La Rafle : Interview Rose Bosch
Par Nicolas SCHIAVI - 24 février 2010
C'est en 1992 et avec son script de 1492 : Christophe Colomb que le nom de Rose Bosch fut mis en lumière pour la première fois. La scénariste a depuis enchaîné les projets et est même passée à la réalisation il y a trois ans avec Animal, thriller d'anticipation ambitieux mais pas convaincant. Avec La Rafle, Rose Bosch revient avec un sujet dur et s'entoure d'une distribution prestigieuse.
Les premières projections à Rennes ont été un énorme succès...
On avait prévu une seule salle. A l'arrivée, on en a rempli trois. Il y avait une majorité de jeunes. J'ai d'ailleurs été bluffée par l'âge du public.
Le film a des vertus éducatives...
Les gens le voient comme cela. De mon côté, je n'ai pas voulu le faire de cette manière là. Autrement, j'aurais réalisé un documentaire ou écrit un livre d'Histoire. Quand j'ai fait Christophe Colomb, je me suis passionnée pour cet utopiste qui voulait créer un nouveau monde à partir de l'ancien et qui échoue. La Rafle était une autre forme de passion. Il fallait parler de ces enfants, certains sont encore parmi nous. Je me suis dit : pourquoi, en France, on ne s'autoriserait pas à faire notre film sur la Shoah ? Il y en a eu d'autres, comme Au revoir les enfants, mais je voulais montrer la déportation. Je voulais que l'on voie des enfants tirés de leur lit à quatre heures du matin, des gens qui frappent à leur porte... Pour autant, ce n'est pas insoutenable. Je décris des enfants qui sont plein de vie, qui jouent au Vel d'Hiv avec de vrais gendarmes qui leur courent après. Personne ne savait où il allait. Au fond, on navigue entre tragédie et rires, comme dans la vie. Quand on est entouré d'enfants, ça se passe comme ça...
Avez-vous puisé dans votre vie personnelle?
Tout à fait. J'ai été chercher des choses chez mes propres garçons : des phrases, des blagues. Je me suis remémoré certains comportements. Tous ces enfants ne sont plus là pour me dire qui ils étaient. Il a bien fallu les recomposer, leur donner une âme, un tempérament, des manies. Le petit Nono est incarné par des jumeaux de cinq ans. le persopnnage a réellement existé, il s'appelait Jacquot et était le protégé d'Annette Monod. J'ai mélangé son destin avec un autre enfant qui a été jeté d'un train, Simon. Ils ont créé Nono. Je ne pouvais pas supporter qu'il ne revienne pas. Ce sont des libertés que j'ai prises. est-ce que le véritable Nono a crié qu'il voulait descendre du wagon ? Oui, il l'a fait. Annette Monod le décrit dans ses mémoires. Est-ce qu'un enfant a été jeté sur la voie ? Oui, plusieurs. Les faits sont réels. La manière dont je les agence, c'est mon travail.
L'enquête et la documentation ont duré trois ans. Avez-vous vécu le processus d'écriture comme une libération ?
Je ne pensais jamais aller aussi vite. Je ne m'étais pas fixé de deadline mais j'avais pris le pari d'écrire le scénario en quatre semaines. Il m'en a fallu cinq. J'ai perdu mon pari mais gagné un temps fou. J'étais dans les archives depuis trois ans et je n'en pouvais plus. je m'étais interdit d'écrire quoi que ce soit. C'est ma manière de travailler. La trajectoire a été limpide. Je me suis complètement isolée, loin de tout le monde. J'ai ensuite ajusté le scénario au budget du film.
Avez-vous pu garder cette limpidité lors du tournage où vous deviez faire face à un casting prestigieux , des dizaines de figurants et sortir de cet isolement ?
J'ai eu la chance de rencontrer Roman Polanski sur le tournage du Pianiste et il m'avait dit que la chose la plus difficile était de garder le cap. Tout conspire à nous le faire perdre, parce qu'un acteur n'est pas en forme, parce qu'un enfant ne veut pas jouer, parce que la météo est mauvaise... J'ai gardé cela en tête et je me suis remis en tête mes objectifs de départ. J'ai accueilli les accidents de parcours, j'ai improvisé des choses. Mais je n'ai jamais perdu le cap.
Vous filmez souvent Adolf Hitler à travers l'objectif d'une petite caméra. Pourquoi ce parti pris ?
Les images les plus intimes d'Hitler ont été prises par Eva Braun qui est devenue sa femme à la fin de sa vie. Elles a mis ces images en lieu sûr avant de se sucider. C'est un témoignage incroyable. A certains moments, Hitler est filmé par Eva Braun. A d'autres, on est à l'intérieur du film et on la voit filmer Hitler. Cela m'a paru la meilleure manière de montrer que je m'étais inspirée de ces plans. Je voulais que l'on comprenne quelle sorte de monstre ordinaire il était.
La Rafle évite le pathos dégoulinant a bien des égards, notamment grâce à l'utilisation de la musique...
J'ai d'abord utilisé des musiques qui m'ont accompagnée durant l'écriture. Je n'ai cessé d'explorer I-Tunes et j'ai cherché ce qui me parlait. Je ne peux pas travailler en écoutant du rock ou des chansons. J'ai donc été naturellement amenée vers du classique. Celui qui me portait le mieux était le classique du début de siècle et de la fin XIXe siècle. Je ne pouvais pas imaginer une autre musique pour mon film. J'ai utilisé beaucoup de piano, des pièces douces, nostalgiques. Je ne voulais pas en rajouter dans la tragédie et m'y vautrer. Les musiques sont en majorité intimes sauf au moment de la séparation des enfants et des parents.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Raphaëlle Agogué ?
C'est une découverte. Une autre actrice était prévue et elle s'est désistée trois semaines avant le tournage. J'ai donc préféré une actrice inconnue à d'autres que j'avais envisagées. Je suis allée sur des sites pour regarder des visages. Un visage porte en lui tellement de choses. J'ai selectionné cinq ou six jeunes femmes : je ne voulais rien savoir sur elles. Je leur ai donné la scène la plus difficile, la séparation, pour passer les essais. Si elle s'en tirait là, elle pouvait tout faire. Raphaëlle était de très loin la meilleure. Elle était la plus émouvante, la plus crédible. Elle est arrivée avec un petit accent yiddish et j'étais persuadée qu'elle venait d'Europe de l'Est.
C'était assez spectaculaire et beau de trouver une personne qui n'était pas prévue au départ et sur laquelle vous projetez tous les fantasmes du scénario. Beaucoup de personnes dans ce métier sont un peu fous. Raphaëlle a un naturel rare qui lui permet de ne pas leur ressembler. Je n'ai pas d'atomes crochus avec la folie...
Propos recueillis par Nicolas Schiavi.
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