Des voix du passé sortent de leur sommeil de cent ans
Cent ans après leur enfouissement, les « urnes de l’Opéra » renfermant des dizaines de disques ont été ouvertes
En 1907, lors de la cérémonie d’enfouissement des urnes, à l’Opéra Garnier (Photo BNF).
En 1909, Gaston Leroux publiait en feuilleton son fameux Fantôme de l’Opéra qui entraînait le lecteur dans les obscurs souterrains du Palais Garnier. Mais deux ans plus tôt déjà, ces mêmes sous-sols étaient le théâtre d’une cérémonie bien réelle et pourtant terriblement romanesque, elle aussi.
Sous le haut patronage d’Aristide Briand, alors ministre de l’instruction publique, le président de la Compagnie française du Gramophone, Alfred Clark, faisait enfouir 24 disques (l’invention de ce support date de 1888), destinés aux mélomanes de l’avenir.
Il était, en effet, spécifié que les deux urnes de plomb scellées qui les contenaient – chaque disque étant isolé des autres par une plaque de verre et l’ensemble serré dans des bandelettes… d’amiante – ne devraient être ouvertes que cent ans plus tard…
La chanson pas jugée digne de ce geste patrimonial
« Il s’agit d’apprendre aux hommes de cette époque (NDLR : la nôtre) quel était alors l’état des machines parlantes, encore aujourd’hui presque à leurs débuts (…) et quelle était alors la voix des principaux chanteurs de notre temps et quelles interprétations ils donnaient à quelques-uns des morceaux les plus célèbres du répertoire lyrique et dramatique. »
Ces mots témoignent bien de l’ambition à la fois technique et artistique du projet qui situe clairement le patrimoine sonore de ce début de XXe siècle du côté de la musique classique, et notamment de l’opéra.
On y trouve les grands chanteurs du temps : Nellie Melba, Emma Calvé, Enrico Caruso ou Francesco Tamagno, le créateur de l’Otello de Verdi. On voit ainsi que la chanson par exemple, pourtant florissante en ces années 1900, n’était pas estimée digne de ce geste patrimonial destiné à la postérité.
Etonnant état de conservation
Un second enfouissement de trois urnes est effectué en 1912, avant un long sommeil… C’est en 1989, lors de travaux, que l’Opéra constate que deux urnes de 1912 ont été « profanées » et vidées de leur contenu : des disques pour l’une, un gramophone pour l’autre. En faisant franchir les années à cet appareil, Alfred Clark fournissait aux auditeurs du futur le moyen d’écouter ces reliques sonores.
Pour assurer leur sécurité, la Bibliothèque nationale de France récupère les urnes avec pour mission de les ouvrir en 2007. La présence d’amiante rend l’opération longue et délicate, tandis que la décision est prise de laisser deux urnes scellées, laissant le soin de leur découverte aux générations futures.
« Ce qui est étonnant, explique Xavier Sené, responsable de la conservation au département de l’audiovisuel de la BNF, c’est le très bon état de conservation des disques, notamment ceux de 1907, mieux protégés que leurs successeurs. Aucun n’est cassé, tous sont lisibles, en dépit de quelques égratignures, çà et là. »
Leurs étiquettes aux couleurs vives, comme tout droit sorties de l’imprimerie, et la qualité de leur « signal sonore » sont frappantes, comme ont pu en juger le public invité les 9 et 10 décembre au colloque coorganisé par l’Opéra de Paris et la BNF sur le sujet.
Quelle serait la forme des urnes de 2008 ?
« Nous avons nettoyé chaque disque en profondeur avant d’en transférer le contenu sur fichier numérique (1). On remarque combien la technique d’enregistrement acoustique de l’époque favorisait les sons très forts et la voix humaine. Une fanfare rend bien mieux qu’un solo de violon, et un ténor vaillant qu’un arpège au piano ! », précise Samuel Rives, technicien-son au département de l’audiovisuel.
Alors que ces enregistrements du passé sont désormais sortis de leur silence, un nouvel enfouissement est à l’étude. À l’ère du MP3 et de la musique dématérialisée, quelle serait la forme des urnes de 2008 ? Des CD, DVD, baladeurs numériques, mémoires d’ordinateur ? Et leur contenu ?
En 1907, la « grande musique » ne se posait pas la question de son insolente domination au sein des valeurs culturelles. On imagine mal un tel monopole de nos jours, où le répertoire « savant » occupe une place bien marginale dans l’écoute et le marché de la musique. Pas plus que l’on ne retrouvera le parfum romantique de la cérémonie de 1907, dans les profondeurs du Palais Garnier, alors rendez-vous de l’élite politique et artistique.
Emmanuelle GIULIANI
(1) L’écoute des disques numérisés est possible sur le site Internet de la BNF. Un coffret de 3 CD chez EMI Classics sort prochainement.
SOURCE LA CROIX :
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2358975&rubId=5548
AVEC ... une écoute sur le lien :happy005: