Nombre de messages : 2631 Age : 73 Localisation : Paris Date d'inscription : 13/05/2008
Sujet: CATE BLANCHETT Jeu 13 Mai - 16:33
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Dans la peau de Cate Blanchett
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Photo Karl Lagerfeld
Elle s'était promis de ne plus revivre ce moment humiliant, enduré durant l'adolescence, lorsque, de son propre aveu, elle pensait savoir exactement quelle direction emprunter dans la vie.
Après des années passées à travailler son piano, toute la journée, la nuit parfois, elle s'était vu opposer une fin de non-recevoir de la part de son professeur et mentor, qui lui signifia que seule la perfection est acceptable pour une future musicienne. "Vous valez mieux que cela, mademoiselle. La perfection fait peut-être partie de votre panoplie, mais pas sur le clavier d'un piano. Alors, laissez tomber !"
A 40 ans, à ce moment précis de sa carrière où elle est parvenue à trouver un équilibre stable entre son statut de star de cinéma, son métier de codirectrice de la Sydney Theatre Company (responsabilité partagée avec son mari, le dramaturge et metteur en scène Andrew Upton), et sa vie de mère de famille, avec ses trois garçons, Dashiell (pour Hammett, l'auteur du Faucon maltais), Roman (en hommage à Polanski) et Ignatius, Cate Blanchett en est toujours au même point.
A l'affût de la moindre erreur de parcours. Se demandant, encore et toujours, où et quand elle aurait pu commettre un faux pas, afin de ne plus jamais devoir entendre de nouveau cet insupportable : "Mademoiselle, laissez tomber !".
Cate Blanchett ne revoit jamais ses films. Par crainte justement d'arriver à ce constat humiliant où on lui signifierait de prendre la porte de sortie. Si c'était possible, elle éviterait même de les regarder, ne serait-ce qu'une fois.
L'angoisse de découvrir un travail approximatif ou, pire, des moments où son travail aurait dû se révéler tellement meilleur, la terrifie. La scène, au moins, n'offre pas cet inconvénient à ses yeux. Une représentation demeure le travail d'un instant, accompli devant un public restreint, dans un effort susceptible d'être amélioré le lendemain.
Les paroles résonnent aujourd'hui encore dans la tête de Cate Blanchett. Elle les rapporte avec mélancolie, en colère contre elle-même, confessant un acte inavouable – tricher avec soi et avec les autres – pour mieux afficher sa détermination, se jurant de ne plus jamais aborder la moindre tâche sans un investissement absolu.
Cate Blanchett gravira les marches du Festival de Cannes lors de l'ouverture de la manifestation, le 12 mai, avec la présentation du Robin des bois de Ridley Scott, dans lequel elle incarne Lady Marianne.
Elle ressentira la même boule au ventre qui précède les premières de ses films. "La montée des marches à Cannes ressemble à l'ouverture de la mer Rouge. C'est assez magique. Pour le reste, je serai livrée à moi-même, à me demander, en découvrant mon travail, s'il ne faudrait pas laisser tomber."
L'importance relative de son rôle – Robin des bois appartient davantage à l'interprète du rôle-titre, Russell Crowe – serait de nature à la rassurer. "Tant que je continuerai d'endosser ces seconds rôles, que ce soit dans la trilogie du Seigneur des anneaux ou dans Coffee and Cigarettes, de Jim Jarmusch, je pourrai continuer d'expérimenter. Si l'expérience échoue, la faute ne retombera pas sur mes seules épaules."
Dans "Robin des Bois", de Ridley Scott, Cate Blanchett est Lady Marianne, fiancée au "prince des voleurs"
Il y a des moments, dans sa carrière d'actrice, où Cate Blanchett s'est dit que, à défaut d'avoir été bonne – appréciation laissée au regard des autres –, elle n'avait au moins pas triché avec elle-même.
Elle le dit sans arrogance, avec le souci de comprendre ce qui s'est passé à l'écran, pour retrouver, une fois encore, cette sensation de parvenir quelque part à force de travail et d'intelligence. Il y aurait ce moment précis de The Good German, de Steven Soderbergh. Lena, une Allemande compromise avec les nazis dans le Berlin occupé de l'après-guerre, tente d'obtenir des papiers auprès d'un avocat américain.
