?
Il y a de quoi s'inquiéter. Nous sommes tous responsables de cela, toute l'industrie du cinéma. Idem pour tous les nouveaux outils de communication. Je vois mes enfants utiliser Facebook, Twitter, etc., et je les sens moins proches de leurs amis que je pouvais l'être à leur âge. Tout ça a totalement modifié notre approche de l'autre.
S'inspirer de ses obsessions
Tous mes films ont à voir avec la paternité, et la peur de perdre mon père. Aujourd'hui, je me demande ce que je laisserai à mes enfants.
Et puis il y a ce miroir dans lequel vous vous voyez devenir votre père, avec tout ce qui vous déplaît chez lui, et vous voyez vos enfants devenir vous-même. C'est très troublant. Mais je n'ai pas tant peur de la mort que de ne pas avoir compris la vie avant qu'elle ne s'achève. En vieillissant, vous réalisez que quelque chose vous a échappé. Je pense que nous passons à côté du sens de la vie.
Savoir que sa fin est proche, comme c'est le cas d'Uxbal [le personnage de Javier Bardem, NDLR], apporte une forme de sagesse. J'espère que nous deviendrons sages avant d'être vieux, comme le disait Shakespeare.
Une écriture organique
Biutiful est le premier film que j'écris sans Guillermo Arriaga [le scénariste d'Amours chiennes, 21 grammes et Babel, NDLR]. Toute collaboration a une fin. Même si ça a été une période très agréable, je considère aujourd'hui que c'est de l'histoire ancienne. J'ai évolué.
L'écriture de Biutiful a été une expérience très étrange. Le personnage m'est apparu un beau jour et je me suis mis à écrire de façon presque compulsive, comme sous la dictée. Ce personnage voulait exister et je devais l'écouter.
Après ça, j'ai découvert de nombreuses choses, notamment sur l'univers des travailleurs clandestins chinois. Ce n'était pas du tout intellectualisé ou pensé avec différents niveaux de lecture. Le scénario s'est construit de façon beaucoup plus organique. D'habitude, ce sont les histoires qui guident le film. Cette fois, c'est le personnage qui en est le fil conducteur.
Guider ses personnages vers la lumière
Dans tous mes films, j'essaie d'accompagner mes personnages vers la lumière. Vous avez le droit d'en douter, mais c'est en tout cas mon intention. Je ne les emmène pas dans une pièce sombre en refermant la porte derrière moi.
Dans Biutiful, Uxbal commence son voyage comme un homme têtu, primitif, qui aime avoir le contrôle. Il fait son business, perd son sang-froid. Au fur et à mesure, il baisse sa garde, finit par pardonner à sa femme et se pardonner lui-même, pour enfin atteindre un autre niveau de réalité.
Pour moi, à la fin, il a trouvé la paix. Je tiens à faire le voyage en même temps que mes personnages. J'attends la même chose de mes acteurs. C'est comme ça que j'appréhende la vie, avec cette impression de traverser des territoires obscurs, des expériences intenses.
Au final, je réalise que toutes les épreuves que j'ai traversées étaient là pour une raison. Tout cela fait partie d'un apprentissage.
Mêler acteurs et non-professionnels
J'ai toujours pensé à Javier Bardem pour incarner Uxbal. Son visage s'est imposé à moi. Javier est espagnol et je tenais à ce que le film soit en espagnol.
Pour moi, la vie intérieure de Javier était parfaite pour habiter ce personnage. Il a aussi cette sorte de pouvoir surnaturel qui fait à la fois sa force et sa fragilité.
J'aime l'alchimie qui se dégage de la combinaison d'acteurs professionnels et non-professionnels. Je le fais depuis Babel, et je le referai aussi souvent que possible.
Les acteurs non professionnels portent en eux une innocence dont les comédiens confirmés sont incapables. Pour le rôle de Maramba [la jeune immigrée africaine qui vient en aide à Uxbal, NDLR], j'ai découvert Hanaa Bouchaib dans un quartier très modeste de Madrid, où elle vivait avec d'autres Africains. C'est une immigrée qui a quitté le Sénégal en laissant son enfant de 2 ans et son mari derrière elle. Lorsque je l'ai finalement auditionnée, j'ai été surpris de découvrir que son histoire personnelle était aussi proche de celle de Maramba. Je n'aurais pas pu trouver quelqu'un qui comprenne mieux le personnage qu'elle.
L'influence de la musique
Tous mes films sont définis par les musiques que j'écoutais à l'époque où je travaillais dessus. C'est même comme ça que je parviens à les identifier.
Pour Biutiful, il y a le concerto en sol pour piano de Ravel, qui lui apporte sa tonalité émotionnelle, et Radiohead, avec en particulier le morceau "Weird Fishes", extrait de leur premier album, In Rainbows, qui intervient à un tournant majeur du film.
