Nicolas Peyrac, "je me suis enfin trouvé"
Il nous semblait so far away de nous et pourtant, à l’écoute de son dernier album Case Départ, Nicolas Peyrac et ses plus de trente années de carrière au compteur, n’a jamais été aussi proche.
En dépit d’un parcours artistique chaotique dû aux bouleversements de l’industrie discographique qui ne l’a cependant pas empêché de continuer à écrire mais dont les albums n’ont pas embrassé le succès qu’ils auraient mérité, Nicolas Peyrac n’a rien perdu de sa superbe et de sa verve sensible, intelligente, lucide et surtout tolérante.
De So far away from L.A. à Case départ d’aujourd’hui, il n’a de cesse de chroniquer en chansons son chemin d’homme avec, en filigrane, le désir d’aller plus loin que son image de gentil chanteur, de variéteux en mineur.
Un Peyrac libre, plus interrogateur et profond que séducteur, retrouvant, dans ce nouvel opus, la verve acoustique des guitares de ses débuts qui l’ont fait connaître, alors qu’il revient en France, dans la maison de son enfance, après avoir vécu quinze ans à Montréal. Un retour aux sources qui n’a jamais autant nourri son flot.
Rencontre chez lui dans la maison de son père en Bretagne.
Dominique Parravano
ParuVendu
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Vous revenez avec un nouvel album, très acoustique et aux antipodes du précédent Vice Versa qui était très produit. Ce précédent album est pour moi le plus abouti et réussi de votre carrière. Or, il n’a pas embrassé le succès qu’on aurait pu espérer... Pour quelle raison ?
Tout à fait car la maison de disques n’a pas fait son travail et n’en a pas mis en magasin alors que cet album a été encensé pa¬r la critique. Je ne suis pas aigri pour autant mais c’est vrai que je me suis mis en sommeil pendant un an. J’avais perdu l’envie jusqu’à ce nouvel album qui sort.
Votre nouvel album s’appelle Case départ. Pourquoi ce retour à un album plus acoustique dans la veine de So far Away from LA ?
Je ne me suis pas posé la question, de prime abord. En fait, cela a coïncidé avec la mort de mon père et où se posait la question de la revente de notre maison familiale dans laquelle il avait vécu depuis cinquante ans en Bretagne. Et, je ne pouvais pas concevoir de voir partir cette maison dans d’autres mains. Je l’ai donc rachetée et de manière concomitante l’envie d’écrire et de composer m’est revenue. Dans ce disque, j’ai pris le contrepied du précédent album. Je suis revenu à quelque chose de plus organique et acoustique dans la veine de So far Away from LA de mon premier album. J’ai travaillé sur cet album de manière solitaire, je voulais me retrouver. C’est comme si c’était la suite du premier album, plus de 33 ans après. C’est comme si c’était mon deuxième album! Acoustique ne voulait pas dire régression, retour en arrière et ne signifiait pas réécrire So far Away from LA, trente ans après. Il est juste dans sa forme le reflet de ce que je suis devenu.
C’est également votre retour en France, dans la maison bretonne de votre père, après avoir vécu quinze ans à Montréal...
Oui, tout à fait et je me suis rendu compte à quel point cette maison était un point d’ancrage, de repères, que j’y avais écrit et vécu beaucoup de choses, que j’y avais lu mon premier roman à mon père. Cette maison est chargée de souvenirs, de bouffées d’enfance et il était hors de question de la céder.
Cela vaut la belle chanson qui ouvre l’album Ma vie est ici...
Oui, cette chanson s’est imposée comme une évidence. En dépit de tous les voyages que j’ai pu faire, ma vie est ici. Mes racines sont là. Et, je souhaitais par-dessus tout que ma petite fille ait une éducation française.
En vieillissant, pensez-vous qu’on éprouve le besoin de revenir à ses racines ? Vous dites : “Retrouver mes marques et mes ailes d’avant, tant de concerts à faire, de mots à écrire encore, vous croiser”...