Cate Blanchett s'était fixé pour objectif de rester impassible, se contentant de croiser les jambes, s'imposant une règle où elle ne divulguerait presque rien, ni à son interlocuteur à l'écran, ni à son réalisateur. La scène fut tournée sans répétition, et sans nécessiter de nouvelle prise.
Cate Blanchett et George Clooney dans le film américain de Steven Soderbergh, "The Good German"
Cate Blanchett retient encore son apparition en clone de Bob Dylan dans I'm Not There, de Todd Haynes : cheveux hirsutes, lunettes fumées et rouflaquettes collant à la période électrique du musicien.
"Je voulais devenir Dylan. Je n'ai jamais éprouvé un tel sentiment, et j'étais prête à tout pour y parvenir. Au fond, je sais bien que Dylan se moque de pareille incarnation, il est ailleurs. Mais moi, à l'écran, j'étais bien là, et mon Dylan existait."
Le seul événement que Cate Blanchett est disposée à évoquer est la mort de son père.
Moment-clé de son existence, dont elle se refuse à voir l'influence sur son travail. Robert Blanchett est arrivé inopinément en Australie dans les années 1960. Le navire de ce Texan de souche en service dans la marine avait dû marquer un arrêt prolongé à Melbourne pour qu'une coque défectueuse soit réparée. Il a rencontré une femme et s'est marié avec elle dans ce qui est devenu sa ville d'adoption.
Lorsqu'il est mort, Cate Blanchett avait 10 ans. Elle jouait tranquillement du piano ce jour-là et s'était contentée d'adresser un geste de la main à un père parti au travail. Ce dernier est tombé en chemin, victime d'une crise cardiaque.
Depuis, l'actrice ne quitte plus jamais un lieu de tournage ou de répétition sans saluer consciencieusement chaque personne autour d'elle.
Au-delà de cette superstition, elle a bien tenté de faire un lien entre ce deuil fondateur et son travail de comédienne, au moins dans une pièce, l'Electre de Sophocle, qui marque le moment précis de sa reconnaissance artistique dans les années 1980.
Electre de Sophocle the National Institute of Dramatic Arts in Melbourne, 1992.
"Je savais parfaitement quels fils tirer pour m'identifier à un personnage dont le père, Agamemnon, roi de Mycènes, a été assassiné par son épouse et l'amant de celle-ci. Ma performance tenait la route, mais faire coïncider ma biographie avec mes rôles ne correspondait pas à la voie que je voulais emprunter."
L'actrice de Babel ne vit, professionnellement s'entend, que pour les cinq secondes précédant son arrivée sur scène ou devant les caméras, cet instant évanescent où elle pénètre une zone inconnue qui n'est plus la vraie vie.
Autrefois, tout juste débutante, il s'agissait pour elle d'une sensation bizarre, difficile à décrire. C'est aujourd'hui une drogue, un état mystérieux et galvanisant dont il faut, coûte que coûte, goûter une fois encore.
Elle a pour la première fois pris conscience de son talent à l'adolescence. Cate Blanchett tenait un petit rôle dans une mise en scène à Melbourne. Sa sœur aînée était venue lui rendre visite. Or, dans la fratrie Blanchett, celle-ci se révélait toujours la plus sévère. "Elle m'a lancé : "C'est la première fois que je ne te vois pas." Je voyais tout à fait ce qu'elle voulait dire. J'étais invisible. Et j'ai tout fait depuis pour le rester."
Dernière édition par Bridget le Dim 25 Mar - 13:17, édité 5 fois
Bridget
Nombre de messages : 2631 Age : 73 Localisation : Paris Date d'inscription : 13/05/2008
Quand elle se met au travail, Cate Blanchett instaure un ordre absolu sur son bureau. Les livres, articles, manuscrits, cassettes nécessaires à la préparation d'un rôle sont disposés en pile, en fonction d'un ordre géométrique, comparable à un Mondrian, l'un de ses artistes préférés. Peu à peu, la documentation se propage sur le sol, jusqu'à envahir une partie de sa maison, au point de devenir un champ de bataille piétiné allègrement.
Cette ligne de fracture entre ordre et chaos reste la seule frontière séparant l'actrice de son époux et partenaire professionnel, Andrew Upton.
