Mon village à l'heure Roumaine...
Rencontre
L'étrange parcours de Herta Müller
Par Ruth Valentini
Elle vient de décrocher le Prix Nobel 2009 de littérature. En 1988, alors que Herta Müller venait de quitter sa Roumanie triste et grise
pour s'intaller à Berlin-Ouest,
Ruth Valentini l'avait rencontré, pour le Nouvel Observateur
Depuis que Herta Müller vit à Berlin-Ouest, elle est friande de couleurs.
Il est vrai qu'en Roumanie, son pays natal, tout est devenu triste et gris.
Dans sa mini-jupe vert pomme, avec son pull plus piquant encore
et ses bas à carreaux multicolores, elle a l'air très gaie.
Son itinéraire, en revanche ne l'est point.
Herta Müller est née en 1953 à Nitzkydorf, un village à l'ouest du pays.
Ici, dans la plaine du Banat,
est installée depuis plus de deux siècles une communauté allemande d'origine souabe,
qui compte aujourd'hui encore près de 250 000 âmes.
Pour échapper à la sombre destinée que leur réserve Nicolae Ceausescu,
Conducator sinistre du pays le plus pauvre d'Europe,
presque tous ces Volksdeutschen ont demandé le rapatriement en RFA.
Depuis quelques années, l
eur émigration fait l'objet d'un trafic de marchandise humaine que la RFA paie en devises : 8 000 deutsche Marks par tête, 12 000 visas par an.
Depuis longtemps, Herta Müller
- avec d'autres écrivains de langue allemande en Roumanie - était interdite de publication.
C'est grâce à la pression de l'Union des Ecrivain
s en RFA et du Pen-Club
qu'elle a pu quitter son pays au début de 1987.
Elle compte parmi les auteurs les plus marquants de cette minorité,
une génération qui a produit ce qu'on appelle déjà la « cinquième littérature allemande »
(avec celle de la RFA, de la RDA, de la Suisse et de l'Autriche).
Herta Müller a grandi dans les traditions allemandes,
l'allemand est sa langue maternelle.
C'est à l'école primaire qu'elle a appris le roumain, en tant que langue étrangère.
Son conflit a commencé dans la confrontation avec son village,
archaïque et au fascisme refoulé.
Son père, avare en paroles, un ancien de l'unité SS pour les Allemands de l'étranger,
n'a jamais répondu à ses questions.
« Père, un menteur. Ils mentent tous avec leur silence. »
C'est la mort de ce père sans repentir, en 1979,
qui déclenche en Herta le recul nécessaire pour écrire. Dari « Niederungen » elle décrit, à travers le regard d'un enfant, la vie horrible de ces paysans du Banat,
si fiers d'être allemands. L'écriture dense et précise de ce premier livre
lui a valu plusieurs prix littéraires en RFA.
Même style percutant et coloré pour « L'homme est un grand faisan sur terre ».
Ce titre est emprunté à un dicton roumain et reflète la double culture de l'écrivain :
en Allemagne, le faisan évoque l'orgueil et la présomption.
En Roumanie, au contraire,
c'est un oiseau en fuite qui ne sait pas voler et qui se cache dans les broussailles, un perdant...
A travers les tristes aventures du meunier Windisch et de sa famille,
elle décrit sa communauté en voie de disparition.
Pendant la longue attente des visas tant désirés (« le temps n'a plus d'aiguilles »),
Windisch et les siens s'accommodent des tracasseries des administrations
et des chicanes de la police secrète, et subissent les humiliations de leurs concitoyens.
Si Herta Müller a choisi de vivre aujourd'hui à Berlin, c'est parce que cette ville,
différente des autres villes allemandes, lui parle.
Parmi les marginaux, elle peut y rester, elle aussi, en marge.
Sa relation avec la Roumanie n'a jamais été simple,
pas plus qu'avec la minorité à laquelle elle appartient.
Elle refuse de s'identifier à la littérature roumaine de langue allemande,
provinciale et conservatrice selon elle,
où n'existe aucun ouvrage de qualité sur la Seconde Guerre mondiale,
sur l'appartenance de cette minorité aux SS.
Elle veut porter un autre regard sur les choses, sur l'Histoire.
Comme Alexander Kluge, Peter Handke dans ses premiers livres ou Thomas Bernhard.
Aujourd'hui, la réalité de la ville, avec sa poésie propre, n'a rien changé à son travail d'écrivain. Elle commence à réfléchir sur son expérience du monde occidental.
« Seulement là où il y avait des champs à perte de vue, il y a maintenant le macadam avec ses stations de métro. » Herta Müller est une « citadine aux bagages à main ».
Ce pourrait être le titre de son prochain récit, à paraître dans un an.
R. V.
Le prix Nobel 2009 s'appelle Herta Müller