Gad Elmaleh : « Dieu marche avec toi, il n’est pas un concept »
LE JDD
Paru le vendredi 23 décembre 2022
L’humoriste a présenté son film sur les relations entre juifs et chrétiens au pape.
RELIGION Gad Elmaleh a été reçu en audience privée par le pape François vendredi 23 décembre au Vatican pour son film Reste un peu. Il raconte en exclusivité au Figaro.
LE FIGARO. - Quelle a été votre première impression ?
Gad ELMALEH. - C’est beaucoup d’émotions. Il y a la figure spirituelle, il représente l’Église, mais il y a l’homme… Un homme attachant, rayonnant, drôle. Nous avons parlé de sujets profonds, nous avons beaucoup ri aussi. Ce ne fut pas un rendez-vous mais une rencontre. J’avais préparé mais devant lui, tout est tombé à l’eau. Je me suis laissé guider par le cœur parce que j’étais connecté à quelqu’un qui a un cœur et qui parle au cœur. Il y a des personnes que tu rencontres et qui alimentent l’appréhension, le stress. Lui, au contraire, il l’apaise tout simplement, par son langage qui est celui du cœur.
De quoi avez-vous parlé ?
Je commence par la fin parce que cela m’a bouleversé. Il m’a dit : « Priez pour moi parce que je ne fais pas un travail facile. » Lui, pape, me demande ça, humblement … Nous avons commencé par une conversation sur la lumière car j’avais expliqué dans ma lettre que je sollicitais ce rendez-vous dans la double lumière de Hanoukka et de Noël. D’où une belle conversation sur la fraternité judéo-chrétienne… Et sur le foot, je l’ai félicité pour l’Argentine…
Le foot !
Oui, le foot. Il m’a parlé du Maroc qu’il a félicité, avec le pouce levé ! Il s’est montré très admiratif du parcours de leur équipe. Il a aussi parlé de l’Argentine. Pour lui, cette équipe et cette finale ressemblaient à l’identité et à la culture argentine. Il a évoqué l’équipe de France, incroyablement virtuose et de sa grandeur dans cette finale.
Connaissait-il votre histoire ?
Il était bien informé. J’ai insisté sur la fraternité judéo-musulmane au Maroc, qui est un modèle unique au monde en pays arabes et en terres musulmanes. Il m’a dit que cette fraternité, on ne la choisit pas et que Dieu est dans cette fraternité, au cœur de cette fraternité. Qu’il fallait arrêter de regarder Dieu comme une étoile lointaine : Dieu n’est pas un concept lointain, il marche avec toi. Dieu est dans cette fraternité ! Le pape m’a alors dit quelque chose de bouleversant : « Il te demande d’être dans cette fraternité et c’est pour ça que tu es là aujourd’hui ! » Alors là… Je ne sais pas si je vivrais un moment aussi intense dans ma vie.
Avait-il vu le film ?
Je lui avais préparé un petit montage avec les scènes essentielles. Il a pris le temps de regarder et vu tout de suite l’enjeu. À la fin il a évoqué l’amour pour Marie et la fascination pour elle. Et là, il m’a regardé et m’a dit un truc encore renversant : « Tu sais, on ne choisit pas, on ne choisit pas. Ce n’est même pas toi qui choisis. » Je ne me vante surtout pas en disant cela, mais je témoigne.
Cette rencontre va changer quelque chose pour vous ?
Cela me donne énormément de joie, de lumière, de la force. Cela me conforte dans le fait d’accepter les choses qui nous arrivent. Cela va encore changer ma vision de la fraternité réelle entre juifs et chrétiens et ce pont inévitable que l’on ne peut pas nier, qui est là, qui existe. Cela me donne la force de continuer à rester connecté et à mieux se connaître. Nous avons besoin aujourd’hui, entre les deux communautés, de gens ouverts à cette fraternité. Cela va nous aider, chacun, à vivre notre foi comme on veut, comme on le décide, comme on y est appelé ou pas.
Vous vous sentez confirmé dans cet engagement ?