Si professionnellement les rôles sont parfaitement établis, dans une harmonie qui ne cesse de fasciner l'actrice ("Andrew trouve les lignes directrices, je me charge de les étoffer"), le rapport à l'espace les sépare. Andrew Upton recherche pour son intérieur des valeurs zen, donc une forme de vide, que sa compagne finit par combler.
Ce chaos possède ses vertus. C'est en observant des centaines de papiers étalés sur son parquet que l'actrice a trouvé le détail décisif pour incarner Elizabeth Ire d'Angleterre dans Elizabeth, de Shekhar Kapur. Au détour d'une page d'un livre ancien, The Sins of Elizabeth I, offert par le réalisateur, Cate Blanchett avait découvert une clé.
"Elizabeth ne s'est jamais fait appeler "reine", mais toujours "roi", synonyme de pouvoir absolu. Il y avait chez elle ce conflit interne entre ce pouvoir de droit divin, et le fait qu'elle soit une femme, sujette donc à n'exercer aucun pouvoir."
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Dans le film anglo-français de Shekhar Kapur, "Elizabeth, l'âge d'or" ("Elizabeth: The Golden Age").
Cette place particulière donnée aux femmes ne cesse de la surprendre chez Shakespeare, mis en scène très régulièrement à la Sydney Theatre Company.
Rien que l'année passée, Richard II, Richard III et Henry V ont été montés là-bas. Cate Blanchett penche pourtant davantage du côté des pièces théoriques du dramaturge : "Le rôle d'Hamlet est, de ce point de vue, tellement plus intéressant que celui d'Ophélie. C'est le grand rôle pour un comédien. Mais je ne jouerai jamais Hamlet, c'est ainsi.
Le rôle de Lady Anne, dans Richard III, proie désignée du roi bossu qui la délaisse une fois conquise, reste lui aussi plus passionnant que celui d'Ophélie. Je crois n'avoir pas été trop mauvaise. Non, cette fois-ci, je ne suis pas malade quand je repense à mon interprétation."
6 performances
Elizabeth, de Shekhar Kapur (1998). Le rôle qui l'a révélée au cinéma. On a rarement vu, depuis Bette Davis, Katharine Hepburn et Isabelle Adjani, une comédienne s'imposer avec autant de naturel dans un film en costumes.
"Elizabeth, l'âge d'or" ("Elizabeth: The Golden Age")
Heaven, de Tom Tykwer (2002). Elle choisit de tourner Heaven à cause du scénario, signé Krzysztof Kieslowski. Un film médiocre, mais l'une de ses performances les plus étonnantes.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Aviator - Cate Blanchett, Jude Law
Aviator, de Martin Scorsese (2004). Son incarnation de Katharine Hepburn lui vaut un Oscar. Elle évite les pièges de la caricature et fait de son modèle un personnage plus masculin et plus discret.
L’ACTRICE AUSTRALIENNE, REPUTEE LA MEILLEURE COMÉDIENNE DU MONDE AVEC MERYL STREEP, S’APPRÊTE À JOUER À PARIS UNE PIÈCE DE BOTHO STRAUSS, AU THÉÂTRE DE LA VILLE.
Actrice exceptionnelle, star atypique, beauté singulière, Cate Blanchett fait le grand écart entre des superproductions hollywoodiennes (Galadnel dans la série à tiroirs du Seigneur des anneaux) et les projets arty.
Royalement indifférente au star-système elle a déserté Hollywood — qui la vénère — pour rallier sa patrie, I’Australie, où elle dirige la Sydney Theatre Company avec son mari, Andrew Lipton, scénariste et auteur épousé il y a quinze ans. C’est avec sa troupe qu’elle fait escale à Paris, au Théâtre de la Ville, pour Big and Small. Un rôle à performance…
– au Théâtre de la Ville, à Paris. Une autre folie ?