Et puis il y a Bitches Brew, de Miles Davis, que j'ai écouté pendant deux ans, tout au long de l'écriture du scénario.
Éclairer le spectateur
Biutiful parle de pardon, de tendresse, de comment devenir meilleur dans des conditions difficiles, comment être un parent, comment tout donner à l'autre... Nous avons besoin d'envisager l'existence sous un angle nouveau et je pense que c'est le voyage qu'entreprend Uxbal.
Quand on me dit que tout ça est un peu extrême, je réponds qu'au contraire, il n'y a rien de plus commun.
Savoir lâcher prise ?
Je ne me suis jamais senti en paix avec aucun de mes films. Un film n'est jamais vraiment achevé. La plupart du temps, vous finissez simplement par l'abandonner, ou alors on vous pousse à le finir faute d'argent pour pouvoir continuer à le peaufiner.
Biutiful est sans aucun doute le long métrage dont je suis le plus satisfait. C'est celui pour lequel j'ai été le plus loin dans ma recherche de détails. J'ai passé dix mois à le monter, afin de trouver les silences et laisser une place adéquate aux choses les plus délicates.
Aujourd'hui, si on me donnait plus de moyens et de temps pour que je puisse l'améliorer, je n'y toucherais absolument pas."
Par Sophie Benamon et Christophe Chadefaud (Studio Ciné Live) Studio Ciné live
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Bridget
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Sujet: Re: ALEJANDRO GONZALEZ INARRITU Jeu 1 Sep - 12:44
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Dimanche 4 Septembre 2011 Arte - 20h45
21 GRAMMES
Drame psychologique de Alejandro González Iñárritu
Avec : Sean Penn (Paul Rivers), Benicio Del Toro (Jack Jordan), Naomi Watts (Cristina Peck), Charlotte Gainsbourg (Mary Rivers), Melissa Leo (Marianne Jordan), Danny Huston (Michael Peck), Clea DuVall (Claudia), Carly Nahon (Cathy)
Aux Etats-Unis, trois personnes qui mènent des existences tourmentées voient leurs destinées soudain réunies par un terrible accident de voiture.
Mary et Paul Rivers vivent ensemble depuis longtemps. Entre eux, la lassitude commence à faire son travail et le couple se sépare doucement. Paul attend une transplantation cardiaque et doit se reposer le plus possible. Mais il ne respecte aucune consigne médicale et continue à fumer en cachette, au grand désespoir de sa femme.
Cristina Peck, une ancienne toxicomane, vit désormais avec son mari Michael et leurs deux petites filles.
Jack Jordan, tout juste sorti de prison, n'a pas encore récupéré de son séjour carcéral. Pour tenter de résoudre ses problèmes, il consacre le plus clair de son temps à Dieu. Un accident de voiture va réunir les destins de ces personnages tourmentés...
Audacieux, brillant, virtuose, le mélodrame d'Alejandro Inarritu, une des (rares) révélations majeures du cinéma mondial ces dernières années. Ne le laissez pas passer. - Pascal Mérigeau
«Je suis obsédé par la mort, confesse le cinéaste mexicain Alejandro González Iñárritu. Dans mon pays, vie et mort vont ensemble, c'est le même processus. L'idée de l'éternité me rend fou... »
Après « Amours chiennes », dont le succès a été international, il signe avec « 21 Grammes », en 2003, son deuxième film, mais le premier aux Etats-Unis. Il y explore, avec son scénariste attitré, Guillermo Arriaga, ses thèmes favoris : l'amour, la mort, la culpabilité, et par-dessus tout le pardon et la rédemption, autrement dit des sujets qui, si on leur ajoute la revanche, présente ici aussi, concernent à peu près 100 % de la production du septième art depuis sa naissance.
Mais, dans « 21 Grammes », c'est la forme que prend le récit qui fait la différence. Détricotant le temps et la chronologie, se baladant latéralement dans l'histoire au plus près de la réalité émotionnelle vécue par chacun, le réalisateur et son scénariste (indissociable de l'extrême réussite de l'oeuvre) incarnent en trois personnages une sorte de parabole sur les lois imprévisibles du destin.
Trois personnages et trois acteurs magnifiques : Sean Penn, Benicio Del Toro et Naomi Watts.
Chiennes de vie en pagaille au programme de ce film mexicain en partie produit par Hollywood. Une sorte de fricassée de destins violents et tragiques dans une ville américaine triste à mourir.
Comme jadis Kieslowski, autre grand emmêleur de lignes de vie, Iñárritu bat toutes les cartes à la fois et brise la chronologie, présentant les événements dans un ordre apparemment aléatoire. Remise à plat, l'histoire obéit pourtant à la causalité la plus classique.
Exercice de style, oui, mais relevé par la puissance des comédiens, qui en sont la vraie pièce maîtresse. Iñárritu redonne son lustre à cette science du casting et de la direction d'acteurs que le star-système actuel tend à remiser, en octroyant toujours les mêmes rôles aux mêmes money makers.
