Ces compositeurs qui travaillent au clavier... de l'ordinateur
LE MONDE | 28.03.09 | 15h06 • Mis à jour le 28.03.09 | 15h25
implique B", "B implique C", "C implique D"... Ton monocorde et débit mécanique. Ainsi débute Machinations, pièce de théâtre musical pour quatre comédiennes et un informaticien, conçue et présentée à l'Ircam, en 2000, par Georges Aperghis (né en 1945). Pour la première fois, l'ordinateur est un personnage à part entière, au même titre que C.A.R.L. dans le film 2001 : l'odyssée de l'espace (1968), de Stanley Kubrick.
De la musique techno aux compositeurs d'aujourd'hui en passant par la chanson, la présence de l'ordinateur s'est imposée au coeur de la création musicale contemporaine. Que de chemin parcouru dans l'expérimentation des studios, depuis Varèse et les interpolations enregistrées de Déserts (pour orchestre, 1954), Stockhausen et son générateur de fréquences avec modulateurs en anneau dans Mixtur (pour orchestre, 1964), ou la fameuse 4X de Giuseppe Di Giugno à l'Ircam et ses transformations en temps réel dans Répons de Boulez (pour solistes et ensemble, 1982).
Comme Aperghis, le compositeur Marc Monnet (né en 1947) appartient à la génération qui a basculé de l'écrit à l'informatique. Le festival Printemps des arts de Monte-Carlo, dont il est le directeur artistique depuis 2003, le programme, le 9 avril, pour un "autoportrait". "Je suis passé des plumes et de l'encre de Chine aux touches du clavier de mon ordinateur", explique ce franc-tireur des nouvelles technologies, qui a fondé son studio, Attentat, en 1994. Si l'électronique a radicalement transformé son écriture - "On est sortis du système de sons fondés sur les trois invariants : frapper, souffler, frotter" -, il ne la considère que comme un outil. Avec ses avantages et ses inconvénients. Beaucoup de possibilités de création mais peu de garanties de diffusion à long terme...
"Nous vivons dans une idéologie fondée sur l'obsolescence permanente des systèmes, pour des raisons commerciales, assure le compositeur. Par exemple, ma pièce Bibilolo ne peut plus être jouée car on ne trouve plus de machines vouées à la synthèse FM, la modulation de fréquence étant passée de mode. Et pour Bosse, crâne rasé, nez crochu, une partition qui a neuf ans, on a fait déjà deux mises à jour du logiciel."
Pour le jeune Raphaël Cendo (né en 1975), venu du rock hardcore avant d'intégrer un cursus de composition au Conservatoire de Paris et un séjour à l'Ircam, en ce qui concerne le matériel de diffusion des concerts "l'électronique est en passe de devenir un luxe, car l'époque n'est plus à des budgets élevés". Comme beaucoup, il possède un home-studio, petit studio à domicile avec ordinateur, carte-son, amplificateur et quatre enceintes.
Pour lui, l'électronique joue aujourd'hui le rôle expérimental qu'a tenu le piano au XIXe siècle. Cendo n'envisage aucune oeuvre instrumentale sans travailler au préalable sur Protools, un logiciel performant mais accessible à tous. "Le premier mouvement de mon quatuor à cordes, In vivo, résulte intégralement de mutations de timbre instrumental effectuées avec l'ordinateur avant d'être reconstituées de manière purement acoustique."
Compositeur à la pointe de l'avant-garde, Philippe Leroux (né en 1959) travaille chez lui avec le même équipement que son jeune collègue. S'il déclare pouvoir "faire une oeuvre sans rien, juste avec un crayon et du papier", il a largement utilisé l'ordinateur dans l'une de ses pièces à succès, Voi (rex), entre autres, pour développer des modèles "à partir du rythme de la scansion du texte", mais aussi pour obtenir, par des calculs très poussés, un équivalent instrumental de l'"effet Doppler". "Un son du type sirène de pompier se rapproche de nous en changeant de hauteur et d'environnement harmonique. J'ai donné l'illusion de ce phénomène de déplacement dans certaines séquences d'orchestre."
De toutes les pièces d'étudiants créées sous sa tutelle lors du cursus d'informatique musicale de l'Ircam, Philippe Leroux retient en premier lieu Little Box, de Claire-Mélanie Sinnhuber (née en 1973). La compositrice franco-suisse qui a appris à l'Ircam "à travailler sur le temps réel et à architecturer un patch" y a conçu cette pièce pour lap top - les ordinateurs portables légers et maniables que l'on pose sur ses genoux pour travailler, apparus au début des années 1980.
Plutôt que de partir d'une percussion avec sa sonorité propre, Claire-Mélanie Sinnhuber a choisi d'utiliser les sons produits en tapotant le clavier de son portable et de conjuguer les deux extrêmes de la machine informatique "d'un côté, une super- machine à calculer, et de l'autre, un instrument de musique très rudimentaire".
Créatrice de ses propres patchs (partitions informatiques en attente de la matière sonore pour la transformer selon les volontés du compositeur), la compositrice déclare irréversible l'influence de l'électronique sur son écriture : "A partir du moment où on travaille avec des haut-parleurs, affirme-t-elle, on entend de manière différente."
Claire-Mélanie Sinnhuber, qui vient d'effectuer une initiation aux nouvelles technologies pour de jeunes flûtistes dans une école de musique de la Mayenne à partir de patchs qu'elle avait préparés, est confiante dans l'avenir de l'informatique musicale. "Les enfants se sont tout de suite rendu compte que la flûte, instrument ancien, pouvait se connecter à des choses aussi ludiques que les jeux qu'ils pratiquent chez eux."
Une nouvelle façon d'aborder la musique, qui a déjà fait des émules aux Etats-Unis, où cinquante et une villes vont intégrer le programme Wii Music, à partir du nouveau logiciel de musique créé par le fabricant de jeux informatiques Nintendo, dans leurs cours de musique.
Pierre Gervasoni et Marie-Aude Roux
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