« Je suis surexcitée à cette idée, une troupe australienne qui loue une pièce allemande en langue anglaise devant un public français. Cette pièce de Botho Strauss n’a presque pas été jouée depuis les années 80. J’incame Lotte, une femme ouverte et optimiste, alors qu’elle est abandonnée de tous, que le monde entier la rejette. ll y est question de quête de l’autre, de bonté, d’aliénation, d’enfermement, de folie aussi. C’est un rôle de rêve pour moi qui cherche invariablement chez mes personnages la fêlure et I’accident…» Figaro Madame, 9 mars 2012
Cate Blanchett: une stupéfiante performance, soutenue par une excellente troupe de comédiens. The Australian
Quand il est interprété par une actrice comme Cate Blanchett, d’une telle finesse émotionnelle, le rôle de Lotte nous touche au plus profond de nous. Un incontestable travail d’orfèvre. Un théâtre d’une qualité et d’une puissance rares. Time out Sydney Online
D’exquis instants comiques avec Blanchett, une brillante vision du metteur en scène Benedict Andrews, la force des comédiens: un régal ! The Daily Telegraph
Une adaptation très dynamique, parfois très drôle (…) de l’auteur anglais Martin Crimp. Sunday Telegraph
Un rôle exigeant – dans lequel elle s’engage corps et âme – où Cate Blanchett étonne par une ardeur hors du commun. Blog ABC Art
Sydney Theatre Company théâtre Botho Strauss Auteur Benedict Andrews Metteur en scène
UNE FEMME
Une femme cherche sa place dans la ville, dans la vie. Au fil du temps, les villes ont changé, et les manières de regarder la vie. Demeure la solitude.
C’est Claude Régy qui, le premier, en 1982, fait connaître en français Grand et petit. Et Botho Strauss, collaborateur de Peter Stein qui, en 1978, crée la pièce – venue en France en version originale – à la Schaubühne de Berlin. Berlin-Ouest, ville enserrée dans la RDA, où l’on imagine volontiers l’errance de Lotte, la jeune femme qui tente en vain de trouver sa place, se heurte à des gens fermés sur euxmêmes, seule, de plus en plus seule sans pour autant perdre espoir…
Avec Claude Régy elle était Bulle Ogier, avec Peter Stein, Edith Clever. À présent, c’est Cate Blanchett, qui, avec le metteur en scène australien Benedict Andrews, nous entraîne sur les pas de Lotte, et nous fait connaître la version anglaise de la pièce - dans la traduction de Martin Crimp. Alors, le problème se déplace. Comme d’ailleurs, depuis les années 70, s’est déplacée la situation de Berlin, de l’Europe, comme ont évolué les modes de vie. L’histoire se passe aujourd’hui dans un hôtel marocain où Lotte, touriste sans plus d’argent, sans plus personne à qui parler, se parle à elle-même, écoute les échos de la vie qui lui parviennent de derrière les fenêtres…
PORTRAIT | Espionne russe, reine des elfes, ou épouse de luxe ruinée dans “Blue Jasmine”, le nouveau Woody Allen… Cate Blanchett s'efface derrière ses rôles… pour mieux resplendir.
Pour l'accueillir, toute la salle s'est levée et la sono a envoyé les violons, les orgues, les tambours, un vacarme d'opéra et de cinéma tout à la fois, une musique de couronnement.
Elle est entrée en majesté, dans une longue robe noire brodée par la maison Dior. Et puis soudain, réalisant le poids du cérémonial, elle a empoigné le tissu, l'a soulevé pour pouvoir se lancer dans des enjambées bondissantes, faisant gonfler son habit de sacre comme si elle chevauchait la musique. D'accord pour la pompe, à condition de la jouer !
Elle était surprenante et drôle, Cate Blanchett, en reine australienne du Festival du cinéma américain de Deauville, qui lui rendait hommage au début du mois. Avant même qu'elle ait dit un mot, on comprenait qu'elle avait de l'esprit.
Quand vint le moment de tirer sa révérence face au public et aux photographes qui n'en finissaient pas de flasher, elle fit de minuscules pas de côté, chacun parvenant à dire, avec autant de fantaisie que d'exactitude, « Merci, pardon, je ne peux pas rester »…
D'autres honneurs, d'autres hommages l'attendent. Début octobre, c'est au festival de New York qu'elle sera fêtée. On sent comme un emballement général, répétition du vrai couronnement déjà annoncé : un oscar, le 2 mars prochain, pour son rôle dans Blue Jasmine, de Woody Allen.
Un prix d'interprétation, c'est tout le contraire d'un événement pour elle qui les moissonne. Mais cette récompense de plus marquerait cette fois une reconnaissance au-delà de la performance saluée. Elle dirait l'accomplissement de Cate Blanchett.