Bien sûr et le temps passe vite ! J’avais envie de me retrouver, de retrouver la vraie vie, mes racines, mes frères, un enracinement et des bouffées d’enfance. Quand on est jeune, on est plus nombriliste, égoïste, on veut découvrir la vie, d’autres endroits mais au final on revient toujours chez soi.
Pourquoi êtes-vous si souvent parti ?
C’était une forme de fuite en avant parfois. J’ai éprouvé le besoin de changer d’horizon compte tenu d’une strate de galères que j’ai rencontrées dans ma vie personnelle et notamment une séparation très longue et douloureuse. Je voulais retrouver l’envie de créer, de vivre.
Les mirages de la célébrité, je connais et j’ai donné. L’important est de réussir sa vie et d’être dans la création.
Une renaissance qui s’était alors incarnée, on s’en souvient, avec l’album J’avance, résolument plus positif, et qui était, je crois, dédié à votre père, aujourd’hui décédé...
Oui, il était dédié à mon père car sans lui, je ne crois pas que j’aurais survécu à l’année 93 qui fut pour moi une année désespérée. Mon père m’a aidé à déménager au Québec. Ma mère n’étant plus là, il fut mon seul point de repère. Avec cet album, je voulais casser cette image de chanteur triste qui me collait à la peau. J’ai cessé de penser que seuls les sentiments tristes amenaient à l’écriture.
Aujourd’hui, votre père n’est plus là. Vous êtes dans sa maison. En quoi, ce disque là fait-il écho à votre père ?
Mon père est fondamentalement là, dans ce disque et dans cette maison où il est présent partout. Ce disque est à part pour moi résolument dans ma carrière.
Vous avez beaucoup voyagé. Dans vos chansons, vous parlez souvent de voyages. Là, beaucoup moins. On sent que vous vous posez...
Absolument. Là, je me pose davantage. La plupart des voyages dont je parle sont basés sur des souvenirs vécus. Avec ma mère, quand j’étais gamin, j’ai eu la chance de bouger beaucoup. Elle n’était pas du genre à vouloir posséder des choses, et donc elle avait tendance à dépenser le peu d’argent qu’elle avait dans les voyages. J’ai vécu un an à New-York, deux ans en Côte d’Ivoire, je suis allé en Australie... Le voyage est quelque chose que j’ai hérité d’elle et qui m’a nourri.
Dans votre précédent album, dans la chanson Vice Versa, vous évoquez “jamais la vie qu’on veut, on veut l’autre vie qu’on a pas, toujours plus beau l’envers quand on a que l’endroit...”. Est ce que vous avez eu la vie que vous vouliez ?
Oui, cela nous est tous arrivé de voir une pub de voyage et de rêver et aspirer à une autre vie. C’est vrai que l’on aspire et court après une vie que l’on a pas et qu’on voudrait avoir. J’ai eu la vie que j’ai voulue et si je n’avais pas eu ce chemin de vie avec tous ces pleins et ces déliés, je n’en serais pas là et je ne serais pas tout aussi épanoui que je le suis aujourd’hui.
On a l’impression que ce disque est un instantané de votre vie actuelle…
C’est l’inventaire de ma vie actuelle, il reflète mon état d’esprit.
Lequel ? Celui d’un homme libre et apaisé ?
Celui de quelqu’un qui ne court après plus rien, qui fait son métier avec exigence et qui s’est enfin accompli. Je me suis enfin trouvé.
Dans cet album, certains de vos textes ont une dimension politique. On se souvient de Il neige sur Madrid, Quand elle dort ou From Argentina to South Africa et dans votre précédent album de Ne me parlez pas de couleurs sur la différence, sorte de manifeste partisan qui incite à l’écoute de l’autre quelle que soit sa race, son sexe, sa religion. Là, on retrouve un peu la suite avec Une peau que t’as pas. Est-ce à dire que vous ne désarmerez jamais ?
