Interview exclusive
Dani pour "Le Paris de Dani"Figure de la chanson-rock des années “yé-yé”, tendre et frondeuse,
canaille et espiègle, au parcours pas docile, fait de boums et de bangs,
mais au talent ductile, tour à tour chanteuse de Gainsbourg ou de Daho,
actrice dans La nuit américaine de Truffaut
couronné en 1973 par l’Oscar du meilleur film étranger,
meneuse de revue à l’Alcazar, mannequin pour Vidal Sassoon,
égérie de Warhol ou Helmut Newton, rosiériste rive gauche,
héroïne des noctambules,
Dani revient avec un nouvel album très réussi Le Paris de Dani.
Elle chante son émerveillement pour la ville des Lumières
avec toujours cette voix grave, cuivrée et patinée,
à coup de cigarettes, de nuits blanches et d’années noires.
Rencontre avec cette rose noire…
Vous sortez un album conceptuel sur Paris.
Comment vous est venue l’idée ?Ma maison de disques voulait que je fasse un disque de duos
en revisitant mes anciens titres et j’ai eu l’idée de faire un disque sur Paris
en sollicitant des copains et amis de toujours pour faire ce disque.
Comment avez-vous travaillé ?
Car, vous avez fait appel à des auteurs et compositeurs très diversifiés :
Cali, François Bernheim, Jean-Jacques Burnel des Stranglers,
Alain Chamfort, Ronnie Bird…Je leur ai juste dit : “Je voudrais une chanson sur Paris”.
Ce qui m’intéressait, c’était la manière dont ces gens
- que j’aime tant et qui me connaissent tous -
me voient regarder Paris.
Comment avez-vous procédé pour guider vos auteurs
sur votre passion pour Paris ?Je suis le porte-parole de tous ces auteurs qui font partie de ma vie
et qui me connaissent et donc ils ont exactement su exprimer ce que je souhaitais.
Il y a une vraie empathie entre nous,
qui fait que je pouvais chanter sans problèmes leurs mots
car ils m’ont toujours vu vivre et évoluer dans Paris.
Rive droite, rive gauche …
Vous n’avez définitivement pas de préférence ?Non, je n’ai définitivement pas de prédilection.
Cette ville est magique en recelant mille trésors souvent cachés
au détour d’une rue,dans l’arrière-cour d’un immeuble.
Quand je suis venue de Perpignan à Paris, je suis allée tout voir.
Je suis allée partout à pied, en métro, en bus.
Paris est la plus belle ville du monde.
J’ai eu la chance de beaucoup voyager.
J’ai vérifié. Je déménage tout le temps. J’ai habité le 9e, le 7e.
Aujourd’hui, je suis rue de Rivoli face au Jardin des Tuileries.
Partout, en s’y promenant, ce sont des cartes postales,
des vues et des perspectives différentes.
Paris est une ville formidable culturellement
avec un vrai éclectisme tant dans ses quartiers, ses atmosphères,
ses ambiances, ses couleurs, parfois ses odeurs.
Je me souviens quand j’étais plus jeune des odeurs
du quartier des Halles au petit matin.
J’aime cette magie de la diversité d’un quartier à un autre.
Il y a un vrai charme, une vraie poésie dans cette ville qui est magique.
Je ne m’en lasse pas et elle est en renouvellement permanent.
J’appréhendais certains changements comme le Centre Georges Pompidou
ou la Pyramide du Louvre mais finalement,
je trouve que ces monuments se sont formidablement bien fondus
dans le patrimoine existant. J’adore aussi les jardins de Paris qui sont magnifiques,
luxuriants. J’aurais aimé faire un stage avec les paysagistes de la ville de Paris.
Vous chantez "J’perd mon latin dans l’quartier
où j’me suis battue pour ma liberté".
Pensez-vous avoir participé à l’incarnation d’une certaine
forme de liberté des mœurs dans le Paris
où vous avez éclos à l’aube de votre carrière ? On se souvient de titres avant-gardistes comme Y’a pas d’mal à s’faire du bien
ou Je veux vivre libre et même Je travaille autant qu’un garçon.
Je suis arrivée à une époque de libéralisation des mœurs et c’est vrai
que j’ai épousé cette époque.
C’est quand même fou qu’avant Polnareff, on ne pouvait pas dire :
“Je veux faire l’amour avec toi ”.
J’ai eu deux enfants et je ne me suis mariée que quand je n’étais plus
avec le père de mes enfants.
J’ai eu la une de tous les journaux car j’étais fille-mère comme si c’était une tare !
On ne remerciera jamais assez Simone Veil
pour son combat pour l’émancipation sexuelle des femmes.