Elle en sourit quand on la retrouve en tête à tête : « Il faut qu'on me consacre des hommages et des rétrospectives pour que je me rende compte que j'en suis arrivée là, que j'ai cet âge-là ! » 44 ans cette année, une maturité en effet difficilement soupçonnable, sauf dans le travail.
Sous la juvénilité spontanée de son entrée en scène à Deauville, on sentait le sens parfait de la mesure et de l'excès, une maîtrise devenue naturelle. Un énorme talent, léger comme une plume.
Etre une grande actrice a permis à Cate Blanchett de se faire toute petite. « Il arrive parfois que les gens me reconnaissent dans la rue, mais c'est rare », confie-t-elle, habituée à disparaître dans ses personnages.
Sur l'affiche de L'Etrange Histoire de Benjamin Button (2008), on voyait le visage très reconnaissable de Brad Pitt et, à côté, le sien, lunaire, transparent comme une épure, une page blanche sur laquelle écrire toutes les histoires possibles.
Cela semble pour elle une évidence : « J'ai un visage d'actrice, tout simplement ! Selon la manière dont il est éclairé, il peut être laid ou passer plutôt bien. Je ne me suis jamais considérée comme une grande beauté. Je ne me voyais même pas comme le genre de fille qui peut faire des films. J'ai été surprise par toutes les possibilités que mon physique m'a offertes. »
La plus décisive fut, il y a quinze ans, le rôle-titre d'Elizabeth, « the virgin queen ». Avec ce film de Shekhar Kapur, les portes du monde s'ouvrent, elle quitte pour dix ans l'Australie. D'un coup, elle avait montré tout ce dont elle était capable, prenant à bras-le-corps son personnage : d'abord mutine et délicate, puis solide et finalement invulnérable, inaccessible, élevée au-dessus du commun des mortels. La sœur d'Elizabeth, Marie Tudor, flairant un pouvoir immense sous la douceur, lui jetait d'ailleurs au visage : « Tu es une actrice ! »
Et quelle actrice ! Elle en joua une pour de bon dans Aviator (2004), de Martin Scorsese : Katharine Hepburn. Et y réussit si bien qu'elle décrocha l'oscar du meilleur second rôle. Les défis l'ont forgée, mais jamais guidée, assure-t-elle : « J'ai abordé cette carrière sans aucun projet, juste avec l'envie de faire des choses intéressantes. Les comédiens qui ont des stratégies me font peur. »
L'ouverture vers l'imaginaire pourrait être le fil rouge de son parcours, qui, après Elizabeth, l'a souvent entraînée dans d'autres films d'époque, et même loin du réalisme.
Elle fut espionne russe pour Spielberg (Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, 2008), amante du Robin des bois de Ridley Scott, et bien sûr reine des Elfes chez Peter Jackson, dans la trilogie du Seigneur des anneaux et celle du Hobbit, qui fera bientôt revenir la féerique Galadriel aux grandes oreilles. Une invitation à la voir en rêveuse, aimant revêtir toutes sortes de costumes et s'aventurer sur la voie des masques.
“Nous sommes tous des rêveurs !”
Elle s'étonne : « Nous sommes tous des rêveurs ! Regardez les identités que les gens prennent sur les réseaux sociaux. Nous essayons sans cesse d'être quelque chose de plus, quelque chose d'autre que ce que nous sommes.
Et regardez-nous aujourd'hui : chacun a réfléchi à ce qu'il allait mettre pour cette interview. Nous portons tous des costumes. » Elle est entièrement habillée en noir, ce qui fait ressortir son visage page blanche. Cate Blanchett n'existe que pour être inventée.
C'est là qu'intervient Woody Allen. Au lieu de donner simplement une apparence de plus à l'actrice, il a fait d'elle une femme qui arrive au bout des apparences. Cette Jasmine a vécu dans un rêve qui s'est effondré : un monde richissime, bâti sur les mensonges et les arnaques d'un mari à la Bernard Madoff.
De cette vie où elle tenait parfaitement son rôle d'épouse de luxe, Jasmine n'a sauvé qu'une valise Vuitton, un sac Hermès, des escarpins Roger Vivier et un tailleur, auxquels elle s'accroche en vain. Elle n'a plus rien.
