Des nouvelles de Moustaki Chaque année, au mois de janvier, j'aime bien passer voir Georges Moustaki ou lui envoyer un mail histoire de prendre de ses nouvelles. Et cette fois, ça tombe d'autant mieux qu'il publie ces jours-ci un livre autobiographique, «La Sagesse du faiseur de chansons» (JC Béhar).
En réalité, je le connais depuis des lustres puisqu'il a eu la gentillesse de préfacer mon premier livre qui était une biographie de Barbara. C'est la raison pour laquelle il accepte si facilement de devenir mon ami d'enfance alors que quelques années nous séparent. Il a l'air plutôt en forme, notre ami Georges. Voyez plutôt...
Paroles, paroles.- Bonjour, oh grand Dieu de la sagesse ! C'est sympa de revenir sur mon blog à chaque début d'année. A croire que vous vous y sentez bien ou pas trop mal. Tiens, si on passait au tutoiement comme des vieux amis d'enfance?
Georges Moustaki.- Je suis d'accord pour dire «tu». Le vouvoiement c'était quand tu étais petite.
Paroles, paroles.- Que de commémorations allons-nous vivre cette année ! Brassens, Gainsbourg, Trenet. Si tu étais rédacteur en chef, tu choisirais lequel pour faire la couverture de ton magazine?
Georges Moustaki.- Je choisirais Brassens parce que «les Copains d'abord». Mais comme il risquerait de ne pas être d'accord je me rabattrais sur l'un des deux autres. Trenet parce que je l'admire depuis toujours, et Gainsbourg parce qu'il a été un compagnon de la nuit au temps de nos débuts.
Paroles, paroles.- Ne le dis à personne, mais il y a des jours où j'ai envie de mettre l'intégrale de Gainsbourg au grenier. Ça se fait, tu trouves?
Georges Moustaki.- Même si je le dis on ne me croirait pas. La mort a statufié Gainsbourg. Le temps l'a bonifié. Même les chansonnettes qu'il a bâclées ont du charme. J'irai l'écouter dans ton grenier.
Paroles, paroles.- J'ai lu l'interview que tu as accordée au journal «Serge». Je me trompe ou toi c'est plutôt l'intégrale d'Higelin que tu mettrais au clou?
Georges Moustaki.- Je ne le mettrais pas au clou. Si je devais m'en séparer, je l'offrirais à mon barbier qui l'aime beaucoup.
Paroles, paroles.- Revenons à ta vie, ton œuvre. Tu publies ces jours-ci un livre, «La Sagesse du faiseur de chansons» (JC Béhar). On y apprend notamment que tu étudies Bach au piano depuis des années. Tu t'en sors?
Georges Moustaki.- Avec Bach, on ne s'en sort jamais. J'ai passé six mois de ma vie à analyser les huit premières mesures du Clavecin bien tempéré sans être sûr d'avoir tout compris. Glenn Gould a renoncé à jouer en public pour ne pas trahir Bach. Moi je l'étudie tous les matins en toute humilité. Ça me fait du bien.
Paroles, paroles.- Tu racontes que Céline Dion adolescente t'a annoncé qu'elle allait conquérir la planète et que tu lui as gentiment tapoté sur l'épaule comme pour lui dire: «c'est ça, rêve ma grande ». Tu l'as pris comment quand elle a vraiment conquis le monde?
Georges Moustaki.- Je l'ai pris comme une preuve supplémentaire de mon incompétence à prédire la carrière de qui que ce soit. J'étais ravi pour elle. Je trouve qu'elle chante bien mais elle n'a pas toujours le répertoire qu'elle mérite. Un jour, à Vancouver, j'entre dans un magasin de disques et j'entends, en fond sonore, une belle chanson très bien interprétée. Je demande au vendeur quelle est cette chanteuse. Il me répond avec mépris (pour mon ignorance): «It's Céline Dion, of course». C'est ce jour-là que j'ai compris qu'elle avait atteint son objectif.
Paroles, paroles.- Tu rappelles, dans cet autobiographie d'un promeneur, que tu as enregistré un disque, «Solitaire», avec notamment Vincent Delerm. J'avais entendu dire qu'il songeait à arrêter la chanson. Tu lui as parlé récemment?
Georges Moustaki.- Je n'ai pas vu Vincent depuis longtemps. Nous devons dîner ensemble prochainement. Entre ses tournées et mes soucis de santé nous n'avons guère eu le loisir de nous rencontrer. Comme je suis en retrait(e) et que tu m'apprends qu'il pourrait arrêter la chanson, ça nous donnera le temps de nous voir plus souvent. Ce serait dommage qu'il arrête, depuis que je l'ai vu sur scène je suis devenu un de ses fans.
Paroles, paroles.- Le monde arabe fait son Mai-68: la jeunesse se révolte et le pouvoir panique. J'imagine que les événements qui se déroulent actuellement en Egypte te touchent encore plus que la révolte tunisienne. As-tu peur pour ton pays natal ou, au contraire, est-ce que tu espérais ce jour béni?
Georges Moustaki.- Je suis effectivement très touché par ce qui se passe en Égypte et fier de la détermination de son peuple. Mais bien sûr je crains que la révolution et la liberté ne coûtent un prix exorbitant en vies humaines. Sans compter les risques de désillusions.
Paroles, paroles.- Pardon, je manque à tous mes devoirs: j'ai oublié de te demander de tes nouvelles... Tu vas mieux?
Georges Moustaki.- Ma santé m'a rappelé à l'ordre depuis deux ans et je lui obéis. Je ne voyage plus: je me ménage, je me soigne, je peins et j'écris. C'est une activité à plein temps. J'attendais de la maladie qu'elle me donne des vacances. C'est le contraire...
Paroles, paroles.- Alors je t'embrasse, mon nouvel ami d'enfance!
Georges Moustaki.- Quand j'ai connu Albert Cossery, j'ai écrit un papier où je disais avoir découvert en lui un ami d'enfance. Il avait soixante ans et moi quarante. On peut nouer une amitié d'enfance à tout âge. Bienvenue dans la ronde. Je t'embrasse.
SD
http://livres-et-chansons.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/01/28/des-nouvelles-de-moustaki-3e-episode.html