André Manoukian, l’Ulysse moderneSPECTACLE | Le juré de «Nouvelle star» sera sur la scène de l’Uptown le 30 janvier.
Avec son album de jazz, «Inkala», sous le bras.
Laurent Guiraud | André Manoukian
CORINNE JAQUIÉRY | 26.01.2010 | 00:00
Œil de velours, l’expression semble avoir été créée pour lui. Sombre et doux, ce regard rêveur lui ressemble. Mêlant subtilement nonchalance et fulgurance, le «poète philosophe psycho-érotico-cosmique» de Nouvelle star, télé-crochet musical de M6, se dévoile sans fausse pudeur avant son concert à l’Uptown Geneva. Plus connu pour ses frasques télévisuelles que pour sa musique, André Manoukian est pourtant un compositeur subtil, un pianiste virtuose qui ose enfin la scène avec son album Inkala. D’une voix un peu traînante, tout juste sortie de la nuit, André Manoukian confesse sa passion des autres, son amour pour le jazz et son besoin des belles choses.
«Cet été, je suis allé à la Fondation Pinault à Venise. Une concentration des talents actuels en art plastique. Je n’ai jamais rien vu de plus beau et de plus fort! Je suis furieux, comment la France a-t-elle pu laisser partir ce trésor?» Une envolée de plus pour un homme dont le lyrisme sans limites choque parfois.
Il y a deux ans, son autobiographie amoureuse, La mécanique des fluides, suscitait des remous auprès de ses conquêtes, dont une certaine Liane Foly. Le moyen peut-être d’évacuer ses angoisses existentielles? «J’avoue une certaine mélancolie. Je suis constamment en quête d’une idée, d’une pensée nouvelle, de musique. C’est vital. Il y a de la souffrance à toujours chercher, mais il y a aussi une jouissance, un plaisir immense quand on trouve le fil et qu’on le dévide harmonieusement.»
Féru de philosophie, André Manoukian, «Dédé» pour les potes, truffe son discours de citations des plus grands penseurs. Son préféré? Gilles
Deleuze. Il adhère totalement à son concept de «déterritorialisation» que ce fils d’exilé arménien applique au quotidien. «Selon Deleuze, un territoire ne vaut que s’il est quitté. La terre de mes ancêtres n’existe plus telle qu’elle était. Je me sens porteur d’un territoire mythique. Je déteste le nationalisme, «une peste» comme le disait Mitterrand. J’aime en revanche les gens qui expriment un territoire artistique ou philosophique.»
Volubile, l’homme ne peut s’empêcher de fustiger le débat sur l’identité nationale mené actuellement par la France et qui tourne selon lui à l’islamophobie. Le musicien milite pour une société où les gens connaîtraient quelques rudiments de la langue de leurs voisins. «S’intéresser à l’autre, c’est la seule solution. Personnellement, je veux être à l’écoute. La plupart des gens ont toujours des histoires fantastiques à raconter.»
Etudiant au Ber-klee College of Music de Boston à la fin des années 70, André Manoukian en a conservé une grande admiration pour les musiciens américains. «Les USA ont longtemps été pour moi à la fois la terre promise et la Mecque de la musique (rires). Un métissage artistique fabuleux. Avec des traditions musicales inspirées par les mélopées indiennes mêlées aux rythmes africains, aux airs irlandais et au quadrille français. Cela a donné naissance au blues, au jazz et enfin au rock. Aujourd’hui, cependant, ce territoire s’est déplacé du côté de l’Orient. Le jazz en est régénéré.»
Les yeux brillants, il continuerait bien sur ce thème-là pendant des heures car son amour de la musique sublime celui qu’il a pour les femmes. «En concert, je suis en quartet avec un musicien jouant du Duduk, instrument arménien qui sonne comme une femme qui pleure. Terrible et beau. J’ai ma chanteuse avec moi, sous la forme d’un barbu, ainsi pas de danger que je craque! Les femmes ont toujours été mes muses, mes inspiratrices. Je suis un Ulysse des temps modernes. Il faut que l’on m’attache très fort pour que je ne plonge pas parmi les sirènes dont j’entends les voix merveilleuses.»
En concert: Genève, Uptown. Samedi 30 janvier, 20h30. Rés. 0900 552 333 (1 fr./m.) et www.uptown-geneva.ch
Bio express
André Manoukian
Né le 9 avril 1957 à Lyon.
1976: passe six mois à la Faculté de médecine de Lyon.
1977: happé par la musique, il étudie au Berklee College of Music de Boston.
1980: premier grand orchestre de jazz, le Horn Stuff.
1983: rencontre Eliane Falliex, qui deviendra Liane Foly. Coup de foudre musical et sentimental.
1988: The Man I Love, premier album composé pour Liane Foly, suivront Rêve orange (1990) et Les petites notes (1993).
1998: participe à l’album Jazznavour pour Charles Aznavour, puis, en 1999, produit le dernier disque de Gilbert Bécaud
2002: produit la chanteuse Malia.
2003: p remière participation au jury de Nouvelle star, télé-crochet musical de M6.
2008: parution de son livre autobiographique, La mécanique des fluides. Et d’un premier album de style jazz très personnel, Inkala.