Sean Penn, fragile et usé, ou carrément hagard dans une cabine de dépôt de sperme ; Naomi Watts explorant une zone incertaine entre le chagrin et la folie ; Benicio Del Toro en viande soûle et douloureuse, attendant le coup de grâce : ils sont tous dans le paroxysme, la douleur de vivre ou de mourir, les affres insupportables de la maladie, du deuil ou de la culpabilité. Ils en font vingt et une tonnes, et pourtant ce n'est jamais trop.
Louis Guichard
LA CRITIQUE LORS DE LA SORTIE EN SALLE DU 21/01/2004
Jeune loup mexicain dont les Amours chiennes furent l'une des sensations de l'année 2000, Alejandro González Iñárritu persiste et signe : chiennes de vie en pagaille au programme de ce nouveau film, en partie produit par Hollywood.
Une sorte de fricassée de destins violents et tragiques dans une ville américaine triste à mourir. Comme dans l'opus précédent, un accident effroyable fait le lien entre les personnages. Mais si Amours chiennes était divisé en trois parties successives, ce film-ci bat toutes les cartes à la fois et brise la chronologie, présentant les événements dans un ordre apparemment aléatoire.
Paul (Sean Penn) attend une transplantation cardiaque. Cristina (Naomi Watts, la blonde révélation de Mulholland Drive) veille avec amour sur ses deux fillettes. Jack (Benicio Del Toro) sort de prison et découvre la foi.
Voilà un synopsis possible, mais aussitôt chamboulé, voire contredit par d'autres éléments issus du passé ou du futur des protagonistes.
21 Grammes n'est pas pour autant un film abstrait, crypté. Remise à plat, l'histoire obéit à la causalité la plus classique. Elle est même assez simple pour qu'on la reconstitue bien avant d'en posséder tous les morceaux.
Exercice de style, oui, mais immédiatement relevé par la puissance des comédiens, qui en sont la vraie pièce maîtresse. Iñárritu redonne son lustre à cette science du casting et de la direction d'acteurs que le star-system actuel tend à remiser, en octroyant toujours les mêmes rôles aux mêmes money-makers, indépendamment de leur potentiel artistique.
Dans 21 Grammes, trois pros remarquablement choisis accomplissent des prouesses à donner la chair de poule. Ils sont tous dans le paroxysme, la douleur de vivre ou de mourir, les affres insupportables de la maladie, du deuil ou de la culpabilité. Ils en font vingt et une tonnes, mais, miracle, ce n'est jamais trop.
Vive le film d'acteurs derrière le film d'auteur, donc.
Sean Penn est considérable, fragile et usé, tour à tour agonisant, renaissant, amoureux, pissant le sang ou hagard dans la cabine de dépôt de sperme d'un centre d'insémination artificielle.
Naomi Watts explore la zone limitrophe entre le chagrin et la folie avec tant d'abnégation qu'on voudrait lui porter secours.
Et Benicio Del Toro (Trafic, de Soderbergh) est énorme en viande saoule et douloureuse, gueule de bagnard déjeté, bête traquée attendant le coup de grâce.
Sans oublier l'outsider Charlotte Gainsbourg, obsessionnelle mal-aimée au chevet du transplanté. Reste à savoir à quoi rime au juste ce grand chaos d'émotions, si magistralement exécuté.
« Nous perdons tous 21 grammes au moment précis de notre mort. Est-ce le poids de notre âme ? Est-ce le poids de la vie ? » demande une mystérieuse voix off.
Comme jadis Kieslowski, autre grand emmêleur de lignes de vie, Iñárritu se veut métaphysicien. Le concassage chronologique qu'il pratique n'est pas seulement destiné à dynamiser le récit, via une débauche d'effets de montage. Il suggère aussi que l'après est toujours écrit dans l'avant, l'avenir en germe dans le présent.
En particulier : toute embellie de l'existence serait déjà virtuellement anéantie par une future catastrophe qui ne manquera pas de se produire. Ce sombre déterminisme est certes l'affaire du cinéaste, mais il s'illustre ici avec trop d'insistance pour ne pas apparenter les personnages à des marionnettes, sans prise sur leur destin.
C'est d'autant plus voyant que la répétition est la principale figure du scénario : qui a déjà été en prison y retournera, qui a été junkie le redeviendra, qui a senti son coeur lâcher flanchera de nouveau...
Iñárritu, qui est décidément très habile, ne se laisse pas tout à fait circonvenir par cette fatalité de système. Plus discrètement, il oxygène son film avec l'idée que tout circule, se transmet et se transforme, le coeur de l'un, la semence de l'autre.
C'est donc sur une fugace note d'espoir qu'il nous débarque de sa grande roue du malheur. Et nous laisse un peu sonnés, à moitié convaincus. A quand le tour suivant ?