Absolument ! Mais ce n’est pas une fraternité institutionnelle, un pseudo-vivre ensemble, le pape veut que l’on se connaisse, que l’on parle des vraies choses. J’ai dit : « Je suis juif, j’ai étudié la Torah, voilà où j’en suis, voilà ce que j’ai fait avec le film. » C’est là qu’il m’a dit : « On ne choisit pas ! » C’est pour cela qu’il faut une grande bienveillance, une grande ouverture, un grand amour entre les communautés pour pouvoir avancer ensemble et pour que chacun puisse se réaliser dans le chemin qui lui est propre, avec son intimité, avec son rapport à Dieu.
« Dieu », justement, comment en avez-vous parlé ?
Il était très touché de voir mes parents jouer dans le film. Ils ont prié pour moi ce matin avant la rencontre. Il a vu la scène du film où ma mère dit : « Tu changes de Dieu, change de religion, fais-toi adopter ! » Et là, pendant la projection des images, il m’a regardé et m’a glissé à l’oreille : « C’est le même Dieu… » J’en ai eu les larmes aux yeux.
Vous avez parlé du succès du film, bientôt 500 000 entrées, c’est significatif ?
Un film, on adhère ou pas. On aime, on n’aime pas. Mais la vérité, dit-on, vous rendra libre. C’est vrai. Elle m’a donné la force d’affronter ceux qui étaient réticents. Après, il y a des gens qui sont pratiquants ou pas croyants, athées, agnostiques, juifs, musulmans où chrétiens. C’est compliqué mais il y a quelque chose de simple : c’est le témoignage. Au-delà d’un film, c’est un témoignage vrai, c’est ce que j’ai vécu. Reste un peu est passé d’un vague documentaire solo et prétentieux à un vrai film quand j’ai franchi cette barre du témoignage. Et puis il faut bien que les cathos assument le fait qu’à un moment donné, quelqu’un les montre avec de la lumière ! C’est une communauté avec ses croyances, ses symboles, l’amour, sa perplexité, son énergie, le juste, le bon, c’est lumineux. Des prêtres me disent « le film me rebooste et j’ai redécouvert Marie ! » Tant mieux ! Et n’oublions pas la comédie. J’ai dit au pape que j’avais envie de faire rire les gens parce que c’est important de rire ! Et on a ri ! J’étais tellement heureux de le faire rire mais on sent qu’il en a envie.
Certains catholiques n’ont pas forcément apprécié le film, certains juifs n’ont plus, que répondez-vous ?
J’ai toujours à cœur la phrase du cardinal Lustiger qui clôt le film et que je résume ainsi : « En embrassant le christianisme, j’ai redécouvert les valeurs du judaïsme, je les ai approfondies bien loin de les renier. » Il y a des gens qui ne veulent pas entendre ça. Je n’ai jamais été si proche de la Torah depuis que j’ai découvert Marie et le christianisme. Certains cathos voudraient me voir rompre avec le judaïsme, certains juifs voudraient le contraire. Alors je regarde la lumière de Hanoukka et celle de Noël. Je l’utilise pour expliquer un chemin, un chemin de fraternité, de respect, d’écoute, où je suis appelé. Plus que jamais, j’ai envie de souhaiter la lumière avec mes frères et sœurs catholiques, juifs et musulmans. Je souhaite la lumière pour qu’on se parle, qu’on se connecte de plus en plus.
Un vœu pour 2023 ?
Mon message, c’est Charles de Foucault qui vit la conversion, qui se déguise en juif, entre au Maroc, tombe en admiration devant la prière des musulmans. Voilà, c’est le frère universel, c’est ça mon message ! Il vient d’où je viens, juif né en terre musulmane qui découvre la lumière du christianisme. C’est un cadeau de Dieu, c’est formidable. Pour 2023, donc, un mot, c’est lumière. Lumière contre l’obscurantisme, lumière sur les choses qui le méritent dans l’Église et ses dérives qui me révoltent moi aussi mais laissez-moi montrer la lumière et condamner ce qui doit l’être. Lumière entre les peuples, la lumière sur scène, la lumière sur la Lumière.
Que vous a dit le pape à la fin, « reste un peu » ?
(Rire.) C’est moi qui aurais voulu dire ça… J’aurais voulu lui dire : « Restez. »
LE FIGARO[/center]