Jamais. Sûrement pas. Et, je ne comprends même pas le racisme. Ne me parlez pas de couleurs est une sorte de réquisitoire contre la bêtise, la connerie et l’intolérance qui m’est absolument étrangère. Je me suis toujours érigé contre le racisme, l’exclusion de l’autre et le non-respect. Je l’ai déjà beaucoup fait par ailleurs, comme vous le dites, avec Il neige sur Madrid, Quand elle dort ou From Argentina to South Africa que j’ai chanté devant François Mitterrand et un parterre de dictateurs dans un sommet franco-africain. Il faut savoir que Ne me parlez pas de couleurs a été beaucoup censurée par les médias et elle fait toujours un carton sur scène. Pour la chanson Une peau que t’as pas, je voulais faire au départ une chanson sur les sans papiers sans enfoncer de portes ouvertes, sans qu’elle soit caricaturale, ni militante. Elle est politiquement incorrecte et prône la tolérance. C’est un passeport pour la dignité des êtres humains. C'est l’histoire d’une petite fille arrachée à sa vie, à ses parents, à son école, à ses rêves, parce que quelqu’un quelque part l’a décidé, au nom d’on ne sait quoi. Ce pourrait être Anne Franck, ou une enfant de “sans papier”, ou une parmi tous ces visages qui fuient depuis des siècles les horreurs du monde.
Cette chanson fait un peu écho également à la chanson de votre précédent album Et je t’aimais déjà, sur cet amour tout nouveau, tout beau, qui change tout : celui de l’enfant que vous avez adopté…
Oui, j’ai adopté il y quatre ans une petite chinoise qui m’émerveille et m’embellit la vie au quotidien. Et, c’est vrai qu’elle a changé ma vie et que ma vie d’aujourd’hui tourne beaucoup autour d’elle. J’ai une autre grande fille dont je ne me suis pas assez occupé car j’étais jeune et que je regardais trop mon nombril à l’époque. Ce fut un vrai ratage et là, je n’ai pas envie de passer à côté d’elle.
L’amour est très présent dans cet album sous toutes ses facettes : ses bonheurs, ses blessures, ses désillusions, ses questionnements et dans plusieurs chansons : Entre elle et lui, Elle s’en fout, J’aimerais mieux qu’on s’aime, Pour toi…
Oui, plus que jamais car qu’est-ce qu’il y a de plus important que l’amour ? C’est ce qui nous porte et nous nourrit. Moi, je ne fonctionne qu’à l’affectif. Dans la chanson Elle s’en fout, je parle d’un mannequin qui est adulé mais elle se retrouve seule dans sa chambre. Et, elle s’en fout de cela finalement...
Le titre Tomber, Tomber, c’est un peu la suite de votre chanson Les fantômes de Sunset Boulevard de votre précédent album, sur les mirages des métiers de lumière…
Tout à fait. C’est une chanson qui met en garde contre les miroirs aux alouettes de ce métier quelle que soit la discipline.
La chanson Chanter, c’est un hymne à la chanson, à ses vertus ?
C’est une chanson pour signifier que la chanson n’est pas un art mineur suite à des témoignages forts que j’ai eus comme ces personnes qui étaient dans des camps de réfugiés et qui entendaient à la radio ma chanson Elle disait et, pour eux, c’était un signe d’appartenance à ce camp. Et aussi, une femme qui venait de perdre son fils et qui a retrouvé des cassettes de moi et elle m’a dit quand les écoutant, elle avait finalement appris beaucoup de son fils. Voilà, les chansons, je pense, peuvent être utiles, faire avancer, réfléchir. Elles ont une force.
Ma vie est ici, c’est sûr, j’en suis convaincu après avoir beaucoup voyagé. Avant, je voulais voir des choses, aujourd’hui je veux montrer la vie à ma fille.