Si Blue Jasmine a un effet soudain si frappant dans la carrière de Cate Blanchett, comme s'il la révélait à nouveau, c'est que Woody Allen joue habilement d'une belle illusion.
Quand Jasmine n'a plus les moyens de jouer son personnage sophistiqué, c'est comme si Cate Blanchett apparaissait elle-même sans plus d'artifice. Abandonnant sa propre image d'élégante, égérie de Giorgio Armani, pour livrer sa pure et émouvante vérité.
L'impression de mise à nu est aussi forte que belle, et, même si ce n'est qu'une impression, l'actrice livre là quelque chose d'essentiel. Son goût du vide.
« J'aime jouer des personnages qui me terrifient, parce que je ne sais pas comment les jouer. Je n'ai rien vécu de ce que vit Jasmine, et son allure chic, je la trouve franchement très ennuyeuse. Ce qui en a fait, pour moi, un personnage fascinant, c'est qu'elle n'a, pour toute identité, qu'un masque très fragile. Elle est confrontée à un vide que l'argent lui avait permis d'éviter : elle-même. Elle ne sait pas qui elle est. Elle n'est rien. »
“Jouer au théâtre vous apprend à vous confronter au vide.”
Pour interpréter ce rien au bord de la folie, la comédienne est revenue à son repère fondamental : le travail au théâtre. Adolescente, elle avait découvert sur scène une joie qu'elle croyait réservée aux loisirs. Lancée dans de sérieuses études supérieures (finance et économie), l'envie de jouer la rattrapa ! « J'ai compris que c'était ma vocation et je l'ai travaillée.
Jouer au théâtre vous oblige à penser intensément, à ressentir les choses au maximum pour trouver comment les traduire, ça vous grandit, ça vous ouvre des possibilités. Ça vous apprend à vous confronter au vide. »
Ce qu'elle livre dans Blue Jasmine, elle n'aurait jamais pu l'atteindre, assure-t-elle, sans une expérience qu'elle considère comme un des tournants de sa carrière : jouer Blanche DuBois dans Un tramway nommé désir sous la direction de la muse d'Ingmar Bergman, Liv Ullmann.
« Jasmine et Blanche jouent ce qu'elles sont, ce qu'elles voudraient être. Elles s'inscrivent aussi dans une tradition d'autres personnages que j'ai pu jouer sur scène, Hedda Gabler ou l'héroïne de Grand et petit, de Botho Strauss. Des femmes qui perdent pied dans la réalité. »
Elle, non. Avec son mari, le dramaturge Andrew Upton, elle vient de passer cinq ans à faire tourner une énorme boutique, la Sydney Theatre Company et ses quatre scènes.
Programmation, animation, levée de fonds, gestion, un boulot assumé au nom de la passion du théâtre et de l'envie de la transmettre par tous les moyens. Cet été, elle était aux côtés d'Isabelle Huppert pour jouer Les Bonnes, de Genet, devant le public australien. Une affiche comme le cinéma en rêverait.
“Le star-system n’existe pas dans ma culture.”
La célébrité qu'elle y a gagnée, elle n'en a pas fait un passeport pour Hollywood, où elle n'a jamais voulu vivre, mais un outil.
« Le star-system n'existe pas dans ma culture. Quand on tourne un film en Australie, les gens de l'équipe technique ont autant d'importance que les acteurs, personne ne tolérerait un rapport hiérarchique. Je veux garder cette simplicité avec les cinéastes qui me dirigent. Il faut qu'ils puissent me dire comment je suis vraiment, et pas juste me passer de la pommade. » Une idée du travail qui plaît aux metteurs en scène.
Sitôt annoncé que sa mission à Sydney s'achèverait cette année, l'agenda de Cate Blanchett s'est rempli. Elle va retrouver Todd Haynes, qui lui avait fait jouer une sorte de Bob Dylan dans I'm not there (2007), pour une histoire d'amour entre femmes, adaptée de Patricia Highsmith.
David Mamet, qui l'avait dirigée sur scène, l'attend en janvier pour un thriller. Elle jouera la méchante reine dans Cendrillon, de Kenneth Branagh, et sera dans les deux prochains films de Terrence Malick. L'âge d'or, pour elle, c'est maintenant.