Je pense que je suis une rebelle en douceur et que j’ai incarné
une certaine forme d’audace qui fait partie intégrante de ma personnalité.
Vous qui avez été meneuse de revue androgyne à l’Alcazar,
pensez-vous pas que Paris a perdu son sens de la fête ?Oui, elle est différente et ne s’adresse pas à tout le monde.
Elle est devenue chère et ségrégationniste.
Avant, il y a avait davantage de brassage social et musical.
Et surtout, il y avait des vraies figures. Je me souviens d’y avoir rencontré César.
Aujourd’hui, tout va trop vite.
À l’époque, on avait les musiques en exclusivité dans les boîtes
avant qu’elles ne passent en radio.
Rien n’est fait pour que l’on connaisse les gens, pour qu’on se rencontre.
Quels souvenirs gardez-vous de cette période avec le roi de la nuit,
Jean-Marie Rivière ?Le monde entier y est venu.
C’était fabuleux et magique.
Jean-Marie Rivière était un grand artiste, un grand pro de la nuit,
une vraie personnalité haute en couleurs.
Certaines fois,
on refaisait plusieurs fois un numéro pour toutes les stars qui défilaient.
Vous avez également, sur les conseils d’Alain Delon,
pris la direction d’une discothèque,
L’Aventure, haut-lieu de la jet-set et où vous y receviez alors des stars mondiales
comme Mick Jagger, David Bowie et tant d’autres…Oui, c’est vrai.
J’ai pris cette boîte car j’aime l’inconnu et cela me permettait
d’avoir une activité à Paris pour voir mes enfants surtout le week-end
car j’étais beaucoup en galas.
À l’époque, il n’y avait que Castel et l’on disait que c’était impossible
d’ouvrir des discothèques Rive droite.
Après moi, Régine a ouvert puis l’Élysée Matignon.
Toutefois, contrairement à ce qu’on peut croire, je ne buvais pas.
Je m’étais fait faire une boisson sans alcool pour que ça ressemble au whisky coca.
La nuit est un vrai métier.
Quand la France de Mai 68 bat le pavé,
vous chantez Papa vient d’épouser la bonne qui sera le plus grand succès
de votre carrière avec plus d’un million d’exemplaires vendus.
C’était étonnant d’être pour l’époque, avant-gardiste sur les mœurs ?J’ai voulu prendre le contre-pied des bluettes yéyé de l’époque
non pas en faisant du rock que j’adorais mais en ayant une posture rock.
Effectivement, ce fut mon plus gros tube.
Et, à l’époque, quand on a un succès comme celui-là,
on essaie de vivre ses rêves d’enfant.
Vous avez fait des disques, à l’opposé de tout ce qui se faisait à l’époque…
Vous aimez être à contre-courant ?J’ai la conviction qu’il faut toujours être exact avec ce que l’on fait,
ne pas faire de compromissions,
ne pas faire les choses parce qu’elles sont à la mode.
Je n’ai pas fait exprès d’être à contre-courant.
Je suis viscéralement comme cela et les auteurs le sentent.
Le concours Eurovision de la chanson ne vous a pas porté chance
car sélectionnée en 1974, vous devez y renoncer
suite à la disparition de Georges Pompidou,
où la France se retire de la compétition.
L’année suivante, Gainsbourg vous écrit Comme un boomerang et cette fois-ci,
c’est le jury français qui trouve la chanson trop osée avant que Daho ne l’exhume…
Je crois que je n’étais pas faite pour les concours.
Toutefois, j’adore l’Eurovision. C’est drôle et décalé.
Je n’en garde pas un immense souvenir car c’était une trop grosse pression
mais cela m’a permis d’aller dans de nombreux pays
en enregistrant mon titre en Allemagne, en Espagne, en Angleterre.
J’avais une peur bleue ! J’ai été soulagée de ne pas le faire.
J’avais le même producteur qu’Abba cette année-là et c’est Abba qui a gagné,
donc ils étaient heureux tout de même.
L’année d’après, ils m’ont demandée de refaire l’Eurovision
et j’ai accepté qu’à la condition que ce soit Gainsbourg qui me fasse la chanson.
Serge me disait toujours :
“C’est nul, tu chantes comme une pétasse !”.
Et, le panel du jury l’a rejetée !
Serge Gainsbourg m’a dit qu’on sortirait quand même le disque
et qu’il me ferait une face B qu’il avait commencée et qui s’appelait
Les Yeux de biche mais ça ne s’est jamais fait au final…
Et, c’est Etienne Daho à qui j’avais donné cette cassette,
il y a des années qui a souhaité la ressortir…
Comme je sortais d’une période difficile, j’ai demandé à Etienne Daho
de la chanter avec moi. Ça a été comme un vent d’amour.