Dans votre précédent album, vous aviez fait une chanson Pourquoi pas dans laquelle vous tapiez fort : “s’il faut vendre son âme au diable, pour survivre, s’il faut mettre un genou à terre, et tout faire pour leur plaire, c’est sans moi, s’il faut renier ceux qu’on aime, c’est sans moi, si le seul repère c’est la gloire, si la télé c’est le graal, plus on te voit, plus t’es génial, c’est sans moi...”, chantez-vous... C’est votre côté libre, rebelle et irrévérencieux ?
Sans aucun doute. Libre surtout. Je suis un homme libre, humaniste et rebelle. Cette chanson me ressemble. Je ne suis pas un homme de n’importe quelle concession. Je ne veux pas me montrer pour me montrer. Cela n’a aucun intérêt. Je ne vendrais pas mon âme au diable. Je suis quelqu’un pétri de valeurs et engagé. J’ai envie d’être en accord avec moi-même et pouvoir me regarder dans la glace. Je n’ai pas envie de me renier. Si, comme je le dis, le seul repère c’est la gloire et si la télé c’est le graal, plus on te voit, plus t’es génial, c’est pas mon truc. La vie est ailleurs. C’est le sourire et le regard de ma fille adoptive qui est le plus important aujourd’hui. Les mirages de la célébrité, je connais et j’ai donné. L’important est de réussir sa vie et d’être dans la création.
Ce qui ne s’est jamais tu finalement chez vous, c’est le désir d’écrire. En témoignent, vos deux romans Qu’importe le boulevard où tu m’attends et J’ai su dès le premier jour que je la tuerais. À quand le prochain ?
L’écriture est ma nourriture. Je suis un artiste polyvalent comme Charlélie Couture. Mon troisième roman devrait paraître à la rentrée.
Vous allez avoir cette année 60 ans et avez plus de trente trois ans de carrière avec une œuvre souvent injustement passée sous silence. Quel regard vous portez sur votre carrière inégale mais de 1980 à 1989 où vous avez connu une vraie traversée du désert ?
On m’a perdu de vue durant une dizaine d’années. Je suis revenu avec l’album J’avance, paru en 1995. J’ai perdu dix ans à cause des maisons de disques en fait. Vous savez, quand vous êtes dans une multinationale et que du jour au lendemain le PDG s’en va... J’ai fait CBS, Warner, EMI, à chaque fois j’avais un album qui démarrait bien et on fichait les gens dehors parce qu’une nouvelle équipe était nommée. J’imagine que je ne devais pas représenter un intérêt commercial assez évident. Mais, je n’ai jamais cessé d’écrire et suis vraiment sans aigreur aucune.
On vous réduit souvent aux quatre grands succès de vos débuts mais est-ce que ce ne sont pas des chansons comme J’écrirai, J’avance, Je pars, J’irai jusqu’au bout, Toujours une route... qui vous caractériseraient ?
Mais, tout à fait. Vous avez tout compris. Ces chansons sont vraiment celles qui me caractérisent même si je le redis j’ai toujours plaisir à chanter ces succès. Toutefois, j’ai envie de faire connaître mes nouvelles créations et heureusement que la scène est encore là pour cela.
Vous avez fait une chanson 16 ans j’vis en Bretagne. Près de 43 ans après, vous revenez y vivre. La boucle est bouclée ou y’a-t-il toujours une route ?
C’était une envie, un besoin de parcourir ce bout de route acoustique pour revenir à la case départ. Ma vie est ici, c’est sûr, j’en suis convaincu après avoir beaucoup voyagé. Mais, toutefois, y’aura toujours une route. Celle du partage avec ma fille pour lui faire découvrir le monde, aux Maldives, sur l’Île de Pâques, faire un safari au Kenya. Avant, je voulais voir des choses, aujourd’hui je veux montrer la vie à ma fille.