Pourquoi avez-vous fait aussi peu d’albums ?À cause des contrats de maisons de disques !
Quand on n’est pas le perdreau de l’année et que vous avez 40 ou 45 ans, c’est dur !
Mais, je ne nourris aucune aigreur. Ce sont les aléas de la vie.
Aujourd’hui, j’ai la chance d’être enfin superbement accompagnée
et soutenue par ma maison de disques AZ.
Et puis, je n’ai jamais fait un disque pour faire un disque.
Vous devez à François Truffaut une de vos plus belles apparitions
dans La nuit américaine, couronnée en 1973 par l’Oscar du meilleur film étranger.
Êtes-vous satisfaite de votre carrière cinématographique ?
Je n’ai pas de recul.
Je m’abandonne juste dans les yeux de quelqu’un qui a son film dans sa tête.
À chaque film, ce sont des histoires particulières.
Même mes premiers films ont souvent été sélectionnés à Cannes.
Je dois surtout ma première apparition dans un court-métrage
pour la télé Les Enfants du Palais.
Dans la Ronde, mon premier grand film,
il y a un plan fixe sur moi et j’avais au moins douze lignes de texte à dire
et je n’ai pas pu sortir un mot car j’étais impressionnée
de voir autant de monde autour de moi.
Du coup, Roger Vadim m’a fait boire un cognac et j’ai pu faire abstraction
et sortir tout mon texte ! Le cinéma exige de la concentration.
Ça fait quoi d’être comparée à Marianne Faithfull ?Je ne sais pas. J’aurais bien aimé avoir sa voix
parce que nous n’avons pas le même timbre.
Peut-être qu’on dit ça à cause d’un comportement ou une attitude rock dans la vie.
L’attitude, c’est d’avoir traversé ces années-là,
être née et avoir vécue de manière un peu privilégiée,
dans la liberté, dans la provocation.
J’ai eu des enfants, la péridurale n’existait pas, la pilule non plus, ni la capote.
Ça fait un peu ancien combattant de dire ça, mais ça n’est pas si loin de nous.
Ensuite, je ne sais pas,
il y a des jours où j’ai cent ans dans la tête et d’autres dix-sept ans…
Vous avez récemment ouvert une nouvelle boutique de roses à l’Hôtel Costes…
Les roses, c’est aussi définitivement votre vie ?
Ah oui ! Ça fait longtemps que j’adore ça.
Cette boutique est un très joli écrin qui met les roses en valeur.
Cette fleur fait partie de ma vie de tous les jours.
La rose est la plus mythique des fleurs et le sera toujours.
C’est rempli de légendes depuis Cléopâtre, les rois et les chevaliers.
Elle était fleur d’ornement déjà durant l’Antiquité.
Tous les peintres ont reproduit au moins une fois une rose.
Les poètes, les musiciens l’ont évoquée.
Elle a une longue histoire !
Vous avez traversé des moments souvent très durs dans votre vie.
La musique a-t-elle été pour vous une thérapie ?
La musique, c’est ma béquille.
C’est la musique et les roses qui me donnent l’envie de vivre, d’avancer.
J’ai eu trois éternels chagrins dans ma vie.
J’ai perdu mon papa, ma sœur, puis le père de mes enfants.
Tout cela en très peu de temps.
C’est beaucoup. Mais, il y a ceux qui restent.
Il faut être dans la vie même si ça laisse un chagrin à perte de vue
avec lequel il faut faire ami. Je l’oublie quand je chante.
Pour cela, il faut aller chercher l’énergie au fond de soi.
J’ai décidé qu’il fallait aller de l’avant. Je n’ai pas le choix.
Vous avez près de 45 ans de carrière.
Quel regard portez-vous sur votre parcours ?Je ne regarde pas en arrière.
Je regarde demain. Je n’ai pas de regrets car ça fait trop mal.
J’ai des polaroïds qui m’arrivent comme ça,
qui me font frissonner, pleurer ou qui me donnent du courage.
Mais je ne suis pas nostalgique,
même si évidemment je suis émue quand j’entends le premier Elvis Presley
qui m’a fait craquer quand j’avais dix ans.
Ça remue toujours quelque chose…
Avez-vous conscience d’être une icône ?Ce que je sais c’est qu’on ne peut pas plaire à tout le monde
et qu’on m’aime ou on me déteste.
Toutefois, quand on me sourit dans la rue,
ça me fait très plaisir et c’est souvent…
L'hebdo parisien
pour vivre et consommer malin -N°266-http://www.paruvendu.fr/paris/Interview-exclusive-Dani-pour--Le-Paris-de-Dani